Montréal, 3 mars 2001  /  No 78
 
 
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LE
DÉFERLEMENT
DE L'ÉTAT
  
Les dépenses publiques au Canada, en pourcentage du PIB:
   
1926           15%  
   
1948           21%  
   
1966          30%  
   
1996         46%  
   
(Source: Statistique Canada) 
 
 
 
 
MOT POUR MOT
  
LA TYRANNIE DU
MÉDIATIQUEMENT CORRECT
 
 
          Un débat relativement futile se poursuit au Québec sur la menace que ferait peser la « concentration de la presse » sur la diversité d'opinion. Pourtant, la véritable discussion devrait plutôt porter sur l'unanimité idéologique qui règne dans la profession journalistique (voir LA CONCENTRATION DE LA PRESSE VS LA CLIQUE JOURNALISTIQUE, le QL, no 77). S'il y a une menace à la diversité en effet, elle ne vient pas vraiment des grands groupes de presse mais bien des artisans de la presse eux-mêmes, qui sont en presque totalité inféodés à l'État et qui imposent partout leur point de vue nationalo-étatiste. 
  
          Le problème n'existe pas qu'au Québec bien sûr. En France, la cohorte des militants soixante-huitards a pris le contrôle des médias dans les années 1970 et 1980 et a réussi à imposer une seule vision du monde et une seule interprétation correcte des phénomènes socio-culturels, économiques et politiques. 
  
          Le plus ironique est que cette même intelligentsia dominante a popularisé ces dernières années le terme « pensée unique » pour décrire les quelques voix discordantes qui osent dire les choses autrement. Ces quelques voix ont en effet le culot de dire notamment que le marché n'est pas une « horreur économique », que l'État ne peut pas tout régler. On les entend rarement et elles sont invariablement taxées d'extrémisme. 
  
          La pensée unique ne serait-elle pas plutôt celle mise de l'avant par cette gauche qui domine tout le paysage médiatique? Un livre publié récemment dans l'Hexagone fait le vrai procès de ce phénomène de concentration des esprits. Nous en publions ici quelques extraits, avec la permission de son co-auteur Jean-Marc Chardon (dont on peut lire le mot d'encouragement qu'il nous a envoyé dans le Courrier des lecteurs). La pensée unique. Le vrai procès par Jean-Marc Chardon et Denis Lensel a été publié en 1999 aux Éditions Économica.
 
 
LA PENSÉE UNIQUE: LE VRAI PROCÈS
(EXTRAITS)
 
 
          Pour qu'il y ait débat, encore faut-il qu'il y ait pluralisme. Or, le pluralisme a bel et bien implosé dans la plupart des rédactions, et singulièrement dans l'audiovisuel. Les journalistes ne répondant pas au système de valeurs soixante-huitard ont été découragés, éconduits, marginalisés, déclassé, remisés dans des placards, quand ils n'ont pas été cassés ou évincés. Dans cette catégorie, beaucoup de sympathisants de la droite, gaullistes, libéraux ou conservateurs de tout poil, mais aussi des esprits libres et indépendants réfractaires aux étiquettes ou encore parfois des journalistes de gauche rebelles aux injonctions et aux pressions. Certains ont sauvé leur carrière en pliant l'échine, d'autres en acceptant de jouer des rôles potiches. Mais l'éviction au pire, la marginalisation au mieux de la plupart d'entre eux a considérablement affaibli la capacité de critique et d'audace dans les rédactions. C'est ainsi que la pensée unique a pu tisser, imperceptiblement, un voile rigide mais invisible sur les médias. Pour la génération 1968, en revanche, quelle aubaine: après avoir pris en main l'encadrement des rédactions dans les années 1980, elle a imposé sans coup férir ses hommes, ses méthodes, et surtout sa vision de la société. 
 
          Dans les années 80, « Tout ce qui ne s'affichait pas clairement de gauche était suspecté » rappelle Patrick Poivre d'Arvor dans L'Homme d'Image, chez Flammarion. 
  
          La gauche a envahi les médias. Le cordon « ombilical » entre le pouvoir et l'audiovisuel était à peine coupé qu'on instaurait un cordon sanitaire autrement plus discret et efficace! Par quel sortilège, cette tribulation a-t-elle pu être passée sous silence? En grande partie par le mutisme de la classe politique, et singulièrement de la droite, qui a cru, en feignant de ne rien voir, préserver ses entrées dans les studios. Elle n'a rien préservé du tout, en tout cas elle l'a payé au prix fort, et c'est la pensée unique qui s'est invitée royalement sur les plateaux de télévision et autour des micros. 
 
L' école du médiatiquement correct 
 
          Contrairement à une opinion répandue, il n'y a plus guère de problème d'autocensure dans les médias audiovisuels. Ou plus exactement, si des journalistes pratiquent encore l'autocensure, la question ne se pose quasiment plus pour les dernières générations. Les nouvelles recrues arrivent avec des réflexes culturels déjà forgés. Instinctivement, ils sélectionnent les faits et relatent l'actualité à partir d'une grille de lecture préétablie. Pour eux, le journaliste est avant tout un acteur du débat de société, un médiateur engagé, un militant des causes citoyennes. C'est ce qu'on leur a inculqué avant d'entrer dans la vie professionnelle. Le souci d'objectivité et d'exactitude est secondaire, le but ultime étant de faire prendre conscience à l'opinion que certaines causes sont justes, d'autres obsolètes, que certains débats sont brûlants, d'autres dépassés. Le problème ne sera pas de savoir si l'on « colle » à la réalité, si l'on se fait l'écho des préoccupations des gens, car le fait a peu d'importance s'il ne s'inscrit pas dans une perspective. « Mettre les faits en perspective », le mot est lâché, car il faut donner un sens à l'actualité. Dès cet instant, ce qui va compter, ce n'est plus le fait, c'est la perspective, celle qu'on veut dégager dans le fatras du quotidien, celle qu'on va fabriquer et présenter à l'opinion. La mise en perspective représente le must du néo-journalisme, c'est « l'information intelligente »! Et comme elle s'auto-proclame intelligente, elle n'a de comptes à rendre à personne. 
 
          Pour ce faire, l'actualité sera traitée à travers un langage codé. Le libéralisme est évidemment « sauvage », l'Eglise foncièrement « traditionaliste », l'armée plutôt « nostalgique » (...), la famille « conservatrice », les idées de la droite « dépassées ». En revanche, le socialisme est « progressiste », le communisme « une grande cause malgré certaines déviations de l'histoire », la gauche est naturellement « sociale » (...), les « sans-papiers encore victimes » ... C'est tellement évident! 
  
  
     « La gauche a envahi les médias. Le cordon "ombilical" entre le pouvoir et l'audiovisuel était à peine coupé qu'on instaurait un cordon sanitaire autrement plus discret et efficace! » 
 
 
          Peu importe la réalité. Le seul énoncé d'un seul reportage qualifie déjà l'intention du journaliste. L'intention? Celle d'éclairer bien sûr. Éclairer l'opinion en grand et en détail. On va donc montrer ce qu'il faut voir, sous quel angle, et on le fera en expliquant ce qui est important et ce qui ne l'est pas, en montrant ce qui est bien – selon les médias – et ce qui ne l'est pas (...). Qu'en ressort-il? Un traitement de plus en plus unilatéral de l'actualité où des pans entiers sont laissés en friches. En revanche, la projection de la caméra sur certains faits, la répétition obsessionnelle des mêmes expressions, des mêmes clichés, permettent de conditionner l'opinion. 
  
          Montrer, expliquer et éclairer ne suffisent pas: il faut sensibiliser, puis faire comprendre, enfin convaincre, faire adhérer à une cause choisie. Entrent en scène tour à tour les militants associatifs, les experts, et les baladins. Ils vont remplir le rôle des tribuns, des grands prêtres et des bouffons de la pensée unique. 
  
La galaxie des militants « microphages » 
  
          On dénombre des centaines de milliers d'associations, lesquelles représentent plusieurs milliers de membres. Aussi étrange que cela paraisse, seules quelques centaines d'organisations ont pignon sur le boulevard périphérique des médias. Seule une minorité bénéficie d'un ticket quasi automatique dans les studios. (...) Quand des organisations minoritaires, voire marginales bénéficient d'une tribune médiatique ouverte, la pensée unique se gonfle comme une baudruche (...). 
  
Le cercle des experts agréés   
  
          Il faut les voir débouler dans les studios, faussement hagards, avec leurs têtes chercheuses de micros. Ils savent qu'on a besoin d'eux « dans un monde qui change tellement vite », et ils savent aussi que leur invitation n'est pas innocente: les médias attendent d'eux qu'ils s'expriment suivant un certain point de vue, une certaine inclinaison. Une fournée d'experts – toujours les mêmes – expliquera que les 35 heures créeront de l'emploi. Une escouade de psychanalystes déploiera une argumentation sophistiquée pour tempérer les dangers de la pédophilie etc. 
  
          La tyrannie du médiatiquement correct, c'est aussi la dialectique de l'intimidation, de la culpabilisation et de la dérision qui permettent d'échafauder un tribunal médiatique permanent, et sans véritable contre-pouvoir. Tribunes multiples, débat unique: il y a urgence à instaurer un véritable pluralisme médiatique contre la pensée unique. 
   
 
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