Montréal, 5 août 2000  /  No 65
 
 
<< page précédente 
 
 
 
NUMÉRO SPÉCIAL:
NOTRE TRADITION LIBÉRALE
 
DE L'IMPORTANCE ET DES DEVOIRS
DU COMMERCE (suite)
 
 
<< première partie
 
 
          Pour revenir à notre sujet, nous disions que le commerce, en mettant les peuples civilisés en contact avec les peuples barbares, amenait ces derniers avec le temps dans la voie de la civilisation; et c'est là l'histoire de presque tous les peuples civilisés anciens et modernes. La conquête a bien pu subjuguer, mais il a fallu que le commerce soit survenu pour compléter l'oeuvre du conquérant et le consolider par l'assimilation des goûts, des besoins et des idées. Nous en avons sous les yeux deux exemples bien frappants, un dans l'Amérique espagnole, où les descendants des anciens habitants se sont assimilés à leurs conquérants, assimilation qui n'est pas encore complète, mais qui le sera bientôt, au point qu'il sera aussi difficile de distinguer un descendant des Incas qu'un Espagnol, qu'il l'est aujourd`hui en France de distinguer un Gaulois d'un Franc. 
  
          L'autre exemple, nous le trouvons dans l'Indoustan où, grâce à l'influence bénigne du commerce, cent cinquante à deux cents millions d'hommes reçoivent la loi d'une compagnie de marchands anglais, s'imprégnant lentement, il est vrai, mais visiblement, des idées plus avancées de la civilisation européenne. Et cette immense conquête, c'est au commerce et au commerce seul qu'elle est due; c'est une compagnie de marchands qui a doté l'Angleterre d'un des empires les plus riches et les plus peuplés de la terre. C'est une des plus grandes oeuvres qu'ait jamais opérées le commerce; et c'est à bon droit qu'elle parle de ses Princes Marchands, cette grande nation anglaise, que Napoléon, dans ses moments de dépit, appelait un peuple de boutiquiers. Peuple de boutiquiers... mais qui du fond de ses boutiques fut toujours le plus grand obstacle à l'ambition désordonnée du grand homme, et qui empêcha peut-être une seconde Rome de pressurer de nouveau le monde.  
  
          S'il est possible, ce dont je doute, s'il est désirable, ce dont je doute encore davantage, qu'il y ait sur notre terre une domination universelle, ou l'unité gouvernementale, que ce soit sous les auspices du génie commercial; car avec les idées plus éclairées qui se répandent en fait d'économie politique, ce sera le régime le plus favorable au bien-être de l'humanité. Les nouvelles idées, vous le savez, sont en faveur du libre échange, et l'Angleterre, disons-le à son éternel honneur, a pris les devants dans cette carrière, à la voix d'un grand homme d'État, Sir Robert Peel, enlevé trop tôt à la cause du commerce libre. 
  
          Laissez faire, répondit un marchand français à un roi qu'il avait obligé, et qui lui demandait ce qu'il pouvait faire pour le commerce. Oui, laissez-les faire, et ils iront vous chercher sous toutes les zones les articles que chacune peut produire au plus bas prix, les échangeant avec ceux que vous pouvez vous-mêmes produire aux mêmes conditions. De cette manière il n'y aura plus rien d'artificiel, de forcé dans l'industrie des peuples, les fluctuations ruineuses cesseront, la production se balancera avec la demande, le travail de l'homme dans chaque pays s'exercera sur ce qu'il y a de plus assuré, et des millions d'ouvriers ne seront plus livrés aux horreurs de la famine par un tarif inopinément passé à mille lieues d'eux. 
  
          Encore une fois, laissez faire le commerce, et vous verrez comme il saura remplir la mission providentielle dont il est chargé, de rapprocher les hommes, de les faire se connaître, se communiquer leurs idées, échanger leurs richesses, et par là de réformer la grande famille humaine dispersée à la Tour de Babel. Il s'est fait et se fait encore de beaux rêves sur la fraternité humaine, sur les moyens d'arriver à la fraternisation universelle. Le plus sûr de ces moyens, nous l'avons dans le commerce, dans le commerce libre. Le commerce a besoin de toutes les libertés, comme de toutes les énergies; il lui faut des hommes libres et industrieux. Aussi toutes les grandes nations commerciales ont-elles été des nations libres. Si elles n'ont pas toujours et toutes été libérales, elles le seront désormais; car on s'aperçoit aujourd'hui qu'on ne peut faire de commerce avantageux qu'avec les peuples riches, et qu'opprimer des peuples plus faibles que soi, c'est tout simplement s'ôter des acheteurs. Voyez comme toutes les nations s'alarment lorsque la guerre menace d'éclater sur quelque point important; comme les offres de médiation arrivent de toutes parts. C'est le commerce qui cause cette émotion; il sent qu'il va perdre des acheteurs et des vendeurs. Sous ce rapport, le commerce est un grand pacificateur, et ce n'est pas son moindre mérite, puisque la guerre est le plus grand des fléaux pour les nations. 
  
          (...) 
  
          L'histoire moderne offre un phénomène commercial si frappant, se rattachant aux considérations que je viens d'exposer, et aux études que doit faire un marchand, que je ne puis résister au désir de vous le signer, dût-il nous écarter un peu de notre sujet. Je vous ai parlé, il y a un instant de la découverte de l'Amérique, et de l'importance de cet événement pour l'humanité tout entière. Aussitôt l'arrivée de cette grande nouvelle en Europe, toutes les nations commerciales et maritimes voulurent avoir leur part du Nouveau Monde, et l'on alla jusqu'à s'adresser au Pape, encore puissant alors dans les affaires temporelles, pour en avoir chacun la meilleure part possible. Grands débats, force intrigues à ce sujet, qui, ma foi, en valait bien la peine. Finalement l'Espagne, en sa qualité de premier occupant, car c'était sous son drapeau que Christophe Colomb avait découvert l'Amérique, eut la meilleure part, consistant dans toute l'Amérique du Sud et dans le Mexique, partie dans une des Amériques, partie dans l'autre. La France eut la meilleur part ensuite, comprenant tout ce qui restait de l'Amérique du Nord, à l'exception de ce qui constituait alors la Nouvelle-Angleterre, apanage de la vieille Angleterre. La Hollande eut la Nouvelle-Amsterdam, aujourd'hui New York, que l'Angleterre ne tarda pas à lui enlever. Eh! bien, qui aurait prédit alors que la plus mal dotée de toutes les puissances européennes, à l'exception de la Hollande, qui n'eut jamais guère plus qu'un comptoir en Amérique, serait justement celle qui profiterait le plus de la découverte et de la possession de l'Amérique? Et que celle qui en profiterait le moins serait la plus richement partagée de toutes? C'est cependant ce qui est arrivé. L'Angleterre a considérablement augmenté sa richesse et sa puissance par l'Amérique, et l'Espagne lui doit sa ruine, et d'être descendue du rang de puissance du premier ordre au rang de puissance du troisième ordre. Et si la France ne s'y est pas ruinée aussi, cela est dû à ce qu'elle était plus commerçante, plus industrielle que l'Espagne; car c'est à son manque de génie commercial et industriel que l'Espagne doit sa perte, comme c'est à la possession de ces qualités, à un degré éminent, que l'Angleterre doit son salut. 
  
          Savez-vous ce que faisait l'Espagne des métaux précieux qui lui arrivaient chaque année du Mexique et du Pérou, à pleins galions? Elle les envoyait en France, en Angleterre et ailleurs, en échange des produits manufacturés de ces pays, qu'elle consommait, ou envoyait à ses colonies d'Amérique. Un bon jour les galions reviennent plus rares et moins chargés; mais la fière Espagne n'en devient pas plus industrieuse et continue à faire travailler les étrangers, qui par là reçoivent le profit clair et net de ses mines, entretenant par ce moyen des classes nombreuses d'ouvriers en tout genre. À la fin, les colonies se révoltent, déclarent et maintiennent leur indépendance, et de ce jour adieu les galions, qui s'en vont tout droit aux pays qui leur fabriquent et fournissent les marchandises dont elles ont besoin. Et l'Espagne, leur mère, après avoir joué le premier rôle dans le monde, en est réduite à marcher tantôt à la lisière de la France, tantôt à celle de l'Angleterre. Et tout cela, pour n'avoir pas voulu être industrieuse et commerciale. L'Angleterre aussi perd ses plus belles colonies d'Amérique; mais voyez la différence: cet événement, loin d'affecter sa prospérité, ne fait que l'augmenter. Bristol, quelques années après la reconnaissance de l'indépendance des États-Unis, est obligé d'agrandir son port, qui ne suffisait plus au commerce que cette ville faisait avec les États. C'est que l'Angleterre avait établi avec ses colonies des relations commerciales et industrielles, que la guerre pouvait interrompre, mais que la paix devait faire renouer; c'est en d'autres mots, que l'Angleterre ne faisait pas faire aux autres ce qu'elle pouvait faire elle-même avec avantage.  
  
          On peut remarquer, sous ce rapport, des efforts bien louables, bien patriotiques chez quelques-uns de nos marchands et industriels, et le Canada a dû s'enorgueillir de voir présenter à la grande Exposition de l'Industrie tenue l'été dernier à Londres, des produits canadiens fort remarquables et fort appréciés, au premier rang desquels je ne crains pas de placer les cuirs de marsouin, corroyés par M. Charles Têtu, de la Rivière Ouelle. Ce qui recommande cette découverte, car c'en est une, c'est qu'elle nous a révélé une richesse ignorée partout, en donnant une valeur à un article qui n'en avait aucune auparavant. La même maison a introduit sur nos marchés des huiles de poisson qui ne le cèdent guère en beauté aux plus fines huiles de Florence; et l'on sait les sacrifices qu'elle a faits pour introduire des procédés améliorés dans les pêches de notre fleuve et de notre golfe. Voilà le marchand comme je l'entends; voilà, jeunes amis, le marchand que je vous offre pour modèle. Puisse votre génération en produire un grand nombre comme lui! car il faut bien le dire, apparent rari nantes, ils ont été bien rares dans les générations qui vous ont précédés. Autrement nous n'aurions pas la douleur et la honte de voir encore les armateurs étrangers venir, tous les ans, exploiter nos riches pêcheries du golfe, et faire la loi à nos pauvres pêcheurs jusque dans nos propres eaux. 
  
  
     « Laissez faire le commerce, et vous verrez comme il saura remplir la mission providentielle dont il est chargé, de rapprocher les hommes, de les faire se connaître, se communiquer leurs idées, échanger leurs richesses, et par là de réformer la grande famille humaine dispersée à la Tour de Babel. » 
 
 
          Nous avons là, sous nos pieds, la plus riche mine de l'univers, mais qui demanderait d'être exploitée en grand pour que nous puissions soutenir la concurrence avec les étrangers. Et il ne s'est encore trouvé, dans notre corps commercial, assez d'esprit public pour former une puissante compagnie à cette fin. Il en fut bien question, il y a quelques années, à l'instance d'un de nos marchands les plus actifs, que des revers de fortune ont malheureusement assailli depuis, mais le projet mourut en germe, comme beaucoup d'autres semblables; et cette mine inépuisable est encore, en autant que nous y sommes concernés, laissée aux efforts insuffisants, à l'exploitation impuissante de quelques pauvres armateurs, exploités eux-mêmes par les armateurs étrangers. 
  
          Je dois signaler ici une plainte, bien fondée jusqu'à un certain point, que j'ai entendu formuler plus d'une fois par nos marchands, et au moyen de laquelle ils prétendaient expliquer l'état arriéré de nos pêcheries; c'est que notre législature a négligé de mettre nos pêcheurs sur un pied d'égalité vis-à-vis des pêcheurs étrangers qui reçoivent, eux, de leurs législatures, sous différentes formes, des primes d'encouragements, qui empêchent nos propres pêcheurs de soutenir contre eux une concurrence avantageuse et détournent nos capitalistes et nos industries de cette branche importante. Notre législature a bien dégrevé de certaines droits d'entrée les principaux articles destinés aux pêcheries, mais il paraît que ce n'est pas assez, et qu'il faudrait en outre des primes, telle qu'en reçoivent les pêcheurs et armateurs étrangers. 
  
          En ma qualité de libre échangiste, je suis en principe opposé aux primes d'encouragement tout comme aux droits protecteurs. Mais je ne suis pas de ceux qui disent: Périsse la Patrie plutôt qu'un principe! Moi je dis: Vive la Patrie avec les principes intacts, si ça se peut, mais avec les principes modifiés, s'il le faut. Les principes de l'économie politique ne sont pas absolus comme ceux de la morale, avec lesquels on ne transige pas; ce ne sont que des théories humaines, et partant nécessairement flexibles et variables, comme l'homme qui les conçoit: la morale vient de Dieu, est immuable comme son auteur; la politique vient de l'homme, elle est muable comme lui et le milieu où il vit. C'est pourquoi, tout libre échangiste que je prétends être, je suis bien prêt à admettre que, dans un jeune pays où les capitaux et l'expérience manquent, il est bien à propos de protéger dans les commencements les industries évidemment viables par elles-mêmes au bout d'un certain temps; comme aussi je suis prêt à admettre la légitimité des primes d'encouragement, lorsqu'il en existe pour les étrangers avec lesquels nos nationaux ont à entrer en concurrence. Aux rigides économistes, je ferai remarquer que cette mesure serait justement le moyen de faire cesser les primes d'encouragement accordées aux étrangers; car lorsqu'il y a des primes pour tout le monde, c'est comme s'il n'y en avait pour personne. Alors les peuples étrangers ne tarderaient pas à mettre fin à des encouragements, qui n'auraient plus d'objet général, et d'un commun accord l'on ferait partout main-basse sur les primes et les bonus.  
  
          Mais je ferai remarquer, au sujet de la plainte signalée plus haut, que la formation d'une ou de plusieurs compagnies puissantes et influentes serait justement le moyen d'obtenir de notre législature l'encouragement réclamé. À l'heure qu'il est, si on accordait un pareil encouragement, il serait à craindre qu'il ne tournât au profit même des armateurs étrangers, qui sont en possession du marché. Organisez donc quelque chose de respectable, présentez des garanties, donner des preuves d'une ferme détermination d'agir, et soyez sûrs que l'opinion publique et la législature ne vous manqueront pas. Je n'ai pas étudié la matière, mais je doute fort que les encouragements extraordinaires que reçoivent les pêcheurs étrangers leur aient été donnés avant qu'ils eussent fait déjà beaucoup par leurs efforts individuels, et eussent par là convaincu leurs législatures que l'encouragement demandé remplirait bien son objet. Faites donc de même. 
  
          Si nous jetons les yeux sur les fabriques domestiques, nous verrons que nous, habitants du vieux Canada, nous sommes, pour un bon nombre, tributaires des habitants du Haut-Canada, sans parler de nos autres voisins du côté du sud. Nos sceaux, nos balais et mille autres articles d'usage domestique, nous viennent du Haut-Canada. Véritablement nous mériterions que nos ménagères fissent usage de leur arme naturelle, du manche à balai, pour nous réveiller et nous forcer à devenir plus industrieux. Ce ne sont pourtant pas les bras qui nous manquent, dans un pays où toute la population agricole est presque inoccupée pendant cinq mois de l'année. Ce n'est pas non plus la force hydraulique qui nous fait défaut, car sous ce rapport nous sommes mieux partagés que le Haut-Canada, où les fabriques domestiques se multiplient, faisant, partout où elles existent, surgir de terre des villes ou villages florissants. Qu'on ne dise pas non plus que les capitaux nous manquent; car s'il n'y a pas partout accumulation de capitaux en peu de mains, partout il y a l'association. Ce qu'un homme ne peut pas faire, deux, quatre, dix, cent le peuvent, sans gêner leurs opérations ordinaires.  
  
          (...) 
  
          Ce qui nous manque, avouons-le, c'est chez les uns l'esprit public, chez les autres, le grand nombre, le manque de l'instruction suffisante, d'abord pour concevoir et mûrir l'idée d'une entreprise industrielle, et ensuite pour la réaliser avec des chances de succès. 
  
          Notre éducation commerciale et industrielle a été à peu près nulle jusqu'à présent, se réduisant presque à celle que l'on peut faire derrière un comptoir ou dans un atelier, et ce n'est pas assez. Il a fallu véritablement une persévérance et des talents extraordinaires à ceux d'entre nous qui, sans autre éducation que celle-là, ont pu parvenir à quelque distinction dans le commerce de l'industrie. Il y a longtemps que je déplore, avec tous les amis du pays, que le cours de nos collèges ne puisse être changé, de façon à reléguer à la fin du cours les études purement classiques, comme celles des langues savantes, qui font perdre un temps considérable aux jeunes gens qui ne sont pas destinés aux professions libérales, et qu'on pourrait, ce me semble, faire commencer avec les Belle-Lettres. Mais il paraît que cet arrangement entraînerait de grands inconvénients. C'est au moins ce que m'écrivit un jour le Supérieur d'un de nos premiers collèges, sans me spécifier, cependant, aucun de ces inconvénients. Si ces inconvénients sont insurmontables, j'en serai bien fâché, car il faudra penser à établir des écoles laïques pour répondre aux besoins de notre société, et j'aime beaucoup à voir la jeunesse sous la tutelle de notre clergé jusqu'au moment où elle entre dans le monde. Remarquons cependant qu'un corps religieux enseignant, nouvellement introduit dans le pays, a entrepris, dans quelques-uns de nos collèges, de donner exclusivement l'espèce d'enseignement dont il est question. Puisse cette oeuvre réussir et se propager dans toutes les pays du pays! 
  
          En attendant, avec le plan que je propose, on remplirait les trois ou quatre premières années par l'étude des langues anglaise et française, de l'arithmétique, de l'histoire, de la moderne surtout et principalement sous son côté commercial et industriel, de la géographie, de l'économie politique, en y mêlant la tenue des livres. Avec des connaissances passables dans ces différentes branches, les jeunes gens qui ne se destinent pas aux professions libérales sortiraient du collège avec tout ce qui est nécessaire pour le commerce et la haute industrie. Avec ces connaissances, qu'il perfectionnerait dans sa spécialité, le jeune homme pourrait suivre le cours du mouvement commercial et industriel tant à l'intérieur qu'à l'étranger, chose vitale; car le grand secret du commerce gît dans l'observation exacte des faits et des événements contemporains. L'étude des temps passés facilite bien l'intelligence et l'appréciation du temps présent, mais ne les donne pas; elle vous ouvre la voie, mais elle vous laisse à l'entrée de vos propres forces, à vos propres méditations. Mais si vous manquez totalement d'instruction, vous courez le risque de rester en deçà de la barrière.  
  
          Vous au moins, jeunes amis qui m'écoutez, si, comme ce doit être le cas pour plusieurs, vous manquez de l'éducation qu'il faut pour le commerce, allez pouvoir, pendant vos longues veillées d'hiver, réparer en partie le temps perdu. Ce serait vous faire injure que de penser que vous ne répondrez pas à l'intention bienveillante de vos patrons, qui vous procurent un avantage dont ils ont été privés pendant leur noviciat. Ils s'attendent à ce que vous en profitiez, et le public qui s'impose aussi une privation, s'y attend pareillement. Je vous ai parlé des devoirs et des obligations que vous auriez à remplir étant marchands; rappelez-vous qu'il est un devoir préliminaire non moins obligatoire, celui de vous bien préparer à ceux qui vous attendent dans l'avenir, au nombre desquels j'en ai oublié un bien important dans l'état politique où nous vivons. Savez-vous, Messieurs, que votre génération attend de vous des hommes d'État, des hommes capables de l'éclairer, de la guider dans les affaires financières du pays, d'en contrôler, d'en assumer au besoin l'administration; capables d'embrasser toutes les grandes questions d'économie politique, et d'être les guides sûrs pendant l'ère des grands travaux publics, des grandes entreprises nationales, qui ne fait que s'ouvrir pour le Bas-Canada? La tâche est grande et difficile sans doute; mais elle est si belle, si noble qu'au lieu de vous décourager, elle fera battre vos jeunes coeurs et les remplira d'une chaleureuse émulation.  
  
          À l'oeuvre donc, mes jeunes amis. Vous avez un des plus beaux, un des plus riches pays du monde à exploiter, et des hommes qui ne vous étaient pas supérieurs, de lagunes stériles, de plages sablonneuses, de rochers arides, ont fait des pays prospères, puissants et renommés. En avant donc! avec un pays comme le nôtre, on court plus de risque en allant trop doucement qu'en allant trop vite. Nous avons du côté du couchant une contrée immense, qui sera bientôt le grenier de l'univers, et dont notre Saint-Laurent est le débouché naturel vers la mer. Nos clairvoyants et entreprenants voisins font des efforts surhumains pour nous arracher cette riche proie, commandant à l'art des travaux vraiment prodigieux pour contrebalancer nos avantages naturels. Sera-t-il dit qu'ayant la nature pour auxiliaire et combattant à nos côtés, nous perdions la victoire? Non, vous ne le permettrez pas, et au cri de nos pères vous ajouterez un autre mot, et vous crierez: Patrie, Liberté et Progrès! 
 
 
Entrevues et Mot pour Mot précédents
 
 
<< retour au sommaire
PRÉSENT NUMÉRO