Montréal, 29 avril 2000  /  No 61
 
 
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Martin Masse est directeur du QL. La page du directeur
 
  
  
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     Le QUÉBÉCOIS LIBRE est publié sur la Toile depuis le 21 février 1998.
 
     Il  défend la liberté individuelle, l'économie de marché et la coopération volontaire comme fondement des relations sociales.
 
     Il s'oppose à l'interventionnisme étatique et aux idéologies collectivistes, de gauche comme de droite, qui visent à enrégimenter les individus.
 
     Les articles publiés partagent cette philosophie générale mais les opinions spécifiques qui y sont exprimées n'engagent que leurs auteurs.
 
ÉDITORIAL
 
NOUVELLE DONNÉE STATISTIQUE:
TOUS LES CANADIENS SONT RICHES!
 
par Martin Masse
  
  
          Finis les guerres de classes et les problèmes de redistribution de la richesse. Une nouvelle étude commandée par le QL à des statisticiens est en effet arrivée à une conclusion tout à fait stupéfiante qui renverse toutes les idées reçues sur le niveau de pauvreté au Canada. Selon nos experts, la presque totalité des Canadiens sont riches! 
  
          Le calcul qui a permis d'arriver à ce résultat est relativement simple mais tout de même conforme à des standards internationaux d'objectivité. Question d'assurer que leurs données ne reflètent pas un biais canadien quant à la définition de ce que sont la richesse et la pauvreté, nos chercheurs ont d'abord pris comme objet de comparaison la population du sud de l'Éthiopie. Ils ont calculé le montant moyen dépensé par ces gens annuellement pour se loger, se nourrir et se vêtir (NDLR: selon des informations récentes qui nous ont été communiquées, il appert que ces populations sont en majorité nomades et qu'une famine sévit dans la région. Nos experts nous assurent toutefois que cela ne modifie en rien la pertinence statistique de leurs données). 
  
          Les montants ainsi calculés ont ensuite été convertis en dollars canadiens selon le taux de change en vigueur entre le Birr éthiopien et le dollar. Puis, après avoir rajouté 20% à ce chiffre pour compenser les coûts de chauffage plus élevés au Canada qu'en Éthiopie, nos chercheurs ont constaté avec surprise que 99% des ménages canadiens dépensent plus que le ménage moyen d'Éthiopie du sud sur le logement, la bouffe et les vêtements. Puisque la richesse est définie, selon ce modèle, comme un niveau de dépenses supérieur à ce seuil représentatif, il en ressort donc que 99% des Canadiens doivent être considérés comme riches!
 
          Un peu mélangé...? Il y a de quoi, si vous avez lu les manchettes alarmistes d'il y a deux semaines qui donnent un tout autre portrait de la réalité: « La pauvreté gagne du terrain dans les villes du pays » et « Plus d'un Montréalais sur quatre vit sous le seuil de la pauvreté ». C'est ce que prétend en effet une autre étude d'un groupe de pression gauchiste, le Conseil canadien pour le développement social, qui se base sur des données de Statistique Canada récoltées entre 1990 et 1995. Si vous avez compris la façon dont nous avons concocté notre propre petite étude maison dévoilée ci-haut, vous n'aurez aucune difficulté à comprendre comment le CCDS est arrivé à des conclusions différentes, mais en suivant une logique bidon relativement similaire. 
  
Tous des pauvres 
  
          Selon cette étude, 5,5 millions de Canadiens, soit environ un habitant sur cinq, vivaient « sous les normes moyennes de pauvreté » en 1995 et c'est à Montréal que le nombre de pauvres serait le plus élevé, soit 41%. Pour tracer ce sombre portrait qui fait de la métropole presque l'équivalent d'une ville sud-américaine avec ses bidonvilles et ses enfants en guenilles qui quêtent et se prostituent dans la rue, le CCDS s'est servi du fameux seuil de faible revenu (SFR) de Statistique Canada, une donnée dont la pertinence est contestée depuis longtemps mais dont plusieurs groupes continuent à se servir malgré tout pour des raisons démagogiques. Plusieurs fois par année, des études qui utilisent cette donnée sont publiées pour démontrer que la pauvreté est en hausse chez les enfants, femmes, vieux, ou autres groupes sociaux. Chaque fois, quelques chercheurs et commentateurs mettent le public en garde sur la pertinence de ces chiffres, en répétant que le seuil de faible revenu ne mesure pas un seuil de pauvreté mais plutôt une moyenne dans les inégalités de revenu. Même Statistique Canada admet que cette donnée ne mesure pas la pauvreté et qu'il faudrait peut-être la changer, mais l'organisme continue tout de même à la publier. 
  
          Comment fait-on au juste ce calcul? C'est relativement simple. On part de la proportion moyenne des revenus avant impôt consacrée à l'habitation, à l'alimentation et aux vêtements par l'ensemble des familles canadiennes, soit environ 35% en 1992, proportion à laquelle on ajoute 20%. Ainsi, les ménages qui consacrent plus de 55% de leurs revenus avant impôt à ces trois besoins essentiels sont considérés comme ayant un « faible revenu » ou comme étant « pauvres » si on pousse plus loin l'interprétation comme le fait le CCDS, pour la simple raison qu'ils consacrent une proportion plus importante de leurs revenus à ces besoins que la moyenne canadienne. 
  
          Pourquoi rajouter 20% à une moyenne? Pourquoi considérer comme pauvres des familles qui ont 45% de leurs revenus à consacrer à autres choses que ces besoins essentiels? Parce que... ben... c'est comme ça, c'est tout. Le chiffre est tout à fait arbitraire et n'est aucunement relié à une définition de la pauvreté, mais plutôt à un niveau de dépenses dans trois domaines importants plus grand que la moyenne de 20%. La logique statistique du SFR tiendrait sans doute mieux l'eau si on avait tout simplement établi ce seuil à 100% du revenu. Des gens qui n'ont pas un sou à dépenser pour autre chose que se loger, se nourrir et s'habiller peuvent plus facilement être considérés comme pauvres. Nul doute qu'on calculerait alors que le nombre de Canadiens dans une telle situation est beaucoup moins élevé que 5,5 millions. 
  
  
     « Le chiffre global de 41% de "pauvres" à Montréal ne distingue aucunement entre ceux qui s'arrangent pour avoir une vie relativement plus facile à Hochelaga, et ceux qui paient beaucoup plus pour habiter dans un quartier plus huppé. » 
 
 
          Une autre faille méthodologique rend ces chiffres totalement inutiles. Les revenus moyens et les coûts moyens diffèrent évidemment dans les régions rurales, les petites villes et les grandes villes du pays. Statistique Canada a donc créé des catégories pour ajuster ces variations et place Montréal dans la catégorie des grandes villes de 500 000 habitants et plus. Ainsi, on considère qu'un célibataire qui vit dans l'une des grandes villes du pays doit faire au moins 16 874 $ pour dépasser le seuil de faible revenu. Sauf qu'il y a aucune commune mesure entre le coût du logement à Montréal, où les appartements restent nombreux et abordables dans les quartiers centraux malgré la baisse du taux d'inoccupation des derniers mois, et le coût du logement à Toronto et Vancouver, où des appartements semblables sont impossibles à trouver sauf à des prix astronomiques. 
  
          Qui plus est, les villes elles-mêmes ne sont pas des milieux homogènes et la situation diffère d'un quartier à l'autre. L'appartement de 7 pièces 1/2 qui coûte 600 $ par mois dans le quartier relativement déprimé qu'est Hochelaga-Maisonneuve est introuvable un km plus au nord dans le chic Plateau Mont-Royal à moins de 1200 $. Un célibataire avec un revenu d'environ 17 000 $ aura sans doute de la difficulté à boucler les fins de mois sur le Plateau, mais ne peut d'aucune façon être considéré comme démuni à Hochelaga, je le sais par expérience personnelle. Le chiffre global de 41% de « pauvres » à Montréal ne distingue aucunement entre ceux qui s'arrangent pour avoir une vie relativement plus facile à Hochelaga, et ceux qui paient beaucoup plus pour habiter dans un quartier plus huppé.  
  
Trompeurs les chiffres du CCDS 
  
          Plus fondamentalement, le seuil de faible revenu n'a rien à voir avec un niveau absolu de pauvreté, mais reflète simplement l'inégalité dans la distribution de la richesse. Le CCDS mêle les cartes en écrivant que « le SFR n'est certes pas parfait mais il demeure, jusqu'à preuve du contraire, un indicateur raisonnable et pertinent de l'inégalité et de l'insuffisance du revenu et, par extension, de la pauvreté ». Il n'y a pourtant aucun lien direct entre l'inégalité, l'insuffisance du revenu et la pauvreté. Il y a inégalité de revenus entre un millionnaire et quelqu'un qui ne gagne que 100 000 $ par année, mais il est impossible de dire si le second a des revenus insuffisants (insuffisants pour faire quoi?), et il est absurde de prétendre qu'il est pauvre. 
  
          Les chiffres du CCDS sont tellement trompeurs que même si tout le monde devenait deux fois plus riche demain matin, une étude pourrait affirmer, après avoir ajusté les données mais en utilisant le même genre de calcul, qu'il y a malgré tout autant de pauvres au Canada. D'une façon ou d'une autre, une proportion similaire de gens dépenseraient en effet 20% de plus que la moyenne pour se loger, se nourrir et se vêtir, même avec deux fois plus d'argent à dépenser pour la voiture, les voyages, les sorties au restaurant ou les divertissements. Quarante pour cent des Montréalais se retrouveraient toujours sous le seuil du « faible revenu », tout en étant deux fois plus riches. 
 
          Tant qu'il y aura des plus pauvres et des plus riches – c'est-à-dire, tant que nous ne serons pas dans une société communiste parfaite –, les organismes de propagande comme le CCDS trouveront le moyen de manipuler les chiffres pour nous dire que la pauvreté gagne constamment du terrain et que la famine guette une partie importante de la population à moins que le gouvernement n'intervienne immédiatement en instaurant de nouveaux programmes de redistribution de la richesse. Il y a pourtant une raison bien plus simple pour expliquer la stagnation des revenus des Canadiens pendant les années 1990: la hausse du fardeau fiscal. Malgré une croissance économique importante et une hausse des revenus avant impôts, les Canadiens ont vu leurs revenus nets diminuer légèrement pendant cette période, résultat de la non-indexation des tables d'impôts et de l'ajout de multiples nouvelles taxes. 
  
          Ce n'est pas un hasard si, comme La Presse nous en informe, la portion québécoise de cette étude a été financée par les mafias syndicales CSN et CEQ ainsi que par le ministère de la Solidarité sociale et, curieusement, aussi par la Ville de Québec dirigée par un maire au grand coeur socialiste, Jean-Paul L'Allier. Ces pouvoirs parasitaires qui profitent des dépenses publiques et qui cherchent à justifier la croissance de l'État veulent attirer l'attention sur autre chose que la fiscalité toujours plus répressive. Le CCDS, qui a aussi popularisé le concept de « déficit social » pour parler de tous les secteurs où l'État ne dépense pas assez, utilise un truc vieux comme le monde pour détourner l'attention des gens et les affoler, de façon à les rendre plus réceptifs à des mesures redistributionnistes et interventionnistes. Pendant deux jours, les médias ont martelé les ondes avec ces chiffres catastrophiques, et c'est le sentiment de l'urgence d'agir qui restera chez beaucoup de ceux qui n'auront entendu que la manchette, pas le scepticisme qui résulte d'une analyse plus approfondie. 
  
          Le vrai débat sur la pauvreté est cependant ailleurs. Le capitalisme crée constamment de la richesse, et les revenus de tout le monde augmentent dans les économies capitalistes, y compris pour les plus pauvres. Si cette richesse disparaît en fumée depuis quelques années, c'est parce qu'elle est siphonnée dans le trou sans fond qu'est l'appareil étatique. La seule intervention qui s'avère urgente pour solutionner le problème de la pauvreté, c'est le rétrécissement de l'État. Le reste n'est que de la poudre aux yeux. 
 
 
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Le Québec libre des  nationalo-étatistes  
L'ÉTAT, NOTRE BERGER?
  
        « Après avoir pris ainsi tour à tour dans ses puissantes mains chaque individu, et l'avoir pétri à sa guise, le souverain étend ses bras sur la société tout entière; il en couvre la surface d'un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient faire jour pour dépasser la foule; il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige; il force rarement d'agir, mais il s'oppose sans cesse à ce qu'on agisse; il ne détruit point, il empêche de naître; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation à n'être plus qu'un troupeau d'animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger. »    

Alexis de Tocqueville   
DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE (1840) 

 
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