Montréal, 7 juillet 2001  /  No 85
 
 
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Martin Masse est directeur du QL. La page du directeur.
 
ÉDITORIAL
 
FAMILLE, PATRIE, FOI
 
par Martin Masse
 
 
          On le sait, l'Église n'a plus l'influence qu'elle avait au Québec. Les prêtres de moins de 40 ans se comptent sur les doigts de la main, les églises sont recyclées en condos, plus personne ne va à la messe, l'État a pris le contrôle de tous les services dont s'occupaient le clergé et les communautés religieuses et l'Assemblée des évêques est devenue un groupe de pression marxiste. 
  
          Les gens de 45 ans et plus qui ont grandi dans une atmosphère religieuse et ont ensuite délaissé les bancs d'église disent qu'ils en avaient assez de se faire mener par le bout du nez par les curés, de se faire dicter quoi penser et comment vivre, de se faire interdire des choses inoffensives, de se faire prescrire des croyances qui n'allaient plus dans le sens de leurs valeurs réelles. C'était faire preuve d'une certaine arrogance, mais il faut dire que l'Église étaient devenue une institution sclérosée qui ne s'était pas adaptée aux attentes et aux besoins spirituels des nouvelles générations.
 
          Est-ce à dire qu'il n'y a plus de guides spirituels au Québec? Que les brebis errent dans les prés sans pasteurs pour les guider? Heureusement que non! La société évolue, et il faut bien vivre avec son temps. Notre nouvelle élite ne s'appelle plus évêques et curés mais plutôt ministres et hauts fonctionnaires; ils ne servent pas l'Église mais l'État; ce n'est pas la ferveur religieuse qu'ils entretiennent, mais le nationalo-étatisme. Ça fonctionne un peu différemment mais il y a quand même des similarités. 
  
Péché véniel 
  
          La ministre d'État (à ne pas confondre avec ministre du culte...) à la Famille et à l'Enfance, Linda Goupil, nous a offert une bonne illustration de cette nouvelle réalité sociologique dans une entrevue qu'elle accordait le 30 juin dernier au quotidien Le Soleil 
  
          Dans la plus pure tradition des missions évangélisatrices, Mme Goupil « veut convaincre la société québécoise de modifier ses valeurs » et lancera à l'automne un plan d'action pour inciter les citoyens, les entreprises, les municipalités et les organismes communautaires à se mobiliser pour aider les familles du Québec.  
  
          Aider les familles, c'est-y pas une belle valeur qui s'adonne aussi à être chrétienne, ça! Belle valeur qui n'est pas suffisamment répandue dans notre société, selon la ministre, qui trouve que « les parents n'ont pas assez de temps pour accompagner leurs enfants dans leurs loisirs » 
  
          Voyons voir. Disons que j'ai un enfant. Je passe une certaine partie de mon temps avec lui mais j'ai le choix tous les jours entre passer une heure de plus à m'occuper de lui ou passer une heure de plus à travailler, à magasiner, à regarder la télévision, à naviguer sur internet, ou à sortir avec des amis. Je décide systématiquement, pour des raisons qui me paraissent valables à moi (sinon, pourquoi ferais-je ce choix?) et qui ne concernent que moi, de faire l'une des dernières activités plutôt que la première. La ministre trouve que je n'ai pas une conduite morale et que je devrais faire le contraire de ce que je crois préférable. Je suis une brebis égarée. 
  
          Non mais, pour qui elle se prend cette bonne femme?! Oops! Qu'est-ce que je dis là, c'est la ministre d'État après tout... Je ne vais quand même pas manifester la même arrogance que les générations précédentes devant une institution si moderne et si bien adaptée à la réalité d'aujourd'hui. Elle a un tas de monde à son service qui ont étudié ces affaires-là, qui suis-je donc pour la contredire? La casuistique, je n'y connais rien. Mea culpa Madame la ministre.  
  
Mauvaise foi 

          Au contraire du ministre du culte, qui n'a pour convaincre ses ouailles que les exhortations et les menaces de représailles divines, la ministre d'État n'est pas qu'un autre personnage en jaquette qui déblatère de beaux mots. Son « ambitieux » plan d'action comprendra donc des subventions et des mesures incitatives aux entreprises et aux municipalités « qui décideront de se mettre au diapason des familles », tout cela appuyé par quelques centaines de pages de nouvelles réglementations.  
  

     « Je reconnais ma faute et j'admets tout haut: non, il n'y a pas de coûts à mettre en oeuvre toutes ces mesures, ceux qui émettent des réticences font simplement preuve de mauvaise foi. »
 
          Dans le cas des municipalités, il s'agira d'adapter les loisirs, les coûts des activités, le transport, les horaires et tous les services municipaux aux besoins des familles. Dans le cas des entreprises, le projet est encore plus ambitieux: reconnaître un statut particulier aux parents; organiser les heures de travail différemment afin de leur permettre de partir plus tôt; soulager les nouveaux parents de certaines tâches; permettre de revenir au travail de façon graduelle pour mieux s'occuper de son enfant; enfin, encourager les parents dans leur volonté de faire ce qu'il y a de plus important dans la société (avoir des enfants).  
  
          Qui pourrait s'élever contre des propositions si vertueuses? On se demande bien pourquoi toutes les municipalités et entreprises ne font pas déjà tout cela. Et même plus. Qu'est-ce donc qui empêche la réalisation de si bonnes oeuvres? Hmmm. Peut-être parce qu'il y a des coûts à tout ça, parce qu'il y a une limite à ce qu'on peut offrir à un groupe en particulier... Si on donne de si bonnes conditions aux parents, il faudra sans doute que d'autres se contentent de moins. Et puis, il faut pas oublier les minorités visibles, les handicapés et les gais et lesbiennes!  
  
          Pourquoi d'ailleurs faire payer aux autres les choix personnels de ceux qui ont décidé d'avoir des enfants? Personne ne les a forcé. Mes grands-parents ont eu douze enfants, et ils n'avaient pas de statut particulier pour les soutenir. Qu'est-ce qu'ils ont à se plaindre ceux qui en ont seulement un ou deux aujourd'hui?! Pourquoi ne pas laisser chaque entreprise et municipalité décider de ce qui est approprié pour elle comme service à ses employés ou citoyens qui sont parents?  
  
          Ça tient pas debout cette histoire-là! Oooooops! Je blasphème encore. C'est vrai que Sa Seigneurie connaît mieux ces choses-là que nous, c'est d'ailleurs pour ça qu'elle est à ce poste, parce qu'elle est qualifiée pour nous dire quoi faire dans notre propre intérêt. Sinon, pourquoi est-ce qu'on l'aurait élue? La démocratie, c'est à ça que ça sert.  
  
          Je reconnais ma faute et j'admets tout haut: non, il n'y a pas de coûts à mettre en oeuvre toutes ces mesures, ceux qui émettent des réticences font simplement preuve de mauvaise foi. « Les entreprises sont gagnantes sur toutes la ligne », confirme d'ailleurs la ministre. Elles « ont avantage à répondre à son appel afin d'être plus compétitives, d'attirer une main-d'oeuvre qualifiée et de bénéficier d'un personnel heureux de travailler ». Le profit sera la confirmation de la grâce accordée à celui qui fait les bonnes oeuvres.  
  
Le Septième Jour 
  
          Maseigneure Goupil en a d'ailleurs profité dans cette entrevue pour remettre en question l'ouverture des commerce le dimanche, une mesure impie qui bouscule l'horaire des parents et « qui ne rapporte pas plus d'argent aux entreprises » selon elle. Eh ben! Dire que tous ces propriétaires de magasins ne savent même pas qu'ils font ça pour rien, ouvrir le dimanche! Ils ne doivent pas avoir de bons comptables. C'est un peu dur à imaginer tout de même, tout ces entrepreneurs qui prennent des décisions qui vont à l'encontre de leurs intérêts. Mais bon, puisqu'il faut croire sans poser trop de questions...  
  
          En fait, la ministre apporte des nuances. Les commerces, les consommateurs, ont sans doute bénéficié de l'ouverture le dimanche, mais la société, elle, y a perdu: « individuellement, on y a gagné, mais collectivement, on y a gagné quoi? » On y a gagné quoi collectivement, hein? hein? Rien pantoute! Et puis, pourquoi le monde veulent-ils aller magasiner le dimanche, dites-moi? Sa Seigneurie a bien raison de déplorer ce consumérisme, qui détruit nos belles valeurs familiales. « Plusieurs familles du Québec ne se rencontrent même plus », dénonce-t-elle.  
  
          C'est vrai que quand t'as le choix entre aller visiter ta belle-mère et passer un après-midi au centre d'achat... Mais où est-ce qu'on s'en va si on cède à la tentation tout le temps et qu'on n'entretient plus les relations familiales? C'est la déchéance qui nous attend comme peuple. Et la ministre le dit bien, tout ça vise à freiner la chute du taux de natalité et à « assurer la survie du peuple québécois » 
  
          C'est vrai que les curés et les évêques avaient bien plus le tour de convaincre le monde des avantages de faire des enfants. Mais il faut bien donner le temps à notre nouvelle élite de nous prendre en charge et de nous mener vers le droit chemin; la Révolution tranquille, ça fait seulement quarante ans après tout. Et puis dans ce temps-là, les choses étaient plus faciles, parce que tout le monde pensait la même chose.  
  
          La ministre est bien consciente des problèmes sociaux contemporains mais elle ne se laisse pas abattre par les obstacles. Une utopie son projet? lui demande-t-on. Pas du tout, rétorque-t-elle, « tout est possible dans la mesure où on a un discours commun et qu'on passe aux gestes. Quand on est tout seul à penser comme ça, ça ne marche pas, mais quand tout le monde le fait, ça devient une valeur de société. »  
  
          Maseigneure Goupil n'a pas à s'en faire. Même si elle est toute seule à penser comme ça, elle a un outil infaillible que n'avaient pas ses prédécesseurs pour faire en sorte que tout le monde le fasse et que ça devienne une valeur de société. Eux devaient se contenter d'émettre des lettres pastorales, de faire des sermons en chaire, d'excommunier et de confesser; elle, il lui suffit de passer une loi, ce dont la Providence nous gratifiera sans doute dans les prochains mois.  
  
          Dieu merci, le monde change, les croyances et les institutions aussi, mais nous avons encore une élite spirituelle pour nous guider avec une main ferme! 
 
 
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Le Québec libre des nationalo-étatistes
L'ÉTAT, NOTRE BERGER?

    « Après avoir pris ainsi tour à tour dans ses puissantes mains chaque individu, et l'avoir pétri à sa guise, le souverain étend ses bras sur la société tout entière; il en couvre la surface d'un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient faire jour pour dépasser la foule; il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige; il force rarement d'agir, mais il s'oppose sans cesse à ce qu'on agisse; il ne détruit point, il empêche de naître; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation à n'être plus qu'un troupeau d'animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger. » 

Alexis de Tocqueville 
DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE (1840) 

 
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