Montréal, 14 avril 2001  /  No 81
 
 
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Yvon Dionne est retraité. Économiste de formation (Université de Montréal), il a travaillé à la Banque du Canada (11 ans) puis pour «notre» État du Québec (trop longtemps: 20 ans). On peut lire ses textes sur sa page personnelle.
 
CE QUE J'EN PENSE
  
SUR L'ÉCONOMIE DES LOIS
 
par Yvon Dionne
  
  
          Au sens littéral, l'économie des lois (ou du droit) peut signifier d'en faire le moins possible. Quand les gouvernants que nous avons coassent en coeur sur leur menu législatif (plus ce menu est obèse, plus ils pensent nous démontrer qu'ils sont utiles à quelque chose), il y a lieu de s'interroger sur le pourquoi des lois. Pourquoi diantre légiférer quand les coûts dépassent largement les économies et que les lois se traduisent par une diminution de la liberté individuelle, un bien fondamental? 
 
          C'est tout simplement parce que la fonction législative est largement déterminée par l'influence des groupes de pression et l'intérêt des gouvernants à acheter des votes. Au lieu de légiférer avec parcimonie pour permettre des relations harmonieuses entre les individus dans le respect de leur liberté et des droits de propriété, nos gouvernants interviennent à tort et à travers sur toute question faisant l'objet d'une demande d'un groupe particulier, aux dépens du reste de la population. 
 
L'étatite aiguë 
  
          La société québécoise souffre de l'étatite aiguë, une maladie comparable (mais non encore identifiée par les... chemises noires de la santé publique) à la fièvre aphteuse pour certaines espèces animales: on n'en meurt pas nécessairement mais elle nous amaigrit le portefeuille et la liberté. Quand il faut cogner à la porte de Claude Blanchet de la SGF ou à celle de son alma mater le Fonds de solidarité pour soutenir ou créer des emplois (après les avoir éliminés par des politiques fiscales et sociales irréalistes), il me semble qu'il y a là des boursouflures qui ne peuvent conduire qu'à un amaigrissement généralisé. Enfin, je ne suis pas vétérinaire mais je constate. « L'État instrument de nos solidarités » (dixit Mme Vivian Labrie de la Coalition pour une loi sur la pauvreté) fait en sorte que nos dites solidarités sont plutôt en mauvais état. 
  
          Si on additionnait toutes les créations d'emplois annoncées par nos gouvernants à tous les niveaux et leurs apparatchiks depuis une vingtaine d'années, le taux de chômage ne pourrait être qu'à... zéro, alors qu'il était en mars de 8,7% et que la baisse depuis quelques années n'est due qu'à la performance de l'économie nord-américaine dans son ensemble et non pas à celle de nos gouvernants tant à Québec qu'à Ottawa. À chaque année, ils nous font la preuve que leurs interventions sont inefficaces et qu'ils feraient mieux de nous laisser en paix au lieu de nous ensevelir d'une avalanche de mesures de toutes sortes, de continuellement rapiécer ce qu'ils ont déjà fait, de satisfaire l'Internationale des chialeurs et des chialeuses, etc. 
  
          Avec l'accélération des connaissances et du progrès technologique depuis une centaine d'années, il devient de plus en plus difficile pour certaines couches de la population de suivre ce développement, quoique l'effort de rattrapage soit diminué par des moyens de communication plus évolués, diversifiés et rapides qu'aux époques antérieures. Nous sommes désormais condamnés (et pourquoi pas?) à nous instruire toute notre vie. Le progrès technologique, toutefois, bénéficie à toute la population. Un exemple est le cellulaire qui permet de relier toute l'Afrique à moindre coût que de décorer la paysage de poteaux. 
  
          Mais ce n'est pas le cas du fardeau légistalif et réglementaire (les lois deviennent de plus en plus discrétionnaires). Avec le progrès technologique, des produits en remplacent d'autres devenus désuets mais les lois, elles, se sédimentent. Leur effet équivaut à une taxe régressive pour les gens les moins fortunés et les moins informés. Tous, j'estime que nous passons maintenant jusqu'au cinquième de notre vie active à nous conformer à des règles établies par le gouvernement, à les apprendre d'abord, à se soumettre au red tape ensuite, et enfin à refaire ce même red tape périodiquement. De la naissance à la mort, et même après le décès, nous sommes régis par des lois. Si nous ne sommes pas enregistrés (il faut maintenant des permis pour faire n'importe quoi), légalement nous n'existons pas. Seulement pour le gouvernement du Québec, vous pouvez avoir une idée de l'ampleur législative en consultant le site des Publications du Québec. 
  
          Ainsi, la taille de l'État ne se mesure pas seulement par ses dépenses en pourcentage du PIB, il y a aussi tous les coûts engendrés par les lois et règlements et qui apparaissent seulement en partie aux dépenses budgétaires du gouvernement. Prenons les impôts: le budget du ministère du Revenu du Québec est de plus de 700 M$ mais à combien s'élève le coût assumé par les particuliers et les entreprises pour se conformer à toutes les lois fiscales? Franchement, je l'ignore mais j'estime que le coût total d'observance des lois et règlements peut être dix fois plus élevé sans compter l'impact économique négatif des mauvaises législations (telles les lois du travail). Et plus il y a de lois, plus il faut de policiers et de délateurs pour les appliquer. 
 
          Autrement dit, on n'est pas sortis du bois! 
 
Un exemple d'une loi inutile 
  
          Bien sûr, il y a des lois plus utiles que d'autres. Exemple: le Code de la route. Arrêter à un feu rouge pour laisser les autres passer est une convention que nous acceptons tous sans sourciller; la circulation automobile est facilitée parce que nous nous fions, à tort quelquefois..., que les autres vont faire leur arrêt obligatoire (mais quand il n'y a pas un chat en vue, c'est quand même un peu stupide de rester là à attendre; la loi remplace donc le jugement). 
 
  
     « Avec le progrès technologique, des produits en remplacent d'autres devenus désuets mais les lois, elles, se sédimentent. » 
 
  
         Mais il y a au moins une loi qui n'a servi absolument à rien sauf à dorer le blason du gouvernement. Ce n'est pas n'importe laquelle. Il s'agit de la loi de décembre 1996 sur l'élimination du déficit et l'équilibre budgétaire. Cette loi de 16 articles, dont la moitié sont des échappatoires, n'obligeait réellement le grand vizir (Bernard Landry) qu'à réaliser ce que le gouvernement avait de toutes façons décidé d'atteindre, un déficit budgétaire nul, et d'utiliser des surplus pour les dépenser plus tard et de camoufler des dépenses dans des fonds spéciaux et une liste impressionnante d'organismes. Au dernier budget, le gouvernement a fait grand état d'une diminution de la dette de 500 M$ tout en réservant 950 M$ pour des dépenses à venir en santé, en éducation, etc. Mais ce qu'il ne vous a pas dit et que les journalistes n'ont pas vu, c'est que la dette a bel et bien continué d'augmenter au cours des années précédentes et la hausse se poursuivra dans les années futures. 
 
          En effet, pour l'année fiscale qui se terminait le 31 mars le gouvernement a certes réalisé un surplus budgétaire mais par le jeu des placements et avances et d'autres comptes il montre des besoins financiers nets. Il en sera ainsi pour les deux prochaines années, selon les prévisions du gouvernement qui apparaissent d'ailleurs trop optimistes. La dette s'est accrue de 3,2 milliards $ au cours de l'année écoulée. Le petit 500 millions n'est donc qu'une farce monumentale pour la galerie. En dix ans, la dette directe du gouvernement du Québec a plus que doublé, passant de 29,6 milliards $ à 63,7 milliards $ (voir les tableaux 3.4.1 et 3.4.2 du Plan budgétaire 2001-2002). 
 
La vie dans un carcan 
 
          Je ne fais bien sûr qu'effleurer le sujet. Le gouvernement du Québec à lui seul fait voter bon an mal an une centaine de lois, la plupart modifiant d'autres lois, sans compter les projets de loi privés et ceux émanant des députés. Un mot sur le Code civil, dont la refonte majeure remonte à 1992. Elle a été faite par les avocats, mais surtout par les notaires, qui sont d'ailleurs les premiers à en bénéficier. Le sceau du notaire est requis pour la plupart des contrats, mariage, divorce, testament, successions, achat ou vente d'un immeuble, hypothèque et quittance d'hypothèque... Tout y passe. Pour un texte dont ils n'ont la plupart du temps qu'à changer les noms et adresses, vous devez leur payer plusieurs centaines de dollars.  
  
          Leurs méthodes de travail n'ont pas changé depuis un siècle. Ils vivent de paperasse, ils le savent et ils en profitent. Comme ils appartiennent à une profession protégée la concurrence, ils ignorent ça et ce n'est pas la seule profession qui vit des lois faites par nos gouvernants. Comme les lois sont de plus en plus complexes, les gens ordinaires ne savent plus où mettre la tête. Il n'y a pas si longtemps, disons quelques milliers d'années, un individu était confronté à son milieu naturel, mais aujourd'hui ce sont les difficultés de la vie étatisée qui a pris le dessus. 
 
          Notre nouvelle ministre des marmots (voir CABINET LANDRY: LA NOUVELLE NOMENCLATURE MINISTÉRIELLE, le QL, no 79), Mme Linda Goupil, dans un vagissement d'entrée dans ses nouvelles fonctions, s'est prononcée récemment (mais elle n'est pas seule de cet avis) en faveur d'une politique nataliste. Faites des enfants, la nation en a besoin! Voilà un autre sujet sur lequel nous pourrions nous étendre longuement (voir LES ENFANTS, LA DÉMOGRAPHIE ET LE BIEN COMMUN, le QL, no 79). Toutes les politiques natalistes du passé ont été vouées à l'échec (la dernière en lice accordait de généreuses allocations à la naissance). Malgré des milliards de dollars de transferts aux couples qui ont des enfants et aux familles dites monoparentales, le taux de natalité au Québec est inférieur au taux de décès. Même si le gouvernement a fait main basse sur les marmots, avec ses garderies étatisées, il ne réussit pas à procréer... Cette impuissance gouvernementale ne doit pas surprendre. L'accouplement ne se décrète pas. Le gouvernement (et les nationalo-étatistes qui le soutiennent) ne veut tout simplement pas voir le vrai diagnostic: qu'il y a une incertitude face à l'avenir au Québec et que ses législations découragent le mariage et la famille. 
 
          Ah! Cette justice qui peut vous poursuivre toute votre vie même si vous n'avez rien fait de mal, par le biais de certaines lois (que Mme Goupil doit sûrement connaître) qui vous obligent à faire le BS (le bien-être social ou l'assistance sociale) pour des gens qui reçoivent même le vrai BS du gouvernement tout en recevant le vôtre, des gens admissibles à l'aide juridique et qui peuvent vous poursuivre à volonté, ou quasiment (leur sincérité est rarement mise en doute), des lois qui découragent l'adoption. 
 
          Évidemment, il ne faudrait pas passer outre au Code du travail, qui vous enlève entre autres choses la liberté d'association. S'il y a un syndicat dans la boutique, vous êtes cuit; vous n'avez pas le choix; vous devez joindre les rangs de ce syndicat dont les dirigeants, d'ailleurs, vont vous ignorer plus souvent qu'autrement, pourvu qu'ils reçoivent vos cotisations. Ils ne justifient leurs postes que par la surenchère des revendications, surenchère qui a d'ailleurs conduit à la fermeture d'entreprises. Paradoxalement, quand il y a vandalisme, ils disent qu'ils ne réussissent pas à contrôler leurs membres. Le coût fiscal, assumé par tous, des cotisations syndicales et des crédits d'impôt aux divers fonds syndicaux d'investissement (il y en a deux au Québec) est considérable. Ces fonds sont une création gouvernementale, à l'origine par Jacques Parizeau, lequel n'hésitait pas à créer des déficits et à nous endetter pour satisfaire ses fantasmes keynésiens. Nous en avons hérité. 
 
          Quels pouvoirs avez-vous si vous êtes lésés par le gouvernement? Pas grand-chose. Pour l'État, ne l'oubliez pas, vous n'êtes qu'un citoyen, une créature de l'État. En principe, vous avez des droits selon la propagande des socialo-sadiques mais c'est toujours l'État qui a le dernier mot. L'État, ses ministres, ses hauts fonctionnaires et gratte-papier ne peuvent pas avoir tort. Parlez de vos problèmes aux journalistes; ce sont eux que les politiciens craignent le plus. 
 
          Parlez-en à Jacques Dubreuil qui s'est vu refuser un permis d'exploitation d'une poissonnerie en Gaspésie, une région en chômage endémique et qui, comme plusieurs autres régions, voit sa population décroître; après avoir investi beaucoup d'argent, il a dû se défendre, à ses frais, contre les avocats du gouvernement, payés par nous (mais payés par nous de façon coercitive). Il devrait être remboursé, capital et intérêts, à même les fonds publics qui ont été versés pour le remboursement des dépenses électorales des deux partis responsables: le Parti québécois et le Parti libéral du Québec. 
 
          Un des moyens de désincarner Big Brother et de le détruire, c'est de rendre les individus derrière Big Brother directement responsables de leurs actes et de les faire payer pour les conséquences de leurs actes, soit en leur coupant les fonds, et/ou par des poursuites judiciaires dont ils se souviendront tous (mais il n'y a pas réellement de Charte des droits des individus vis-à-vis l'État). Dans l'exemple de Jacques Dubreuil, la décision a été prise par deux partis politiques véreux que lui, le galeux, avait tous les torts. Dans ce cas, la compensation ne doit pas venir des fonds publics mais plutôt des contributions déjà versées aux deux partis politiques, capital et intérêts. Dans d'autres cas, il pourrait s'agir de sous-ministres, de mandarins, qui ont soutenu des politiques néfastes contre l'intérêt de la population. Et nous aurions alors un début de démocratie, où finalement les politiciens et les fonctionnaires seraient responsables des conséquences de leurs décisions, pas seulement par un vote tous les quatre ou cinq ans qui ne fait que les absoudre. 
 
          Pour qu'il y ait une véritable démocratie et que l'on cesse de légiférer à tort et à travers, il faut rendre les individus derrière Big Brother directement et personnellement responsables de leurs décisions, au même titre que les citoyens eux-mêmes, les entreprises et leurs dirigeants. Ce moyen est concomitant à d'autres: élimination du financement public des dépenses électorales, élimination du respect obligatoire de la ligne de parti, représentation selon une liste proportionnelle (ou partiellement), élection directe du premier ministre, etc. 
 
 
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