Montréal, 14 avril 2001  /  No 81
 
 
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Martin Masse est directeur du QL. La page du directeur.
 
ÉDITORIAL
  
COMMENT RELANCER LE
LIBÉRALISME AU QUÉBEC
 
par Martin Masse
  
  
          Parce qu'il contient la plus forte concentration d'artistes, de yuppies, d'étudiants, de professeurs, de journalistes et d'intellectuels au Québec, le quartier montréalais du Plateau Mont-Royal a une influence démesurée sur les courants idéologiques et culturels de la province. C'est de là que partent habituellement les nouveaux mouvements contestataires de la gauche caviar, comme on peut le voir en ce moment avec l'anarchisme et la lutte contre la mondialisation. C'est là aussi qu'éclatent souvent les controverses intra-péquistes sur les stratégies référendaires et l'identité québécoise. 
 
          La circonscription de Mercier, qui recoupe en gros le territoire du Plateau, a été ravie au député libéral et premier ministre Robert Bourassa le 15 novembre 1976 par un poète, Gérald Godin, et est restée pendant un quart de siècle dans le giron péquiste. L'élection partielle qui s'y est tenue la semaine dernière n'a pas fait mentir la réputation du comté. Les médias, qui ne portent habituellement aucune attention à ces élections partielles, ont eu cette fois de quoi se mettre sous la dent.  
  
          Elle a débuté il y a quelques mois avec les propos controversés sur les Juifs de l'hurluberlu ultranationalo-gauchiste Yves Michaud, une controverse en partie responsable du départ de Lucien Bouchard; en cours de route, des révélations sur ses démêlés avec la justice ont fait dérailler la campagne du candidat péquiste (d'origine haïtienne, pour faire oublier l'hurluberlu), Claudel Toussaint; elle s'est achevée avec la victoire surprise de la candidate « libérale » (en fait, une socialiste) Nathalie Rochefort avec seulement 35% des voix et un vote important (24%) pour un candidat représentant une coalition de partis d'extrême-gauche, Paul Cliche.  
  
Une ouverture à gauche 
  
          Ce sont donc trois candidats de gauche qui se sont partagé les votes. Parce que le Plateau constitue une société tellement particulière, on ne devrait donc tirer aucune conclusion quant à la direction des vents politiques au Québec à partir de résultats si étranges. Mais nos commentateurs et politiciens se laissent facilement impressionner et cette élection partielle est venue renforcer l'un des mythes les plus ridicules de la politique québécoise, à savoir celui selon lequel le gouvernement du Parti québécois serait « à droite » et « néolibéral » et qu'il y aurait donc une ouverture à gauche pour un troisième parti, ou encore pour les girouettes du Parti soi-disant libéral.  
  
          Cette confusion est entretenue par le penchant interventionniste du gouvernement péquiste, que plusieurs confondent avec un appui au milieu des affaires. Chaque fois que l'État accorde des subventions ou crédits d'impôt à des entreprises pour « encourager des projets structurants », pour « provoquer une synergie », pour « stimuler le développement d'un secteur clé » ou encore, prétexte universel, pour « créer de l'emploi », des contribuables se disent que le gouvernement aide encore les gros et les puissants et que ce sont eux, les petits, qui vont en faire les frais.  
  
          Selon des recherches de l'Atlantic Institute for Market Studies, l'État québécois a distribué, en 1998, la somme incroyable de 3,18 milliards $ en subventions aux entreprises, tandis que les subsides versés par les neuf autres gouvernements provinciaux combinés ne représentaient que 2,2 milliards $. Encore cette semaine, la ministre des Finances Pauline Marois a joué à la mère Noël avec fanfare et trompettes en accordant un petit cadeau de 12 millions $ à une succursale de la bourse NASDAQ qui s'installe à Montréal, en plus d'une vingtaine de millions $ au secteur financier de la métropole.  
  
          Comme je l'ai déjà expliqué (voir LE CHEVAL DE TROIE DE L'INTERVENTIONNISME PRO-BUSINESS, le QL, no 55), ces politiques interventionnistes n'ont absolument rien à voir ni avec le capitalisme, ni avec le libre marché, ni avec le libéralisme économique. Elles sont exactement son contraire et visent un contrôle des entreprises et une mainmise de l'État sur l'économie. Le libéralisme déplore toute manipulation ou distorsion des processus de marché par la main très visible de l'État et s'oppose à cette planification soft (par opposition à une étatisation intégrale) du développement économique.  
  
Les pouilleux des années 2000 
  
          La gauche pure et dure, celle qui considère que le marché, la finance, les entreprises, non seulement ne doivent pas être aidés, mais constituent des abominations qui doivent être combattus et si possible éliminés, a évidemment de bonnes raisons d'être déçue de la gestion péquiste. Sauf que douze ans après la chute du Mur, il y a très peu de chance que ses solutions trouvent preneur. 
  
          Le quinze minutes de gloire dont bénéficie l'extrême-gauche dans les médias à l'occasion du Sommet des Amériques à Québec n'est qu'un épiphénomène qui passera, pas une tendance lourde comme on tente de nous le faire croire. Les idéologies radicales n'ont aucun fondement rationnel et ont complètement perdu l'aura d'invincibilité qu'elles avaient il y a vingt-cinq ans. Comme les pouilleux des années 1970, les jeunes idéalistes naïfs qui manifestent aujourd'hui devront un jour se trouver un emploi et passeront à autre chose. 
  
  
     « Le quinze minutes de gloire dont bénéficie l'extrême-gauche dans les médias à l'occasion du Sommet des Amériques à Québec n'est qu'un épiphénomène qui passera, pas une tendance lourde comme on tente de nous le faire croire. »  
 
 
          Et puis, où trouvera-t-on ailleurs au Québec des milliers de branchés/paumés (c'est une question de perspective), lecteurs de Voir et du Devoir, qui trouvent normal de voter pour un crackpot soutenu notamment par des verts et des communistes? Dans la République populaire démocratique d'Hochelaga-Maisonneuve quelques coins de rue plus au sud, peut-être, mais nulle part ailleurs. Tout ce qu'une coalition ou un parti de gauche réussira à faire s'il s'organise suffisamment d'ici les prochaines élections, c'est d'enlever quelques points au PQ et aider à l'élection d'un gouvernement libéral.  
  
Les guidounes roulent aussi à gauche 
  
          C'est de ce côté que cette bousculade à gauche est plus préoccupante. Même s'il n'y a aucune illusion à se faire sur les principes libéraux des soi-disant libéraux (voir LES GUIDOUNES DU PSDLQ, le QL, no 47), on pourrait au moins s'attendre à ce que Jean Charest, s'il dirige le prochain gouvernement, s'inspire de politiques moins socialistes et interventionnistes que ses adversaires. L'élection de sa candidate dans Mercier semble toutefois lui être montée à la tête et le chef libéral à décidé qu'il y avait du millage à faire pour le moment en roulant à gauche du parti au pouvoir. 
  
          Selon un portrait paru dans le Devoir, Nathalie Rochefort a d'abord milité au Nouveau Parti démocratique avant de se joindre au PLQ. Fédéraliste, elle considère qu'il y a de la place pour elle dans ce parti, allant même jusqu'à affirmer qu'« être libéral au Québec, c'est être socialement juste », i.e., c'est être socialiste. Elle n'a pas nécessairement tort évidemment. Diplômée en « action communautaire », la nouvelle députée a travaillé comme consultante en développement pour des organismes communautaires, c'est-à-dire qu'elle est devenue une spécialiste du tétage de subventions pour des parasites tels que Le Bon Dieu dans la rue, le CRAN des femmes, la SPCA et le centre communautaire des gais et lesbiennes.  
  
          En Chambre au lendemain du vote, Jean Charest a pris le relais de sa candidate élue et des parasites communautaires qu'elle défend pour relancer Bernard Landry sur l'enjeu de la pauvreté: « Qu'est-ce qui est arrivé pour que le premier ministre crée autant d'espoir pour finalement céder au marketing et décevoir les Québécois qui veulent que leur gouvernement s'occupe de pauvreté? », a-t-il demandé. On pourrait lui retourner sa question: Qu'est-ce qui est arrivé pour que le chef de l'Opposition cède ainsi au marketing et déçoive les Québécois qui veulent que son parti défende les intérêts de la majorité d'entre eux qui ont une vie productive et qui paient trop d'impôts, au lieu de perdre son temps à parler au nom d'une poignée de parasites? 
  
          Si M. Charest tient tant à tenir un discours populiste de gauche et à plaire aux branchés/paumés de Mercier, pourquoi ne pas plutôt s'attaquer au corporate welfare distribué à coups de millions par le gouvernement, une position qui aurait au moins le mérite d'être cohérente avec la tradition idéologique de son parti? Le seul pas minuscule qu'il a fait dans cette direction ces derniers jours a été pour demander plus de « transparence » dans l'allocation de ces fonds. « Un gouvernement libéral sera transparent et publiera chaque année un relevé de tous les programmes de subventions de l'ensemble des ministères et organismes publics », a-t-il dit lors de sa réplique officielle au budget Marois. « Les contribuables ont droit de savoir combien ils donnent année après année à ces gens-là. » Wow! On a le droit de savoir à qui s'en va notre argent, mais pas celui de ne pas se le faire dérober! 
  
Capitalisme politique 
  
          Lors des dernières élections générales, Jean Charest a été crucifié pour avoir osé dire qu'il fallait remettre en question l'interventionnisme étatique dominant au Québec depuis la Révolution tranquille. S'ils annonçaient toutefois demain matin qu'ils élimineraient entièrement toute forme d'« aide » aux entreprises après leur arrivée au pouvoir, les libéraux se créeraient du coup un capital politique considérable, qui leur donnerait un poids moral suffisant pour s'attaquer ensuite à d'autres réformes plus controversées, celles des programmes sociaux par exemple. Même dans le climat idéologique bien-pensant qui domine au Québec, il deviendrait alors difficile de les accuser de s'attaquer aux faibles et aux démunis en voulant démanteler l'État-providence, puisqu'ils auraient d'abord fermé les goussets aux méchantes compagnies.  
  
          L'élimination immédiate du corporate welfare et l'abolition des multiples sociétés d'État qui distribuent des fonds et procurent des « investissements » un peu partout sur le territoire permettraient par ailleurs de réduire considérablement les impôts dès un premier budget libéral. Quelques parasites du monde des affaires lanceraient sans doute des hauts cris, mais qui s'en soucierait? Non seulement ces entrepreneurs n'ont-ils pas plus le droit que d'autres de s'approprier des ressources qu'ils n'ont pas produites, mais cette pratique contredit entièrement le système capitaliste qui leur permet de s'enrichir et qu'ils croient à tort incarner.  
  
          Bref, s'attaquer radicalement à l'interventionnisme économique du gouvernement péquiste n'aurait que des avantages pour les libéraux. Cela leur permettrait de redorer le blason du libéralisme et de tenir un discours anti-étatiste, tout en jouant sur les bons sentiments gauchistes à la mode. Cela leur donnerait la légitimité morale pour vraiment remettre en question le « modèle québécois » et proposer des réformes ambitieuses allant dans le sens de plus de liberté individuelle. Ont-ils toutefois assez de couilles et de cohérence intellectuelle pour aller dans cette direction? Ne gagez pas votre chemise...  
  
  
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Le Québec libre des nationalo-étatistes  
L'ÉTAT, NOTRE BERGER?
  
        « Après avoir pris ainsi tour à tour dans ses puissantes mains chaque individu, et l'avoir pétri à sa guise, le souverain étend ses bras sur la société tout entière; il en couvre la surface d'un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient faire jour pour dépasser la foule; il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige; il force rarement d'agir, mais il s'oppose sans cesse à ce qu'on agisse; il ne détruit point, il empêche de naître; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation à n'être plus qu'un troupeau d'animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger. »    

Alexis de Tocqueville   
DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE (1840) 

 
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