Montréal, 13 mai 2000  /  No 62
 
 
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Gilles Guénette est diplômé en communications et éditeur du QL.
 
LIBRE EXPRESSION
  
NAPSTER / MP3 VS RIAA & METALLICA
 
par Gilles Guénette
  
  
          À la fin du mois d'avril, la compagnie qui offre la technologie qui permet à des millions d'internautes de s'échanger gratuitement des fichiers de format MP3 sur le net à été reconnue coupable d'avoir enfreint la loi sur les droits d'auteur avec son service MyMP3.com. Au même moment, une poursuite de plusieurs millions $ était intentée contre Napster Inc., une société qui offre sensiblement le même produit que la première, tout en facilitant les échanges entre ses membres internautes.
 
          Si ces poursuites ne sont en fait que des prétextes visant à créer des précédents – personne n'est assez dupe pour croire qu'elles vont mettre un terme à ce nouveau phénomène planétaire qu'est l'échange de fichiers sur le net –, la méthode utilisée par les plaignants pour arriver à leurs fins en dit long sur leur incapacité de s'ajuster aux nouvelles technologies qui ont transformé et continuent de transformer la façon dont nous consommons de la musique. 

Nouvelle réalité, vieux réflexes 

athena_metalchic_asks: What do you hope to accomplish with this lawsuit? 
metallica_lars_live: The ideal situation is clear and simple – to put Napster out of business. 
metallica_jason_live: Also to spearhead some kind of activity within the powers that be, the government, to lay down the laws with the computer, to exercise some kind of control, and govern companies like Napster that steal outright from artists.
          Récemment trois membres de la formation heavy metal américaine Metallica – co-instigatrice de la poursuite intentée contre Napster – et quelques-uns de leurs fans ont participé à un chat sur le web. Ce petit extrait résume assez bien l'enjeu: on ne veut pas se faire piquer nos chansons et si on n'arrive pas à s'entendre avec les millions de « voleurs » et les entreprises qui leur fournissent les outils pour le faire, on va demander aux gouvernements d'intervenir et de jouer à la NetPolice. 

          C'est de cette façon que depuis quelques semaines, les membres de la formation Metallica, le batteur Lars Ulrich en tête, et la Recording Industry Association of America (RIAA) qui regroupe les cinq plus importantes étiquettes au monde dont Sony, Warner et Universal multiplient les interventions dans le but de mettre un terme à ce qu'ils qualifient de piratage de la musique sur le net. 

          Hier, la RIAA s'attaquait à la compagnie MP3.com; aujourd'hui, avec l'aide de quelques rockers renommés, elle s'en prend à Napster Inc.; demain... impossible de prédire quelle sera sa nouvelle cible. À défaut d'être présente sur le web, et de profiter pleinement de ce qu'il a à offrir comme possibilités, l'industrie du disque tire de la patte et tente, de la seule façon qu'elle connaît – c'est-à-dire, à coup de mises en garde, de poursuites et d'appels à la réglementation – de protéger ses « acquis ». 

          Au lieu de prendre le virage électronique et d'entrer sur l'inforoute, de vieux routiers comme Metallica et les grandes maisons de disques préfèrent revendiquer de nouvelles protections auprès des autorités gouvernementales et/ou faire appel aux mécanismes de protection des droits d'auteurs qui les ont aidé à se hisser et se maintenir là où ils sont aujourd'hui. Et surtout, faire comme si rien n'avait changé... Alors que tout a changé – ou est en voie de changer. 

Make it go away! 

          À leur grand désespoir, internet n'est pas qu'une simple curiosité qui disparaîtra tôt ou tard de nos vies telle une mauvaise chanson. Le web est ici pour rester. Et les conditions d'affaire stables et prévisibles qui autrefois permettaient à des entités commerciales comme celles que représente la RIAA de contrôler leurs échanges sont disparues et ne se rematérialiseront pas d'elles-mêmes. S'il était relativement facile de surveiller les moindres déplacements d'un chargement de disques compacts, ça l'est beaucoup moins lorsqu'il s'agit de fichiers numérisés. 

          Il est donc impératif que ces entreprises arrivent au 21e siècle et qu'elles élaborent de nouvelles façons de contrôler leurs échanges si elles veulent demeurer compétitives dans le monde de la nouvelle économie. La seule autre alternative à cela étant de poursuivre chaque internaute qui échange des fichiers MP3 ou chaque nouvelle compagnie qui voit le jour dans ce domaine... tout le temps – une solution qui même si elle était humainement possible, ne servirait au plus qu'à engraisser quelques centaines d'avocats et à repousser l'inévitable. Il y aura toujours plus d'utilisateurs qui utiliseront toujours plus de nouveaux logiciels leur permettant d'échanger toujours plus de fichiers en utilisant toujours plus de variétés de formats. 

          Quand ces nouveaux formats voient le jour à toutes les semaines, que ceux qui les mettent au point sortent à peine de la crise d'adolescence (le président et fondateur de Napster Inc. n'a que 19 ans) et que ces mêmes cracks de l'informatique sont capables de craquer n'importe quel code de sécurité, les Sony, Warner ou Universal de ce monde se doivent de prendre la chose au sérieux et de s'adapter – ou périr. 

On n'arrête pas le progrès 
  
          Les musiciens ont de moins en moins besoin de passer par les grosses maisons de disques pour percer et rejoindre un auditoire. Le net leur permet d'entrer directement en contact avec leurs fans et d'afficher toutes sortes d'informations concernant leurs apparitions, leurs nouvelles compositions, etc. Peut-être que les multinationales du disque n'ont plus leur raison d'être à l'heure du chacun-sa-page-web? Peut-être sont-elles devenues obsolètes? 
 

 
     « II y aura toujours plus d'utilisateurs qui utiliseront toujours plus de nouveaux logiciels leur permettant d'échanger toujours plus de fichiers en utilisant toujours plus de variétés de formats. » 
 
 
          Peut-être que les consommateurs trouvent qu'ils n'en ont plus assez pour leur argent? Qu'ils souhaitent une baisse des prix du DC? Alors comme une grande part du prix de vente de ce disque compact va dans les coffres des maisons de disques, leur disparition serait peut-être la solution? Les mélomanes seraient sûrement moins tentés de se procurer des versions « non autorisées » si les prix baissaient. 

          Et si on se dirigeait vers un monde dans lequel les chansons et les pièces musicales n'étaient que des accessoires de promotions pour la vente de « produits dérivés »? Si au lieu de faire le gros de leur argent avec la vente de disques, les musiciens et les chanteurs le faisaient avec la vente de billets de concerts, de t-shirts et de livres? Si on ne peut contrôler le flot de fichiers numériques sur le net, on peut encore contrôler le flot de spectateurs à un concert. On peut encore contrôler le flot de consommateurs qui achètent – en ligne ou en magasin – des produits dérivés. Toutes ces sources de revenus demeurent contrôlables. 
 
Responsabilités et diversité 
 
          Soyons optimistes. De la même façon que la cassette audio n'a pas mis fin à l'industrie du disque, le format MP3 (ou ses futurs dérivés) ne mettra pas fin à celle de la musique. Malgré un degré de facilité d'échange beaucoup plus élevé, il y en aura toujours qui voudront éviter de se casser la tête et préféreront acheter un produit fini et officiel. D'autres, qui comprennent plus l'ABC de l'économie, verront l'importance d'« investir » dans leurs artistes préférés afin de s'assurer un accès à d'éventuelles nouveautés. 
  
          À preuve, des fans de la formation canadienne The Tragically Hip se sont récemment mobilisés pour empêcher qu'une copie promotionnelle du prochain disque du groupe ne soit vendue sur eBay craignant qu'elle ne soit largement distribuée par la suite sur le web. Pas obligatoirement besoin de lois spéciales pour savoir vivre. Pas besoin d'une formation universitaire pour comprendre que sans revenus, les musiciens peuvent difficilement offrir de nouvelles mélodies. 
  
          L'industrie du disque devra revoir sa façon de fonctionner. Parce que si à court terme son but est de créer artificiellement une crise pour que les gouvernements interviennent et lui achètent un peu de temps en réglementant le web, tôt ou tard, elle devra se rendre compte qu'on ne peut contrôler tous les échanges de fichiers que font des millions d'internautes dispercés sur le globe – à moins d'y engouffrer des sommes faramineuses, bien sûr. Cet exercice est donc futile. 
 
          Mais, connaissant les politiciens et leur amour de l'intervention, ils ne pourront s'empêcher d'engloutir des millions de dollars dans quelque mesure répressive bidon avant de se rendre compte que ça ne sert à rien. Et à voir la tournure que prennent les événements dans la cause qui nous intéresse, l'avenir des échanges sur le net pourrait très bien être compromis. En effet, on apprenait la semaine dernière que la société Napster avait décidé de bloquer l'accès à 300 000 de ses utilisateurs qui téléchargeaient gratuitement des chansons de Metallica sur son site. 
  
 
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