Montréal, 9 décembre 2000  /  No 73
 
 
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Brigitte Pellerin est apprentie-philosophe iconoclaste, diplômée en droit et en musique. Elle prépare un essai sur la liberté de ne pas s'associer en contexte de relations de travail syndiquées et travaille à son premier roman.
 
BILLET
  
COMMENT LE PLASTIQUE
A DÉTRUIT NOËL
 
par Brigitte Pellerin
  
  
          Je suis allée au cinoche dernièrement, et c'est de ça dont j'avais envie de vous causer cette semaine. Mais voilà-t-y pas que Boss s'amène en disant: C'est Noël, et on fait un numéro spécial « Bilan et Prospective 2000 », version libertarienne.  

          Hum.

 
          Alors seulement pour vous démontrer à quel point j'observe les conseils du dalaï-lama (comment mener une bonne vie au 21e siècle, consigne # 5: « apprenez-bien les règles, afin de savoir comment les contourner... »), je m'en vais de ce pas vous parler de ma plus récente expérience cinématographique.  
  
Noël c'est... 
  
          Imaginez-vous donc que je me suis tapé Jim Carrey en bonhomme vert dans How the Grinch Stole Christmas. Si, si.  
  
          Pour les inconditionnels de Carrey, je suppose que ça passe. Mais pour moi, qui venais à peine de visionner la version originale du conte pour enfants (le dessin animé pas compliqué), le film puait le superficiel Hollywoodien à plein nez.  
  
          (Je sais, ça fait chic de cracher sur les concentrés de vulgarité qui sortent de la machine à saucisses californienne. Mais que voulez-vous, il y a des fois où je ne me peux m'empêcher de le faire.) 
  
          L'histoire du Grinch, à tout le moins dans la version originale, met en lumière un principe fort simple: Noël, ce n'est pas que des cadeaux bien emballés dans du papier doré. Au contraire, il s'agit d'une fête où les gens qui s'aiment (ou réussissent à s'endurer) se retrouvent dans les chaumières à s'empiffrer de p'tits pains fourrés et de salade aux patates en rigolant – et chantant affreusement faux – en choeur autour du sapin. Les cadeaux? Un simple bonus. 
  
          Ahhh, la joie des petits plaisirs tout simples. Sans fioritures ni clinquant, à part peut-être les souliers en cuir verni de ma nièce de quatre ans (« et demi, ma tante, quatre ans et demi »). Vive le naturel, les sourires qu'on ne perd pas de vue sous trois épaisses couches de maquillage, les couettes ébouriffées, les souliers qui s'entassent sous les fauteuils quelques minutes après minuit, ainsi que les bourrelets bien ordinaires du vrai monde dit « normal » 
  
          En d'autres mots, Noël n'a rien à voir avec les recettes hyper-élaborées, les mises en plis artistiques et les robes à 8000$ qu'on retrouve en page couverture des grands magazines américains. Ça va peut-être vous jeter sur le cul, mais sachez que Martha Stewart n'a pas le monopole des soirées réussies.  
  
  
     « Apparemment, la mode du faux plastique a volé Noël, et à peu près tout le reste. Cette année, faites donc un petit effort libertarien: soyez vous-mêmes, tout naturellement et sans vous soucier des pressions sociales ambiantes. » 
 
 
          « Et alors, dites-vous, quel rapport avec l'état du libertarianisme en cette fin d'année? Elle s'en va où, celle-là, avec ses skis? »  
  
          Ah.  
  
Détour Foglia 
  
          Je ne vous apprendrai rien en disant que de nos jours, on dirait que tout le monde est totalement obnubilé par les contenants – les trucs en plastiques qui sont, bien évidemment, la première chose qu'on voit. Le libertarianisme, du moins la version à laquelle je crois, s'attarde au contenu – c'est-à-dire à ce qui est dedans.  
  
          Je n'y aurais jamais pensé, mais on dirait que Pierre Foglia partage, au moins en partie, mes croyances libertariennes. Jugez-en vous-mêmes.  
  
          Voici ce qu'il disait dans sa chronique de samedi dernier: « Avant, les gens fabriquaient d'abord du contenu et cherchaient ensuite un contenant pour le mettre dedans. C'est comme ça qu'ils ont inventé l'imprimerie, le cinéma, le téléphone, Internet. Maintenant, c'est le contraire. Les gens fabriquent d'abord des grandes boîtes. Des grands sacs sans avoir aucune crisse d'idée de ce qu'ils vont bien pouvoir mettre dedans. Mais ils finissent par trouver. Avant le contenu, c'était la substance. Maintenant le contenu c'est ce qu'il y a dans le contenant. »  
  
          Pas mal, non?  
  
          C'est pour cette raison que je tenais à vous parler du dernier film de Jim Carrey. Les courants pop-culturels sont un miroir très utile pour observer les tendances d'une société. Et dans notre nord-américaine de société, my dear, la tendance est au plastique. 
   
Les jambes d'Emma 
  
          Je vous placotais dernièrement d'Emma, cette ado Britannique de 16 ans qui s'est littéralement fait étirer les os des jambes afin de grandir de quelques pouces. Des réactions, j'en ai eu. L'histoire d'Emma ne vous a pas laissés indifférents, c'est le moins qu'on puisse dire. Malheureusement, elle ne semble pas être l'exception à la règle... 
  
          Il y a deux semaines, La Presse rapportait l'information suivante: l'an dernier, aux États-Unis, c'est près de 184 000 opérations de chirurgie plastique et/ou esthétique qui se sont pratiquées sur des jeunes de moins de 18 ans. Ces jeunes comptent pour 4% de la clientèle des bouchers de la beauté artificielle. Lipposuccions, injections de collagène dans les babines, augmentations mammaires, redesign du pif, rien n'échappe désormais aux bistouris magiques.  
  
          Des jeunes qui ne s'aiment pas, il y en a apparemment des tas. Des jeunes qui commencent bien tôt à vouloir se conformer à tout prix aux normes sociales. Au lieu de s'accepter tels qu'ils sont et de faire ce qu'ils peuvent avec ce qu'ils ont.  
  
          Les libertariens de mon espèce ne souhaitent pas empêcher ce genre de bêtises. La liberté à laquelle je rêve inclut la liberté de faire des conneries – en autant, bien entendu, qu'il s'agisse d'« adultes ». Mais maudit que j'aimerais que les gens (surtout les jeunes) ne se sentent pas le besoin de se faire charcuter pour être aimés. 
  
          Apparemment, la mode du faux plastique a volé Noël, et à peu près tout le reste. Cette année, faites donc un petit effort libertarien: soyez vous-mêmes, tout naturellement et sans vous soucier des pressions sociales ambiantes. 
  
          Joyeuses Fêtes, tout le monde. 
 
 
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