Montréal, 10 juin 2000  /  No 63
 
 
<< page précédente 
 
 
 
Olivier Golinvaux est étudiant (DEA) à la faculté de Droit d'Aix-en-Provence.
 
À BON DROIT
  
FRANCE: LA MASQUARADE DU QUINQUENNAT
 
par Olivier Golinvaux
  
  
          Le petit monde politico-médiatique hexagonal est aujourd'hui agité par une question qui a fait couler bien de l'encre depuis une trentaine d'années; je veux parler de la réduction de la durée du mandat présidentiel de sept à cinq ans. Depuis que Georges Pompidou a lancé un désormais fameux projet de révision constitutionnelle pour ce faire – c'était en 1973, ledit projet s'est manifestement perdu dans les couloirs des palais, il est vrai qu'on l'y a un peu aidé – le quinquennat a régulièrement été en tête des hit-parades. Élections nationales ou écrits de fin d'année en droit constitutionnel dans nos chères facultés, le quinquennat est à la politique ce que Born to be alive de Patrick Hernandez est au disco: un indémodable.
 
          À travers un marasme de petites phrases, de déclarations ampoulées et d'annonces stratégiques, nos mammouths étatiques ont entrepris de nous jouer la comédie du pour et du contre, du « grand débat républicain » et des « enjeux de société ». Ils laissent de plus flotter un suave parfum de référendum – une fragrance qui séduit toujours les narines rousseauistes si nombreuses parmi nous. Je ne vais pas m'étendre longuement sur ce débat « technique », juste de quoi indiquer au lecteur pourquoi je pense qu'il serait vain pour un libertarien de se prononcer en faveur de l'une ou l'autre formule. 
  
Cuisine constitutionnelle: saignant ou bien cuit, votre président? 
  
          Entre la durée du mandat ( 5 ans ou maintien à 7 ans) et son possible renouvellement – limité à X fois ou non – une petite palette de combinaisons est possible, faites votre choix! En effet, il faut ajouter en plus toutes les propositions qui porteront plus largement sur l'ensemble des « institutions » – comme les appellent ceux pour qui ce vocable désigne quelques palais parisiens et les parasites qui y nidifient. Il est vrai qu'une modification sur le volant présidentiel de la constitution de 1958 ne manquera pas d'entraîner des demandes de rééquilibrage dans la foulée, histoire de ne pas « briser notre équilibre institutionnel hérité du Général » (Ah! le Général...). Les socialistes de gauche (le PS) ont d'ores et déjà annoncé la couleur et entendent bien profiter de l'occasion pour s'attaquer au Sénat, vieux bastion des socialistes de droite (RPR, RPF...) 
  
          Je pense que le choix libertarien – celui qui pourrait amener à un amoindrissement des relations politiques dans la société – est proprement absent de cette palette. Tout simplement parce que cette dernière ne concerne à bien le prendre que les hommes du pouvoir entre eux. Il est clair qu'à aucun moment, aucun des protagonistes n'a cherché à mettre en avant un projet visant à amoindrir le politique – c'est même tout le contraire. Dans notre beau pays, il n'est jamais autant question de « marges de manoeuvre », de « respiration démocratique », de « réconcilier les Français sur un projet politique » ou de les « souder autour d'un projet commun » que lorsqu'on ouvre un chantier constitutionnel(1). C'est que nos dinosaures de palais escomptent à chaque fois que le mouton citoyen, dans sa joie d'avoir participé à la « vie de la République », en oubliera les ciseaux du berger et endurera le coeur léger les rigueurs d'une nouvelle tonte d'été... Heureusement (sic) pour eux, les Français sont arrivés à une certaine saturation réglementaire et fiscale, ce qui rend – c'est le bon côté de la chose – ce genre de numéro d'hypnose collective de plus en plus difficile à jouer... C'est là la fameuse « perte du sens politique » sur laquelle nos crackpots universitaires se lamentent. 
  
          La stérilité du débat est patente, un oeil sur les motivations des protagonistes suffit pour s'en rendre compte... Les partisans du septennat – comme l'ineffable Charles Pasqua(2) et toute la (De) Gaulle historique avec lui – mettent en avant l'idée que la longueur du mandat présidentiel actuel laisse les mains plus libres au chef de l'État pour « impulser » une direction au pays dans le cadre de projets de grande ampleur (sic). En clair, ils entendent bien que les esclaves fiscaux et réglementaires continuent à se taire (un peu) plus longtemps une fois le « choix » des urnes effectué. 
  
Une mythologie gauliste 
  
          Derrière le septennat, il y a aussi toute une mythologie gaulliste concernant le rôle « d'impartial arbitre » que jouerait présumément le Président de la République, au-dessus du jeu des partis et loin d'un régime présidentiel à l'américaine. Hors du temps politique, tenant bon la barre du navire France, stoïque que ce Président « à la française! » C'est pourtant bien l'impartial arbitre en question qui vient de lancer le chantier du quinquennat pour ne pas se faire couper l'herbe électorale sous le pied par son premier ministre – quiquenniste lui aussi – conseillé sur ce point par Alain Juppé, le prédécesseur de M. Jospin à Matignon. Hé oui, les présidentielles ne sont pas loin et notre Président-qui-n'est-pas-un-Président-à-l'américaine doit y penser... Fichtre! Qu'est-ce que ça serait s'il en était un! 
  
  
     « Nos chers parasites étatiques ne font rien d'autre que nous prendre à témoin de leurs petites histoires de cuisine intérieure (imaginez-vous dans la marmite d'un groupe de cannibales, interpellés par ces derniers qui se chamaillent sur la manière de dresser la table...). »  
 
   
          Les partisans du quinquennat sont à classer dans deux catégories aussi peu libertariennes l'une que l'autre. D'un côté les constructivistes radicaux du PS pour qui le quinquennat présidentiel ne serait qu'une portion seulement du gâteau de la « modernisation des institutions » – avec la limitation du cumul des mandats, la parité homme-femme, un bon coup dans le bastion de la droite qu'est le Sénat, etc. Ce n'est pas un hasard si les intellectuels (sic) du PS planchent en ce moment même sur de nouveaux « projets de société plus juste et solidaire ». La seconde catégorie est constituée par ces hommes de droite(3) qui veulent sauver les meubles de la « monarchie » gaulliste face aux gauchistes sus mentionnés. Prendre les devants et céder deux ans n'est rien d'autre qu'un mouvement stratégique, peu importe les écrans de fumée – « rapprocher le pouvoir du citoyen », « éviter la cohabitation », etc. 
  
          Eh oui! Nos chers parasites étatiques ne font rien d'autre que nous prendre à témoin de leurs petites histoires de cuisine intérieure (imaginez-vous dans la marmite d'un groupe de cannibales, interpellés par ces derniers qui se chamaillent sur la manière de dresser la table...). Et la sacro-sainte constitution de la République en fera le compte rendu, avec la pompe de rigueur. 
  
          En résumé, je pense qu'il n'y a rien à espérer du débat sur le quinquennat présidentiel, mais probablement pas grand-chose à en craindre non plus, avouons-le. Les Français, ne voulant ni du goulag totalitaire ni de la liberté (surtout pas ça!) resterons les champions de la tyrannie molle, ni plus ni moins dans quelques mois qu'ils le sont aujourd'hui. C'est de la culture d'un peuple que jaillissent les institutions et les constitutions, non le contraire. À mentalités inchangées, horizon politique inchangé. Je fais malheureusement entièrement confiance à nos hommes politiques pour continuer leur séculaire entreprise de sape du marché, dans le cadre des « institutions » actuelles comme dans le cadre éventuel d'institutions refondues. 
  
          Pour conclure, je dirai qu'encore une fois, le bon choix libertarien au jour du référendum sur le quinquennat – s'il a lieu – serait de bouder les urnes, façon polie de dire à ces messieurs de la famille que nous n'avons que faire de leur mascarade. 
 
 
1. Je suis sceptique au possible sur la possibilité per se de limiter sérieusement la croissance (naturelle, remarquait Bertrand de Jouvenel dans Du Pouvoir) du pouvoir d'État par des mécanismes constitutionnels, à moyen et long terme. C'est bien sur là un sujet de débat chez les libertariens entre les anarcho-capitalistes et les minimalistes. Nonobstant ce point, mon propos est de relever que la tradition constitutionnelle française, aux antipodes du minimalisme étatique libéral des pères fondateurs de la constitution américaine par exemple, est au contraire axée sur l'idée d'asseoir et de conforter le pouvoir d'État. Littéralement, l'idée en France est que la constitution est faite POUR l'État alors que quelque part, pour un Thomas Paine ou un Thomas Jefferson, elle se devait d'être une barrière CONTRE celui-ci, au bénéfice des gens.  >>
2. Président du RPF, Rassemblement pour la France.  >>
3. C'est l'ancien Président-arbitre-impartial Valéry Giscard d'Estaing qui a lancé le débat, notamment à partir d'un site web, Quinquennat.net  >>
 
 
Articles précédents d'Olivier Golinvaux
 
 
<< retour au sommaire
 PRÉSENT NUMÉRO