Montréal, 3 mars 2001  /  No 78
 
 
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François Tremblay étudie en programmation à l'UQAM. 
 
OPINION
  
« TRUSTER » L'ANTITRUST
  
 par François Tremblay
  
 
          Les opposants à Microsoft n'attaquent pas la bonne cible. Les seul monopoles destructeurs en Amérique du Nord sont les gouvernements. 
 
          Mais commençons par le début.
 
Un monopole inventé 
  
          L'histoire de Microsoft a fait couler beaucoup d'électrons depuis les six dernières années. La cabale des fanatiques d'Open Source (une autre chose qui me dérange, mais je suppose que je le garderai pour une autre fois), ainsi que les aspirants rats de bureaux, ne cessent de nos répéter que Microsoft est mauvais (« doubleplusinbon » en novlangue), tente de devenir un monopole, et toute sortes d'accusations semblables.  
  
          L'estimé Ed Younkins a déjà abordé le sujet de l'antitrust en détail dans ce magazine (voir ANTITRUST LAWS SHOULD BE ABOLISHED, le QL, no 56). Je veux plutôt élaborer sur la mentalité antitrust et les abus de langage qu'il génère, ainsi que les erreurs élémentaires d'économie proférées par les tribunaux et pundits qui se prononcent sur l'affaire Microsoft. 
  
          Comme vous le savez peut-être, le tout a commencé avec l'enquête du Département de la Justice américain entre 1990 et 1995, qui s'est soldée par un décret contre Microsoft, forçant l'entreprise à ne plus lier les licences Windows avec les licences d'autres produits. Évidemment, Microsoft n'a pas plié et a même ajouté Internet Explorer à sa liste de licences « liées », ce qui donne le résultat que vous connaissez. Le DoJ considérerait aussi intenter une poursuite à plus grand déploiement qui, selon les experts, serait la fin de Microsoft. 
  
          Plus récemment, Microsoft s'est vu forcé d'engager des personnalités politiques américaines, tel que des ex-conseillers de George Bush et John Ashcroft, pour contrer le lobbying des forces anti-MS en la présence de Kenneth Star et Robert Bork, et d'ex-conseillers de Bill Clinton. De plus, Microsoft a donné plus de deux millions de dollars aux deux partis principaux lors des dernières élections, ce qui représente presque la même somme donnée par les compagnies rivales de Microsoft (Sun, AOL, Oracle). 
  
          Il est aberrant et disgracieux que nos sociétés « modernes » forcent d'honnêtes commerçants à gaspiller leur argent pour se défendre en relations publiques, au lieu de les laisser produire. Ce n'est qu'un autre signe de la puissance des groupes de pression dans une économie mixte, et de l'inefficacité de cette dernière. 
  
Retour à la case Départ 
  
          Ces derniers jours, la cour d'appel fédérale du District de Columbia reconsidère le jugement du Juge Jackson de briser Microsoft. Il semble probable que la cause sera réentendue, notamment à cause d'erreurs de procédures de la part de Jackson, qui a profité de la situation pour répandre des opinions anti-Microsoft dans les médias, et parce que Jackson n'a jamais réussi à prouver que le marché des fureteurs existe (ce qui est quand même assez important si on essaie de montrer que Microsoft s'est injustement approprié le marché des fureteurs – il faudrait au moins qu'il existe).  
  
          Avec, donc, une poursuite qui s'engage en Cour Supérieure, que pouvons-nous comprendre de ces manoeuvres légales? La plainte initiale (UNITED STATES OF AMERICA vs. MICROSOFT CORPORATION, action civile #94-1564, que je ne reproduirai pas ici pour fins d'économie d'espace) accuse Microsoft de: 1) demander aux manufacturiers d'ordinateurs qui font affaire avec eux de payer des redevances pour chaque ordinateur vendu au lieu de chaque copie de Windows vendue, 2) exiger des manufacturiers de ne pas licencier d'autres systèmes d'opération, et 3) demander aux développeurs indépendants de ne pas révéler des informations confidentielles sur les produits à venir. C'est là la seule étendue du « problème »: des contrats volontaires entre corporations.  
  
          L'intégration de Internet Explorer, d'un autre côté, est jugée problématique à cause du principe du levier: la domination de Microsoft dans le marché des systèmes d'opération lui permet de pousser d'autres produits plus efficacement en les intégrant à Windows. L'intégration de logiciels est une étape naturelle dans le développement d'un système, car il permet de laisser émerger des propriétés et façons plus efficaces de travailler; cependant, le DoJ ne voit pas cela du même oeil.  
  
  
     « De dire que Microsoft doit cesser d'utiliser sa base de consommateurs pour vendre d'autres produits serait l'équivalent d'exiger de Mario Lemieux qu'il arrêter de tirer dans le filet parce que sa vitesse lui donne un avantage excessif. Un tel raisonnement est absurde. » 
 
  
          Ce qui est plus révélateur est la terminologie employée pour décrire cette situation par les médias, qu'on dirait sortie tout droit d'un lexique de Novlangue. Par exemple, prenez le mot « monopole », qui est associé aux mauvais côtés du capitalisme (on n'a qu'à penser au jeu Monopoly). L'expression predatory tactics (tactiques prédatrices) associe des actions contractuelles à des prédateurs déchirant la viande du corps de leurs proies. Chokehold (étranglement) n'évoque pas des manoeuvres commerciales mais plutôt des prises violentes de lutteurs. 
  
          Mais il y a autre chose de plus important qui se cache derrière ces termes. « Prédatrice », par exemple, fait référence à un mode de subsistance basé sur la survie du plus fort. Ceci n'est rien de plus que l'expression du principe de compétition dans la nature. Prétendre combattre la « prédation » et les « monopoles » équivaut à combattre la notion même de compétition, mais avec des termes douteux. 
  
          L'accusation elle-même révèle ce même principe. Que Microsoft réussisse à utiliser la popularité d'un logiciel pour en vendre un autre n'est qu'une utilisation compétitive de ses ressources, autant que, par exemple, Unix qui utilise sa gratuité pour prendre le marché des serveurs. De tracer une ligne avant l'un et après l'autre est complètement arbitraire, car les deux stratégies relèvent d'actions contractuelles, qui ne sont donc pas a priori moralement condamnables. De dire que Microsoft doit cesser d'utiliser sa base de consommateurs pour vendre d'autres produits serait l'équivalent d'exiger de Mario Lemieux qu'il arrêter de tirer dans le filet parce que sa vitesse lui donne un avantage excessif. Un tel raisonnement est absurde.  
  
Entre état et processus 
  
          La notion même qui veut qu'un monopole privé puisse exister révèle une ignorance du capitalisme et de ses principes. Il est impossible de déterminer si une situation de marché est plus compétitive qu'une autre, pour la simple raison que la compétition n'est pas un état mais un processus – plus exactement, un processus d'échange libre et protégé.  
  
          Ceux d'entre nous qui ont eu à prendre des cours d'économie se souviennent de la doctrine Keynésienne de la « compétition parfaite », une situation qui existe lorsqu'un grand nombre de fournisseurs ne retirent aucune marge de profit. Un marché compétitif peut certainement se retrouver proche d'une telle situation (surtout, comme nous pouvons le constater, dans un marché où le produit est peu différencié et peu cher).  
  
          Cependant, la plupart des marchés capitalistes ne se retrouvent pas dans cet état. Certains marchés contiennent un nombre restreint de compagnies, ou même une seule compagnie. Il est évident qu'un marché abritant une seule compagnie verra son prix optimal (qui est dynamique, bien sûr), ainsi que le profit possible, plus élevé que dans un marché soit-disant « parfaitement compétitif ». Dans un marché compétitif, n'importe qui peut tenter de s'établir et de prendre une part du marché si le prix monte trop haut. 
  
          Le fait d'avoir une seule compagnie dans un marché donné peut donc provenir de barrières naturelles à l'entrée élevées (demandes en financement, resources, marketing, etc), ou d'un succès incroyable de la part de cette compagnie. Les entreprises comme AOL ou Microsoft bâtissent leur réputation sur la facilité d'utilisation de leur produit, ce qui touche une grande majorité d'utilisateurs débutants ou peu enclins à apprendre des systèmes complexes.  
  
          Les élitistes qui dénoncent la mauvaise qualité de ces logiciels s'y prennent de la mauvaise façon – ils ne comprennent tout simplement pas que leur point de vue est largement minoritaire (comme le prouvent, par nécessité, les chiffres d'utilisation de ces compagnies). La valeur d'un produit n'est pas inhérente à celui-ci, à un quelconque attribut mystique ou à l'évaluation d'un utilisateur de Linux qui trouve Windows trop lent et instable. La valeur d'un produit est une évaluation faite contextuellement par chaque usager.  
  
          Dans un libre marché, la valeur d'un produit est déterminée par son prix (le point de rencontre dynamique de l'offre et la demande dans un contexte donné). Par exemple, dans le cas d'une seule entreprise qui domine un marché, le prix est plus élevé parce que l'offre est concentrée (ce qui indique un produit rare ou difficile à produire – et donc une utilisation de ressources moins efficace).  
  
          En bout de ligne, les attaques contre Microsoft (et les lois antitrust en général) sont motivées par la possession de pouvoir. Toute entreprise qui devient trop « puissante » au goût du monopole étatique devient une cible facile. Les seuls véritables monopoles qui existent sont les monopoles publics comme l'assurance-maladie, les hôpitaux publics, Hydro-Québec, Postes Canada, Bell Canada, Loto-Québec, la SAQ, les Casinos, la STCUM, et bien sûr, le gouvernement. C'est à eux qu'il faut s'en prendre et non à une compagnie privée comme Microsoft, qui est dépendante de la vente de ses produits, contrairement aux monopoles publics qui dépendent eux de leur capacité d'attirer le plus de votes en manipulant les citoyens avec leur propre argent.  
 
 
 
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