Montréal, 13 octobre 2001  /  No 90  
 
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Gilles Guénette est diplômé en communications et éditeur du QL.
 
LIBRE EXPRESSION
 
LES JOURNÉES DE LA CULTURE, LA MINISTRE
ET LES NOUVEAUX CHICHES
 
par Gilles Guénette
 
 
          La cinquième édition des Journées de la culture avait lieu fin septembre à travers la province. Sur le site officiel de l'événement on parle déjà d'un « immense succès des Journées de la culture partout au Québec » même s'il est « trop tôt pour annoncer un chiffre final ».
 
          Encore une fois cette année, des Québécois auront visité les coulisses d'un théâtre à Montréal, investi le studio d'un artiste à Hull, participé à un atelier de body painting à Matane... On serait tenté de croire qu'ils auront été moins nombreux que par le passé à se déplacer, en raison des événements du 11 septembre, mais peut-être que le fait de remplacer le porte-parole officiel par un chimpanzé dans les publicités des Journées aura eu un effet compensatoire... 
  
          Toujours est-il qu'à voir les quelques dizaines de personnes attroupées devant le Théâtre Prospero, rue Ontario, on doute que le milieu culturel soit en train de se développer d'importants nouveaux publics! Guide officiel en main et look vaguement « Plateau », tout ce beau monde est visiblement déjà converti. 
  
          Et si les gens ne se bousculent pas aux portes des activités, les médias non plus – sans doute est-ce parce que peu d'entre eux en sont les commanditaires! Dans La Presse, un petit exercice de style attire l'attention. « Que feriez-vous si vous étiez ministre de la Culture? » demande la journaliste Stéphanie Bérubé à sept artistes qui ont bien voulu se prêter au jeu(1). 
  
          La comédienne Markita Boies ferait « inscrire sur le cinquième des murs de tous les édifices gouvernementaux, autant à l'intérieur qu'à l'extérieur, des poèmes de poètes québécois. Ensuite, [sa mission] serait de trouver de l'argent pour que tous les employeurs, et les employés, avant leur heure de lunch, fassent une demi-heure d'activités artistiques et culturelles. De la danse, du tissage, du psychodrame, de la musique... » N'en jetez plus, la cour est pleine! 
  
          René-Richard Cyr, le directeur du Théâtre d'aujourd'hui à Montréal, est un peu plus pragmatique: « Est-ce que je peux donner une réponse vaguement intéressée? » demande-t-il. Bien sûr. « Alors je ferais du Théâtre d'aujourd'hui le théâtre national du Québec parce que c'est le seul théâtre voué à la création québécoise. Plus besoin de courir après les subventions... » C'est ce qu'on appelle « savoir où sont ses intérêts ». 
  
          Pour le jeune cinéaste Ricardo Trogi, « la première chose que je ferais si j'étais ministre de la Culture, ce serait de céder mon poste. [...] Parce que je n'ai pas la culture générale pour ce poste. » Puis, commentant les nominations ministérielles actuelles, « Je trouve ça étrange de voir qu'on nomme des ministres de la Culture qui n'ont pas nécessairement les compétences essentielles pour le poste. » Et vlan! 
  
          Trogi réfère-t-il à l'actuelle ministre de la Culture, Diane « c'est une bonne piste de réflexion » Lemieux? La fille de garagiste, comme elle se plaît à le répéter, n'aurait-elle pas les « compétences essentielles » pour le poste? Si elle ne les possède pas, elle a le don en tout cas de s'exprimer... dans une langue de bois des plus maîtrisées. 
  
          À l'occasion des Journées, dans une entrevue publiée dans un cahier spécial du Devoir, elle y est allée d'une de ces remises en question politico-culturelles dont sont si friands les politiciens(2). Quoi de mieux, pour donner une impression d'action, que de remettre en question des acquis (pas trop tout de même!), de brasser de la paperasse, d'étudier la situation... 
  
     « Les Québécois sont devenus chiches avec le temps. À force d'avoir tout gratuit dans le bec, ils en sont venus à ne plus vouloir débourser un sous pour la culture. "Si c'est québécois, c'est gratis!" qu'ils se disent. »
 
          Cinq ans après la première édition des Journées de la culture, Diane Lemieux, pour qui voir un sculpteur à l'oeuvre ou une troupe de danse en répétition a « quelque chose de magique », estime que le temps est venu d'évaluer les résultats obtenus – question « d'affiner le concept pour le rendre encore plus approprié ». Et pourquoi s'arrêter ici? Revoyons l'ensemble de la politique culturelle un coup parti! 
  
          « La politique culturelle du gouvernement a été adoptée en 1992. [...] Dix ans plus tard, il est temps de mesurer ce que l'on a réussi à faire, quels sont les maillons les plus faibles et ceux que nous avons besoin de renforcer. Il faut donc s'interroger, non seulement à propos des Journées de la culture, mais plus largement sur l'industrie culturelle et sur la façon dont nous l'avons menée depuis dix ans. Que l'on soit créateur, diffuseur ou ministre, tout le monde doit se questionner. » Questionnons-nous. Et dans le doute, réinventons la roue!  
  
          « Dans une ou deux décennies, nous n'aurons peut-être plus besoin d'un événement aussi marquant, large et mobilisateur [que les Journées], parce que le contact entre les Québécois et la culture sera suffisamment de qualité pour que l'on aborde les choses autrement. Entre-temps, même si nous avons un niveau de fréquentation en salle qui est correct, nous avons encore besoin de ce genre de rendez-vous sans prétention qui vient frapper l'imaginaire et qui permet de tisser des liens [et blablabla]. » 
  
          N'y a-t-il que des maillons faibles ou à renforcer en culture? Qu'est-ce qu'un contact « suffisamment de qualité » entre les Québécois et la culture? Quel serait le niveau « acceptable » de fréquentation des salles? Les anges ont-ils un sexe? Pourquoi ne pas se pencher sur des questions pertinentes? Quelque chose du genre: Est-ce que la multiplication des activités culturelles gratuites est vraiment une bonne chose pour la culture québécoise? 
  
          Prenez le film Maelström (encore lui!) de Denis Villeneuve. Lors du gala d'ouverture du 25ième Festival des films du monde de Montréal, entouré des ministres Harel de la Métropole et Lemieux de la Culture (en tenues de soirée), le président de l'événement s'enorgueillissait du succès qu'avait remporté la rétrospective des films marquants du FFM présentée (gratuitement) plus tôt au cinéma Impérial: « Le soir de Maelström, il y avait une file... On a dû refuser 200 personnes à la porte. 200 personnes! »(3) On comprend pourquoi, malgré sa grande visibilité médiatique, ses huit prix Jutra et cinq prix Génies, le film n'a récolté qu'environ 500 000 $ au box office. 
  
          Question: Pourquoi ces centaines de personnes ne sont-elles pas allés voir le film avant? Pourquoi ont-elles attendu qu'il soit présenté gratuitement pour le voir? Parce que les Québécois sont devenus chiches avec le temps. À force d'avoir tout gratuit dans le bec, ils en sont venus à ne plus vouloir débourser un sous pour la culture. « Si c'est québécois, c'est gratis! » qu'ils se disent – ou peut-être croient-ils qu'il s'agit là d'un autre de leurs nombreux « droits »; le « droit à la culture », ou quelque chose comme ça. 
  
          Si on vous disait: « Dans six mois, vous pourrez voir X, Y ou Z gratuitement – ou en présentation spéciale à Télé-Québec. » Ne seriez-vous pas tenté d'attendre? L'an dernier, le directeur du Musée des beaux-arts de Montréal avait ceci à dire: « Ici, la multiplication des festivals et autres événements artistiques et culturels gratuits a détourné le public des musées. »(4) C'est vrai qu'il venait à peine de débarquer de Paris et qu'il n'était pas tout à fait au fait de nos façons de faire... n'empêche qu'il avait un bon argument! 
  
          Mais, peut-être que la ministre va revoir cet aspect de sa politique? En attendant, à tous ces artistes qui n'arrivent pas à boucler leur budget avec leurs maigres salaires de fonctionnaires, elle a ces bons mots: « [J]e tiens à ce que les Québécois soient fiers de notre production culturelle, de la richesse de notre culture et de sa variété. Je tiens aussi à ce que la culture et tous ceux qui la façonnent soient très proches des Québécois. Il faut que l'industrie culturelle offre un éventail très grand d'émotions et de niveaux de complexité pour répondre à des besoins multiples et des réalités différentes. » C'est pas beau ça? 
  
  
1. Stéphanie Bérubé, « Sept artistes acceptent de s'asseoir un instant sur la chaise ministérielle... », La Presse, 29 septembre 2001, p. D3.  >>
2. Guylaine Boucher, « Démocratiser pour régner: Le gouvernement doit revoir sa position face à l'industrie culturelle », Le Devoir, 22 septembre 2001, p. E5.  >>
3. Stéphanie Bérubé, « Un festival au sommet: Le FFM s'ouvrait hier sous le regard fier de son président », La Presse, 24 août 2001, p. C1.  >>
4. –, « Musées de l'avenir: originalité exigée », La Presse, 29 janvier 2000, p. B8.  >>
 
  
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