Montréal,  5 février 2000  /  No 55
 
 
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Jean-Luc Migué est président du Conseil scientifique de l'Institut économique de Montréal.
 
ÉCONOMIE POLITIQUE
  
TABAC: QUAND ON VEUT
TUER SON CHIEN...
 
par Jean-Luc Migué
  
  
          Voici une déclaration que faisait le procureur des fabricants de tabac devant le Sénat américain en 1997: « I do not defend the tobacco companies if the evidence shows that they should be liable. And I would not defend any other industry if similar evidence showed that they should be liable. What I object to and what I do fear with respect to other industries is that states have been able to alter the rules of the game after the fact, to change the rules that were in effect when the products were sold, so as to make it impossible for the tobacco companies to defend themselves in these Medicaid recovery suits. » (trad.)
 
          Les appréhensions du procureur Levy sont tout aussi fondées aujourd’hui qu’elles l’étaient il y a trois ans et, de plus, elles doivent inspirer les mêmes sentiments aux Canadiens maintenant que les gouvernements provinciaux (notamment la Colombie-Britannique) et le gouvernement central lui-même choisissent pour des raisons purement électorales de s’engager dans la voie du recours en justice contre les fabricants de tabac. Quels sont les fondements des appréhensions dont tous les hommes libres doivent être saisis devant cette frénésie démagogique de nos gouvernements? 
  
Fumeurs responsables, politiciens ingénieux 
 
          Dans la tradition juridique américaine et canadienne, pas un seul fumeur n’a reçu quelque indemnité que ce soit pour les dommages qu’il aurait subis de l’usage du tabac. Tous les jurys qui ont eu à se prononcer sur cette question ont conclu que les fumeurs étaient responsables de leurs actions et des dommages qui pourraient en résulter. 
  
          Mais voici que l’ingéniosité de nos politiciens entre en scène. Sous le régime qu’ils songent à implanter, avec le concours de juges activistes, la responsabilité individuelle disparaît du seul fait que le fumeur est le patient de la médecine socialisée. Le fabricant de tabac produisant le même produit, entraînant les mêmes dommages à la même personne qui l’achète librement, se retrouve par la magie politique passible de sanctions, non pas envers le fumeur, mais envers l’État. Par l’arbitraire merveilleux d’un décret législatif, l’assujettissement du fabricant repose, non pas sur sa culpabilité, mais sur le statut du fumeur comme patient de la médecine d’État, et donc sur une considération parfaitement étrangère au méfait de l’industrie visée. 
  
  
     « La règle est simple: l'industrie a l'argent, le gouvernement a besoin de cet argent, donc l'industrie et son client paieront. Que les vendeurs de "junk food", d'armes à feu, d'aliments gras et d'autres objets mal vus par le grand nombre se le tiennent pour dit. » 
 
 
          Tel est le sens troublant de la décision de 39 États américains, d’au moins une province et du gouvernement d’Ottawa d’engager des poursuites judiciaires contre les fabricants de tabac, prétendument pour recouvrer les frais médicaux associés à la fumée de cigarette. Lorsque la perspective d’une manne fiscale se présente, tirée d’une industrie devenue paria aux yeux d’une majorité de votants, il importe peu que les fumeurs soient en fait les perdants du bilan médical en régime socialisé; il importe peu que les poursuites battent en brèche une doctrine juridique établie; il importe peu donc que les droits d’un fabricant soient tout bonnement effacés rétroactivement. 
  
          La doctrine juridique qui régit désormais le fumeur et l’industrie qui le sert n’a plus rien à voir avec la culpabilité des parties. La règle est simple: l’industrie a l’argent, le gouvernement a besoin de cet argent, donc l’industrie et son client paieront. Que les vendeurs de « junk food », d’armes à feu, d’aliments gras et d’autres objets mal vus par le grand nombre se le tiennent pour dit. 
 
 
Trad.: « Je ne défends pas les fabricants de tabac lorsque les preuves montrent qu'ils doivent être tenus responsables. Et je ne défendrais aucune autre industrie si des preuves similaires montraient qu'elle doit être tenue responsable. Ce contre quoi je m'élève et ce que je crains pour ce qui est des autres industries, c'est que les États ont eu la possibilité de changer les règles du jeu après le fait, ont changé les règles qui étaient en vigueur lorsque les produits ont été vendus, de telle façon qu'il est devenu impossible pour les compagnies de tabac de se défendre dans ces poursuites pour rembourser les dépenses de santé. » >> 
 
 
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