Montréal, 14 avril 2001  /  No 81
 
 
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Hervé Duray est étudiant à l'Ecole Supérieure de Commerce de Grenoble et tient La Page libérale, un site dédié au commentaire des informations sous un angle libéral.
 
LA PAGE LIBÉRALE
  
JOSPIN.COM
 
par Hervé Duray
  
 
          Tout gouvernement n'est jamais à court d'idées quand il s'agit de réglementer, de s'assurer de nouveaux domaines d'activités, et par là même de nouveaux Observatoire/Commission/Institut, etc... Que de jolis fromages en perspective pour nos hommes de l'État! Fauteuils bien moelleux et futures réunions à Deauville, Nice, ou Paris! 
  
          Le prétexte à la mode en ce moment: l'internet et ses nuées de pédophiles. Al Gore s'était déjà couvert de ridicule en déclarant peu ou prou « j'ai inventé l'internet », mais Lionel Jospin n'a pas eu besoin de se jeter des fleurs, puisque Le Monde s'en charge: « Le gouvernement invente la société de l'information ». Notre gouvernement a donc une créativité sans limites! Et bientôt les fromages couleront...
 
La Toile dans un cadre 
 
          La raison de ce titre est tout simplement que le gouvernement Jospin vient de se mettre d'accord sur le projet de loi sur la société de l'information (LSI pour les intimes). Pourquoi un tel enthousiasme? Le texte « doit servir de cadre à l'ensemble de l'activité sur la Toile en France, notamment en matière de commerce électronique ». Traduction en langage libertarien: l'État non content de vous pourrir la vie vient de s'apercevoir que vous passiez du temps sans lui sur l'internet. 
  
          Il faut donc remédier à ce grave problème, et surtout trouver des prétextes à intervenir. Et ils sont multiples: le Net n'est qu'un immense réservoir de pédophiles qui agissent là anonymement, tranquillement. Citation? « Attention, l'utopie [libertaire] risque de profiter d'abord à ceux qui l'exploitent, qui l'exploitent d'abord contre les plus faibles, contre les enfants, les naïfs, et contre la société. » (Colloque du 18 février 1999 au Palais Bourbon).  
  
          Ça, c'est Hervé Bourges, ex-président du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), le comité de censure français. C'est une émanation directe du ministère de la Culture et son président est nommé par le président de la République. Et c'est totalement apolitique rassurez vous! Hervé Bourges était ami personnel de l'ancien président qui l'a nommé (M. Mitterrand), et Dominique Baudis est du même parti que M. Chirac. Cette institution ne sert en fait qu'à entraver la liberté d'expression, et maintenant l'internet devrait y passer. 
  
          Alors que nous sommes déjà soumis à l'obligation de déposer un dossier auprès du CSA quand on fait un site en France pour un public français, la loi va rajouter le dépôt auprès de l'INA (Institut national de l'audiovisuel, archivage) et de la BNF (Bibliothèque Nationale de France). À quoi bon? Pour archiver un contenu qui de toute façon est « virtuel », par nature sujet à toutes les altérations possibles? Et mon site? Je dois leur donner ma base de données et mon code? Ridicule! 
  
          Quant au CSA, je n'ose même pas y penser! Je suis impliqué par exemple dans le futur site des auditeurs de Radio Courtoisie, la « radio de toutes les droites » (même celle que je ne soutiens pas: l'extrême-droite, le Front National). Que dirait le CSA de ce site? La radio est politiquement incorrecte, le site le sera probablement. Le CSA aura-t-il le pouvoir de contrainte sur le site? Il ne peut agir contre la radio car elle maintenant trop d'auditeurs, et encore...  Alors un pauvre site mené par quelques inconnus! 
  
  
     « Alors que nous sommes déjà soumis à l'obligation de déposer un dossier auprès du CSA quand on fait un site en France pour un public français, la loi va rajouter le dépôt auprès de l'Institut national de l'audiovisuel et de la Bibliothèque Nationale de France. » 
 
 
          Imaginons le contraire maintenant: on ne dépose pas le site. Mais alors le site devient illégal! Nous serons considérés comme présentant un contenu « pirate », non autorisé par l'autorité bienveillante (bien-pensante?) du CSA! 
  
Hommes de confiance 
  
          Pour le côté « marchand » de l'internet, qui ne doit surtout pas échapper à l'État, le prétexte trouvé est celui de la nécessaire confiance. Toute relation commerciale implique une confiance mutuelle, vous en conviendrez. Dès lors que le paiement se fait par carte bancaire sur l'internet, qu'il est difficile de connaître pas les moyens de sécurisation mis en oeuvre, etc., nombre d'internautes se refusent à acheter en ligne. 
  
          Les hommes de l'État considèrent que le marché n'est pas le bon système pour mettre en confiance. Les marketeurs qui se penchent sur le problème, les sociétés d'assurances, les banques, non, personne n'arrivera à créer la confiance: « Nous pensons que le droit peut être un facteur de confiance pour les utilisateurs actuels et futurs d'internet » dixit un membre du cabinet de M. Pierret (secrétaire d'État à l'industrie, responsable du projet de loi). Le droit? En quoi va-t-il nous donner confiance? Les criminels doivent être punis. Mais cela ne nous rendra pas notre argent détourné. Seuls des assurances remboursant la somme détournée et des systèmes de sécurité pourront pallier à ce genre de problèmes. Quant à l'idée qui avait été émise de faire passer toutes les transactions sur des serveurs « protégés » par le gouvernement, je vous laisse le soin d'en penser ce que vous voulez! 
  
          Par contre, bonne nouvelle, car dans un éclair de lucidité, on va être enfin autorisé le cryptage en France. Alors que je possédais PGP en 1995, la loi française assimilait cette possession à celle... d'une kalashnikov ou d'un char d'assaut! Le Monde ne nous précise pas si le système dit du « tiers de confiance » est maintenu. Ce système consistait en fait à donner ses clés à un organisme assermenté (police, notaire, etc..) qui en cas de problème pourrait ainsi décrypter vos messages. Bien sur, le « don » n'était pas volontaire, mais obligatoire. Et donner ses clés à la police... Quelle garantie de sécurité! Quelle belle preuve que nous ne vivons pas dans un État policier. Je leur laisse aussi les clés de ma voiture et mon code de carte bleue. 
  
          Une autre mesure amusante: celle d'un fichier contenant les adresses email des personnes qui ne veulent pas être importunées par le spamming. Oui, vous avez bien lu. Le gouvernement français veut se faire un carnet d'adresses digne des plus grandes boîtes de marketing! La base de données ainsi créée va-t-elle être accessible? Sur quels critères? Les personnes qui auront leur adresse dans cette base, leur faudra-t-il passer pas un serveur du gouvernement? Qui va lire le courrier et déterminer si c'est du spam ou autre chose? Je crois qu'on n'a pas fini d'entendre parler de cette histoire... 
  
          Les régulateurs sont déjà prêts pour nous mettre l'internet en coupe réglée. Ils ont même consacré un sommet pour nous, rebelles internautes non soumis à leur grande autorité. En novembre 2000, ils étaient tous réunis à Paris pour échanger leurs points de vue... qui reflétaient surtout leurs questionnements sur leurs futurs salaires*. 
  
          En tout cas, nous voilà prévenus: « Bienvenue dans la vie Jospin.com »**. 
  
 
*Voir le site Article 11: pour l'internet libre et indépendant contre la régulation des contenus.
**Le slogan de France Telecom était « Bienvenue dans la vie.com ». Détourné aussi en « Bienvenue dans la vie.con » pour parler du SAV incompétent en matière d'internet, mais il est vrai que la pression concurrentielle ils ne connaissent pas beaucoup là-bas. Société d'État évidemment!
  
 
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