Montréal, 9 décembre 2000  /  No 73
 
 
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Pierre Desrochers est post-doctoral fellow à la Whiting School of Engineering de l'Université Johns Hopkins à Baltimore. 
 
LE MARCHÉ LIBRE
  
LA « NOUVELLE » PRÉHISTOIRE AMÉRICAINE
ET LES REVENDICATIONS AUTOCHTONES 
 
par Pierre Desrochers
  
 
          J'ai beau vivre loin du Québec et être passablement critique face au « modèle québécois », je présente toujours ma province d'origine à mes interlocuteurs américains comme une société extrêmement tolérante où il fait encore bon vivre si l'on peut endurer l'hiver, les taxes, un dollar qui vaudra bientôt autant qu'un peso et les chicanes constitutionnelles. Je crois être relativement impartial lorsque j'essaie de décrire la situation politique québécoise contemporaine ou l'exode des cerveaux, mais un sujet me fait rapidement sortir de mes gonds dès qu'il est soulevé: le « traitement indigne » que nous faisons subir aux « premières nations »
 
          J'avoue ne jamais être allé à la Baie James et considérer Hydro-Québec comme un monstre bureaucratique qui devrait être privatisé. Je veux bien admettre que les plus de 200 barrages et digues construits par les employés de notre monopole public aient profondément changé l'environnement et le mode de vie des habitants de ces contrées. Je ne suis toutefois plus capable d'endurer la démagogie de certains leaders autochtones qui, tout en recevant des centaines de millions de dollars en subventions, racontent des histoires d'horreur trouvant un certain auditoire dans la mouvance écologiste américaine. 
  
          Le succès relatif de ces leaders autochtones québécois s'explique d'abord et avant tout par l'intérêt politiquement correct envers les « bons sauvages » qui sévit actuellement aux États-Unis et en Europe. Pour des raisons que j'ai expliquées dans une chronique précédente (voir LES MOMIES CONTRE LES ÉCOLOS, le QL, no 26) on ne peut toutefois prétendre que la vie nos ancêtres étaient meilleure que la nôtre. 
  
          Nombre de travaux sérieux publiés ces dernières années laissent également entendre que les fondements du discours autochtone contemporains reposent sur deux postulats incorrects: 1) les amérindiens, contrairement aux populations blanches qui les ont envahis, vivaient en harmonie avec la nature grâce à leur spiritualité et pratiquaient une forme primitive de « développement durable »; 2) les Amérindiens sont les descendants directs des premiers êtres humains ayant vécu en Amérique. Des développements récents permettent de jeter une lumière nouvelle sur ces postulats que je vais maintenant examiner plus en détail. 
  
Le mythe du bon sauvage écologiste 
  
          On pense généralement que les populations autochtones n'avaient qu'un impact écologique marginal en raison de leur faible niveau de développement économique. S'il est indéniable que les Amérindiens n'avaient pas de problèmes de déchets toxiques, ils possédaient néanmoins un instrument ayant des conséquences écologiques considérables: le feu. 
  
          Dans son ouvrage The Ecological Indian: Myth and History (1999, W.W. Norton & Co.), l'anthropologue Shepard Krech a effectué une remarquable synthèse de l'impact des « premiers habitants » sur la méga-faune et les éco-systèmes d'Amérique(1). Basant son argumentation sur une documentation copieuse, Krech démontre que l'idéal du « bon sauvage écologiste » n'est qu'un mythe et que l'impact environnemental des premiers habitants d'Amérique a souvent été considérable, allant de la destruction d'un nombre important d'espèces à la transformation de forêts en prairies par l'usage abusif du feu. Krech illustre bien comment les autochtones étaient semblables à tous les autres êtres humains. En période de disette, les ressources rares étaient utilisées au maximum. En période d'abondance cependant, les Amérindiens n'avaient rien de l'idéal de nos écologistes. Krech illustre son argumentation à l'aide de plusieurs exemples révélateurs, notamment cette description d'une chasse aux bisons ayant eu lieu au Colorado il y a plusieurs milliers d'années alors que des centaines de bêtes tombèrent au pied d'une falaise: 
          Archeologists who excavated the site found skeletons massed on twisted skeletons, wedged in massive piles against piles and against the steep banks of the narrow gulch. The event probably happened in a flash. The bison in advance plunged headfirst into the bottom of the arroyo, and others behind crashed into and over them. The butchering began, and piles of segments grew: forelegs, pelvic girdles, spinal columns, skulls missing jawbones. As people butchered the animals, they ate the tongues, scattering the bones throughout the sites. When it was over, they had completely butchered the buffaloes on top, but they cut the ones beneath them less thoroughly, and hardly (if at all) touched the ones on the bottom, especially in the deepest parts of the arroyo. In all, they completely butchered three of every four bison, and either butchered partly or left untouched one of every four. They left at least forty bison whole or nearly whole; inaccessible because of the narrowness of the arroyo and others on top of them, and perhaps not needed, they rotted unused. The kill produced over 50,000 pounds of meat.
          Dans un passage particulièrement intéressant pour les lecteurs québécois, Krech démontre (chapitre 7) que l'argumentation de Matthew Coon-Come, Billy Diamond et autres leaders autochtones de la Baie James sur la « gestion écologique » de leurs ancêtres n'est qu'un mythe et que certaines croyances, notamment au niveau de la « réincarnation » des animaux, n'incitaient pas à la conservation mais au gaspillage. En fait, bon nombre de pratiques que l'on pourrait qualifier de « développement durable » remontent à certaines initiatives de gestionnaires de la Compagnie de la Baie d'Hudson qui voulaient s'assurer du renouvellement de la ressource animale. 
  
  
     « On pense généralement que les populations autochtones n'avaient qu'un impact écologique marginal en raison de leur faible niveau de développement économique. Ils possédaient néanmoins un instrument ayant des conséquences écologiques considérables: le feu. » 
 
 
          Que les autochtones se soient comportés comme tous les autres êtres humains n'est, en fin de compte, que peu étonnant. Ce qui l'est toutefois davantage est la remise en cause de l'origine des premiers habitants d'Amérique à laquelle on assiste depuis quelques années. 
  
D'où venaient les premiers Nord-Américains? 
  
          À écouter certains leaders autochtones justifier leurs revendications territoriales, on pourrait croire que leurs ancêtres ont vécu confinés sur un petit territoire pendant des milliers d'années. Il n'en est évidemment rien et l'histoire de l'Amérique est semblable à celle de l'Europe dans la mesure où les migrations et les déplacements de population y ont toujours été importants. Ce qui est toutefois plus remarquable dans les avancées scientifiques des dernières années, c'est qu'il semble de plus en plus plausible de croire que les autochtones vivant aujourd'hui en Amérique ne sont pas les descendants directs des premiers êtres humains ayant vécu sur ce continent. 
  
          Comme nous le savons tous, la théorie de vagues migratoires successives par le détroit de Bering lors de la dernière période glaciaire a longtemps été invoquée pour expliquer le peuplement de l'Amérique. Certaines anomalies relevées au cours des dernières années sont toutefois en train de bouleverser de vieilles certitudes. 
 
          L'une des plus intéressantes est la découverte d'un squelette humain en très bon état dans le centre de l'État de Washington, au sud de la Colombie-Britannique. Rapidement affublé du sobriquet de « Kennewick Man », le squelette s'est révélé selon l'analyse vieux de près de 9000 ans. Ce qui est toutefois remarquable dans ce cas, c'est qu'il ne présente aucune des caractéristiques physiologiques des populations amérindiennes contemporaines. Si certains chercheurs l'ont tout d'abord classifié comme « caucasien » (i.e. de race blanche) et affirmé qu'il devait ressembler à l'acteur Patrick Stewart (le capitaine Picard de Star Trek), le consensus semble maintenant être qu'il est davantage apparenté aux populations polynésiennes contemporaines ou à la minorité Ainu du Japon (une population présentant davantage de similitudes avec les caucasiens qu'avec la population japonaise contemporaine). 
  
          Le « Kennewick Man » fait toutefois l'objet depuis quelques années de poursuites judiciaires, notamment par les populations amérindiennes locales qui semblent pressées de l'enterrer afin qu'il ne remette pas en question leur revendication territoriales(2). Il n'est toutefois que le cas le plus probant, car plusieurs autres squelettes de cette période nous apprennent que les migrants venus d'Asie par le détroit de Bering n'étaient sans doute pas les premiers êtres humains à fouler le sol américain(3). En fait, l'idée que certains des premiers humains à avoir atteint l'Amérique soit venue de Polynésie est loin d'être farfelue, dans la mesure du moins où l'on considère que les premiers humains à avoir atteint l'Australie l'ont fait il y a plus de 50 000 ans. 
  
       Les squelettes sont évidemment une bonne source d'information sur l'origine de nos ancêtres. L'étude de certains artefacts et sites peut également s'avérer utile, même si elle est souvent plus problématique, comme c'est le cas du site de Monte Verde au Chili qui a lui aussi le potentiel de bouleverser les idées reçues. L'une des hypothèses controversées des dernières années qui semble toutefois des plus solides associe les artefacts de la plus ancienne culture d'Amérique à des populations ayant vécu dans la péninsule ibérique (Portugal, Espagne, sud-ouest de la France) il y a plusieurs dizaines de milliers d'années. Dans chacun de ces cas cependant, les défenseurs des nouvelles théories sont des académiciens bien établis(4). 
  
          La science, dit-on, progresse par les funérailles qui se succèdent. Il en ira sans doute de même pour la préhistoire des Amériques. Nous n'avons pas fini d'entendre parler de ce débat, qui risque d'avoir des répercussions pour des décennies à venir. Chose certaine, s'ils veulent faire avancer leur cause, certains leaders autochtones auraient intérêt à baser leurs revendications sur autre chose que des superstitions et une spiritualité du Nouvel Âge. 
 
 
1. Krech a résumé son argumentation dans un essai intitulé « Playing with fire » et publié par le New Scientist en octobre 1999. Pour un écrit similaire, mais plus polémique, voir Robert Whelan, « Wild in the Woods: The Myth of the Noble Eco-Savage », Institute of Economic Affairs, 1999.  >>
2. Voir notamment l'article de James C. Chatters, « Encounter with an Ancestor » relatant son rôle au début de la découverte, une recension plus détaillée de la controverse, l'argumentaire du gouvernment fédéral américain et l'exposition virtuelle (et politiquement correcte) du Burke Museum de l'Université de Washington sur la controverse.  >>
3. Voir notamment l'article de Karen Wright, « First Americans » publié dans Discover en février 1999.  >>
4. Voir notamment « The Solutrean Solution. Did Some Ancient Americans Come from Europe? » par Dennis Stanford and Bruce Bradley; ainsi que certains compte-rendus journalistiques comme « North America's settlers may have crossed Atlantic » et « New theory: Iberians first to settle America » de Joseph B. Verrengia.  >>
 
 
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