Montréal, 11 novembre 2000  /  No 71
 
 
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Yvan Petitclerc est historien et habite à Montréal.
 
OPINION
 
LE VRAI TABOU DE LA
DISCRIMINATION POSITIVE
 
par Yvan Petitclerc
 
 
          « As I have argued before, you can call my people anything but non visible is risible. »  
Mordecai Richler,
National Post, 16 octobre 1999
 
          « Until the late 1960s, California had probably had less experience with racial politics that most of America's other large states. It's Asian community although the nation's largest was still negligible in size and power accounting to just 2 or 3% of the general population [...] Hispanics had not yet been invented as an American racial group by federal bureaucrats and so were perceived much like Italians, Arabs and other darker Caucasians of marginal social status [...] Thus ten of millions of penniless European immigrants around the turn of the century were initially viewed as "aliens of a foreign race" but through the ideology and the reality of the American melting pot were transformed into whites within a generation or two [...] Hispanics were not even classified separately from other Caucasians prior to the 1970 census... » (Ron Unz, Commentary, Novembre 1999) 
  
          De nos jours, on dit qu'il n'y a plus de tabous ou de questions dont on ne parle pas. Faux. Il y en toujours au moins une et elle concerne la question raciale et les Juifs. Et ce particulièrement en regard de cette notion de promotion de la diversité, voire des minorités. Mais au fond il n'y a rien d'étonnant à ce qu'on n'en parle pas. C'est la confusion totale. Sans compter l'interdit qu'a jeté sur cette question toute l'horreur de la Seconde Guerre mondiale. 
  
          Résultat? On a aujourd'hui d'un côté des mouvements suprémacistes du « White Power » qui en plus de s'attaquer aux Noirs par exemple, s'attaquent aussi aux Juifs alors que de fait, paradoxe total, les Juifs sont pour l'immense majorité des Blancs. Non seulement il n'y a pas grand-monde dans le New Hampshire, le Montana ou la Gaspésie qui voit Sharon Stone ou Jerry Seinfeld comme appartenant à une minorité visible, mais en plus ce sont souvent même des Juifs qui ont incarné au fil des ans l'image de la « All American » blanche Amérique. Pensons seulement au célèbre John Forsythe, le magnat de Dallas (de son vrai nom Jacob Freund). Mais avant d'aller plus loin faisons d'abord un bref rappel des quelques repères historiques question de bien situer l'évolution de ce paradoxe. 
  
Tabou! Quel tabou? 
 
          En 1996, suite à certains incidents s'étant produits entre les communautés juive et noire et ayant donné lieu à des excès verbaux de la part de membres cette dernière, le Jewish Post de New York écrivait: « Depuis déjà longtemps les Juifs et autres Blancs demandent que la rhétorique anti-Blancs et antisémite soit traitée et combattue aussi durement et vigoureusement que les actes biaisés ou discours haineux envers les Noirs. » 
  
          Quelques mois plus tard, commentant un ouvrage tentant de jeter un nouveau pont entre les deux groupes, le quotidien USA Today écrivait: « Les néo-conservateurs juifs de même que le malaise des Juifs envers les politiques de discrimination positive basée sur leur opposition aux quotas ont amené plusieurs Noirs à se sentir trahis. » (Novembre 1997) 
  
          Sur le site du Congrès juif mondial: « L'Afrique du Sud est caractérisée par des vagues d'émigration et le nombre de Juifs y vivant est tombé à quelque 92 000. Les Juifs sud-africains sont victimes du crime et de la violence contre tous les Blancs et ils choisissent d'émigrer en Australie et autres pays de langue anglaise. » (Septembre 1998) 
  
          David Horowitz dans Salon magazine à propos des meurtres de Nicole Simpson et Ron Goldman (Juif) par l'ex-vedette de football O.J. Simpson: « Il y a deux ans, le procès le plus célèbre concernait un Noir accusé du meurtre de deux Blancs dans un apparent acte de violence aveugle... Le fait est qu'il n'est pas acceptable aux États-Unis de détester les Noirs mais qu'il est acceptable dans notre culture de la rectitude politique de détester les Blancs. » (25 octobre 1998) 
  
          Dans Forbes Magazine, Puff Daddy (le rapper) préfère parler de sa marque et de son désir de surpasser le plus important Blanc du monde de la musique, un milliardaire: « Je serai plus important et plus riche que David Geffen, dit-il. Le flambeau doit être passé à quelqu'un. C'est la seule raison pour laquelle je suis dans cette affaire. » (22 Mars 1999) David Geffen est évidemment juif.  
  
  
     « Il y a 12% de Noirs aux USA et 80% dans la NBA. Un quota pour diminuer leur nombre dans la NBA tant qu'à y être? Il y a 3 ou 4% d'Asiatiques aux États-Unis, mais ils raflent 40% des prix scolaires en sciences. Un quota pour diminuer leur nombre? » 
 
  
          Il est à noter par ailleurs que toute cette problématique n'a rien de complètement nouveau. En 1966 lors d'une entrevue qu'il réalisa avec le chef du Parti nazi américain, George Lincoln Rockwell, pour le compte du magazine Playboy, l'écrivain noir Alex Haley (Roots) questionnait déjà les accusations de ce dernier (supposé complot juif pour détruire la civilisation blanche) en ces termes: « Vous dites que les Juifs sont derrière ce complot. Comme ils sont eux-mêmes blancs, comment bénéficieraient-ils de leur propre destruction? » 
  
          À la même époque, l'ex-champion boxeur Muhammed Ali faisait d'ailleurs lui aussi cette même association lors d'un entretien avec le magazine Playboy: « Regardez, on nous a dit qu'il y aura des Blancs qui aideront les Noirs. Et nous savons aussi qu'il y aura des Blancs qui échapperont au jugement d'Allah, qui ne seront pas détruits quand Allah détruira ce pays – particulièrement certains Juifs qui se préoccupent de justice et font le bien. » 
  
Deux poids, deux mesures 
  
          Aussi cruellement ironique ou arbitraire que tout cela puisse apparaître, particulièrement en regard de la notion de race dans l'histoire, tout cela n'en est pas moins extrêmement révélateur de certaines tendances lourdes et inévitables. Car si les Juifs par exemple sont toujours (dans certains contextes) membres d'une minorité aux États-Unis ou au Canada par exemple, il ne peuvent cadrer dans la notion actuelle daffirmative action » pour une minorité visible. Et c'est là que toutes les contradictions relatives à la dite notion de diversité trouvent leurs sens. 
  
          Aujourd'hui par exemple, on parle beaucoup de quotas visant à faire la promotion de la diversité (mot devenu complètement fourre-tout s'il en est un) au sein de la fonction publique québécoise. Or attardez-vous un moment à l'utilisation de cette notion dans la majorité des médias et vous vous rendrez rapidement compte que l'on parle tantôt de « minorités », tantôt de « diversité », tantôt encore de « minorités visibles » ou de « communautés culturelles » et ce, comme si tous ces termes étaient parfaitement interchangeables. De même les accusations de certains reprochant une absence de diversité ne tiennent bizarrement jamais compte de la diversité juive au sein des pans de la société auxquels ils s'attaquent. 
  
          Voyez un peu: « Les grandes chaînes ont aussi multiplié les sitcoms exclusivement blancs à la Seinfeld. » (La Presse, 8 août 1999) 
  
          Mais de quoi parle-t-on ici? Les Jason Alexander, Jerry Seinfeld et Julia Louis-Dreyfus ne sont tout à coup plus le reflet d'une diversité? Au fait, est-ce que pour une organisation noire ou Latino, Steven Spielberg, Jeffrey Katzenberg et David Geffen du nouveau studio DreamWorks (tous les trois Juifs et multi-millionnaires) sont l'incarnation de méchants capitalistes blancs oppresseurs des minorités?... Idem pour Larry Ellison, le fondateur d'Oracle ou encore Edgar Bronfman peut-être? 
  
          On peut aussi penser au monde du sport professionnel. Lors de la grève passée des joueurs de basketball de la NBA on entendait couramment dire qu'il n'était pas normal qu'une ligue qui compte 80% de joueurs noirs ne comptent que des propriétaires blancs. Or parmi ces propriétaires blancs se trouvent des Juifs tels Walter Haas des A's d'Oakland, Barry Ackerly des Supersonics, Ted Arison du Heat de Miami, Gordon Gund des Cavaliers de Cleveland, Jerry Reinsdorf des Bulls de Chicago ou encore Donald Sterling des Clippers. Sans compter David Stern, le commissaire, également juif. Doit-on conclure que pour une organisation vouée à la promotion de la diversité, il n'y en a donc pas au sein des propriétaires de la ligue professionnelle de basketball? 
  
          Parlez de la promotion des minorités au sens large et les Juifs en font partie. Parlez de la diversité à Hollywood et Oups! les voilà devenus l'incarnation du pouvoir blanc. Parlez du racisme et Oups! les revoilà redevenus un autre groupe racial. Parlez de quotas en faveur des minorités visibles et Oups! revoilà les élites de cette communauté redevenues contre celle-ci. Parlez des « whites faces only » de certains militants de gauche pour décrire un Forum de Davos en Suisse et Oups! les revoilà encore passés dans le camp des méchants capitalistes blancs Occidentaux. Faudrait peut-être se brancher non?... Pas étonnant qu'un Mordecai Richler se bidonne si fort avec ce concept de « minorité non-visible » pour parler des siens. 
  
          Dans la lignée de notre obsession de la promotion des minorités, nous avons aussi développé évidemment l'obsession du quota. Parce qu'il y a cinquante pour cent de femmes en société il nous faut à tout prix 50% de femmes au Parlement, etc. Même lorsqu'on ne parle pas de quotas précis, il faut maintenant à tout prix que chaque secteur de la société (gouvernementale s'entend) soit « un reflet de la société ». Or le reflet de la société actuelle c'est précisément de ne pas réfléter de façon exacte et à tout prix le pourcentage d'individus d'une communauté donnée dans chaque secteur d'activité donné. 
  
          Il y a 12% de Noirs aux USA et 80% dans la NBA. Un quota pour diminuer leur nombre dans la NBA tant qu'à y être? Il y a 3 ou 4% d'Asiatiques aux États-Unis, mais ils raflent 40% des prix scolaires en sciences. Un quota pour diminuer leur nombre? Il y a 50% d'hommes dans la société québécoise, mais une proportion bien inférieure de travailleurs en garderie ou de professeurs au primaire. Et puis après? Où est le problème. Ils préfèrent être ailleurs tout simplement. 
  
          Au fait, dix nouveaux immigrants font aujourd'hui partie de la liste des 400 citoyens les plus riches des États-Unis. Neuf des dix proviennent d'Inde, de Taïwan ou de Corée. Je suis sûr qu'ils se sentent terriblement victimes de discrimination et qu'ils se meurent tous d'impatience en attendant le jour où ils pourront enfin, grâce aux politiques de discrimination positive, quitter la misère de leur villa de West Palm Beach pour travailler pour le gouvernement fédéral américain. Et n'allez surtout pas penser, Oh horreur!, que s'ils n'y sont pas en plus grand nombre, c'est peut-être parce qu'ils n'en ont tout simplement pas envie ou qu'ils ont mieux à faire.... 
 
 
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