Montréal, 30 septembre 2000  /  No 68
 
 
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Brigitte Pellerin est apprentie-philosophe iconoclaste, diplômée en droit et en musique. Elle poursuit des études supérieures en science politique. 
 
BILLET
  
SUBVENTION À LA DÉPENDANCE
 
par Brigitte Pellerin
  
  
          La dépendance, c'est comme les accidents d'auto: tout le monde est convaincu que ça n'arrive qu'aux autres. Jusqu'au jour où...  

          Eh oui, tout le monde est dépendant de quelque chose, ou de quelqu'un. Personne n'y échappe; on vient tous au monde comme ça. Puis, en grandissant, on se débrouille comme on peut pour s'affranchir du cordon ombilical, pour apprendre à voler de ses propres ailes, pour se « libérer » des ficelles encombrantes.

 
          Et qu'est-ce qu'on se raconte, dis donc, comme histoires à dormir debout. Vous connaissez quelqu'un qui n'est absolument dépendant de rien, vous?  
  
          Prenez moi, par exemple. Je ne sais pas comment je pourrais me passer de café au lait, de mon demi-verre de rouge, des frites du Coaster's (coin Parc/Prince-Arthur, les meilleures en ville), de mon jogging quotidien, de mes cigarettes – je sais, c'est un peu bizarre, mais que voulez-vous, je suis bourrée de paradoxes. Je ne pourrais certainement pas vivre sans mes bouquins ou mon piano. Et que dire de la téloche? Vous croyez qu'une vie sans The West Wing vaut la peine d'être vécue? 
 
          Humpf.  
 
De voitures et de cigarettes 
  
          D'accord, il y a des trucs pires que d'autres. Je ne sais pas ce que c'est d'être en manque d'héroïne, ou d'avoir besoin de trois vodkas avant l'heure du lunch. Je ne vais pas vous faire la leçon à ce sujet; je suis trop mal placée pour ce faire. Je vais donc me concentrer sur la dépendance « légère », celle qui se guérit avec soit 1) un peu de volonté; soit 2) un grand coup de pied au cul. 
 
          Plus particulièrement: la cigarette et l'automobile. Jamais on ne me fera croire qu'il s'agit là de deux dépendances dont personne ne peut s'affranchir. 
 
          Pensez aux gens autour de vous. Combien d'entre eux sont d'ex-fumeurs? Ils ont réussi, non? Et pourtant, ils sont loin d'être super-humains. Du monde bien ordinaire qui, un beau matin, décident qu'assez c'est assez. Ils écrasent et puis c'est tout. Évidemment, il y a les risques de rechute, la prise de poids, les sautes d'humeur. Mais quand on est décidé à arrêter, c'est possible de le faire. 
 
          Ditto pour l'auto. Je n'ai jamais fait d'étude scientifique à ce sujet, mais je dirais qu'au moins la moitié des automobilistes pourraient facilement réduire leur utilisation à quelques kilomètres par semaine. Transports en commun, vélo, trains de banlieue, marche, tous des moyen de transport honorables. Tous moins dispendieux que la bagnole individuelle – à moins bien sûr que le temps perdu dans les bouchons de circulation ne compte pour rien dans votre livre-à-vous. 
 
          Deux petites dépendances bien insignifiantes, donc. Deux petites choses dont on pourrait facilement se passer si seulement on s'en donnait la peine. 
 
  
     « Rien ne se perd, rien ne se crée; une réduction de taxes pour les uns se traduit par une augmentation de taxes, ou une réduction de services, pour les autres. » 
 
 
          Mais voilà, on ne veut pas vraiment se donner la peine de s'affranchir de la cigarette ou de la voiture. Peut-être rêve-t-on de s'en débarrasser, mais entendons-nous bien; seulement si c'est sans efforts et sans douleur.  
 
          Parce que souffrir, personne n'aime ça.  
 
Virage revendication 
  
          Alors on se tourne vers les gouvernements et on braille pour recevoir de l'aide. Et ça marche. On se regroupe, on chiale en choeur, et bingo! le gouvernement se sent « l'obligation » d'agir.  
 
          C'est magique. Et en plus, avec la multitude de gouvernements qu'on a, on a au moins une demi-douzaine de personnes différentes vers qui se tourner. Suffit d'avoir juste assez de patience; il y en aura bien quelqu'un qui finira par dire oui. 
 
          Le gouvernement fédéral, vous l'avez entendu comme moi, songe à réduire le prix de l'essence. On ne sait pas trop encore comment il s'y prendra – réduction de taxes ou ristournes aux automobilistes. Mais qu'importe. Ce qui compte, c'est que le gouvernement se servira de ses énormes pouvoirs pour rendre la dépendance à l'automobile plus « supportable » aux automobilistes. 
 
          Question: l'argent qu'ils mettront à plaire aux propriétaires de bagnoles, ils le prendront où? Vous croyez que le gouvernement se contentera d'un « trou » dans son budget? Pfeu, bien sûr que non. Rien ne se perd, rien ne se crée; une réduction de taxes pour les uns se traduit par une augmentation de taxes, ou une réduction de services, pour les autres. Je n'ai rien contre les propriétaires de voitures – si ça les amuse de tourner en rond sans arrêt à la recherche d'un stationnement, c'est leur affaire. Ce que je dis, c'est qu'ils ne devraient pas imposer les coûts de leurs choix aux autres. 
 
          Mais bon, il ne faudrait pas rêver en couleurs. Le gouvernement fédéral ADORE se servir du système fiscal pour avantager les uns aux dépens des autres. 
 
Pendant ce temps, à Québec... 
 
          Ce qui ne veut pas dire qu'on se tourne les pouces au niveau provincial. La Presse de samedi dernier rapportait en première page que le régime d'assurance-médicaments québécois remboursera désormais les principaux produits pharmacologiques – par exemple les gommes Nicorette, les « patches » ou les comprimés Zyban – qui aident à cesser de fumer. On parle de cinq millions de dollars; ce n'est pas la fin du monde, mais c'est tout de même un montant considérable. Sans compter les dépassements de coûts qui, comme les tempêtes en hiver, ne manquent jamais de se produire. 
 
          Encore une fois, d'où viendra cet argent? De la poche de tout le monde, y compris ceux qui n'ont jamais touché à une cigarette de leur vie. 
 
          La morale de cette histoire? Bien que certaines dépendances soient mauvaises pour votre santé, l'environnement ou votre portefeuille, allez-y sans crainte. Amusez-vous, gaspillez vos sous sur une bagnole qui, en plus de polluer l'air de tout le monde, vous fait perdre un temps fou dans le trafic. Ne réfléchissez pas avant de commencer à fumer; le jour où vous voudrez arrêter, le gouvernement vous y aidera. 
 
          La dépendance est subventionnée, dans ce beau coin de pays. Elle est belle, leur société. 
 
 
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