Montréal, 10 novembre 2001  /  No 92  
 
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Jean-Louis Caccomo est économiste à l'Université de Perpignan.
 
PERSPECTIVE
 
LE CHOIX INDIVIDUEL EST LE FONDEMENT
DE L'ÉCONOMIE
 
par Jean-Louis Caccomo
  
  
          Nombreux sont ceux qui considèrent que la France est menacée par l'économisme ambiant et l'ultra-libéralisme matérialiste. Quand on sait qu'en l'espace de cinquante ans, l'emploi public a progressé dix fois plus vite que la population française et que la dette publique accumulée depuis vingt ans dépasse 5 400 milliards de francs, on peut douter que le plus grand danger pour ce pays soit une dérive ultra-libérale. C'est bien plutôt l'ultra-étatisme, et ses conséquences profondes et durables sur le sens de la responsabilité individuelle, qui constituent la plus grande menace pour notre société.
 
          Ce qu'il y a de plus pernicieux dans l'économisme ne se situe pas dans le développement de la sphère des échanges; c'est plutôt l'instrumentalisation et la manipulation de l'économie par le pouvoir. Les taux de croissance globaux, les indices du coût de la vie ou autre taux d'inflation, les grands agrégats macro-économiques sont des créations statistiques au service de l'interventionnisme économique. Ces données statistiques, qui forment une sorte de « tableau de bord » au service de la conduite de la politique économique, contribuent à donner une image mécanique et inhumaine de l'économie qui ne reflète que très partiellement la réalité économique.  
  
          Quand le ministre français de l'Économie et des Finances, M. Laurent Fabius, assure que les « fondamentaux » de l'économie française sont bons, on ne peut s'empêcher de se demander de quels fondamentaux il est question à ses yeux; car les mêmes experts officiels nous prédisaient, il y a peine un an, une croissance retrouvée pour au moins deux décennies qui nous conduirait inéluctablement au plein emploi et permettrait ainsi de maintenir le système de retraite par répartition. 
  
Le choix humain 
  
          Le véritable objet de la connaissance économique n'est pas dans l'élaboration d'une panoplie de statistiques officielles plus souvent flatteuses, par construction, qu'objectives; le véritable objet de la science économique, c'est le choix humain. La science économique est une science du comportement humain, et du comportement dans ce qu'il a de typiquement humain: la prise de décision. Or, nous ne prenons pas de décisions en fonction d'agrégats artificiels ou en fonction d'injonctions gouvernementales maquillées en « patriotisme économique »; si nous agissons rationnellement, nous prenons nos décisions en fonction de nos données et perceptions individuelles qui sont les préférences et les contraintes de temps et de revenu.  
  
          Ainsi, le coût de la vie est une appréciation subjective liée à nos choix individuels de consommation et l'estimation du coût de la vie n'est certainement pas la même pour un grand fumeur et pour un ascète. Cependant, pour produire une mesure officielle du taux d'inflation, on retiendra le coût du panier de bien d'un « ménage représentatif » défini selon des conventions nécessairement arbitraires. Mais, le ménage représentatif n'existe pas alors qu'un ménage réel ne prend pas de décision en fonction du taux d'inflation officiel mais de son taux d'inflation subjectivement perçu. 
  
     « Les hommes ne sont pas des êtres infaillibles et omniscients mais ils retirent des leçons de l'expérience, à condition d'être en situation de faire des choix, c'est-à-dire à condition d'être libres. »
 
          La déviation de l'économie en économisme est une manifestation du constructivisme qui veut que les hommes et femmes politiques aient la prétention de produire de l'emploi, du social, de la solidarité, de la culture et, pourquoi pas, du bonheur! Les statistiques officielles vont alors mesurer cette production, évaluer le moral des Français et photographier « l'opinion publique ». Mais, il en est de l'opinion comme de la propriété: seuls les individus sont de nature à avoir et exprimer une opinion, qui ne peut qu'être privée. L'opinion publique ainsi fabriquée devient une sorte de pensée officielle qui se substitue aux consciences personnelles et libres. Dans cette logique implacable, la responsabilité collective évince progressivement la responsabilité individuelle.  
  
          Or, l'économie ne peut que tomber en panne lorsqu'il y a défaut de décisions individuelles. L'économie ne peut fonctionner dans l'indécision généralisée car elle suppose une prise de risque, donc une prise de responsabilité, et seuls les individus sont de nature à agir et à assumer les risques. Le principe de précaution par exemple, lorsqu'il est poussé à son extrême, cultive l'illusion du « risque zéro ». Mais, sous le prétexte de protéger les individus d'eux-mêmes, l'État détruit en même temps ce qui fait l'identité, la spécificité et la dignité des personnes: leur aptitude (qui doit être développée à l'école) à faire des choix et à assumer les conséquences de leurs propres actes. Le « risque zéro » entraîne la « responsabilité zéro »; et l'empire de la responsabilité collective l'emporte peu à peu sur le domaine de la responsabilité privée. 

Processus d'essais/erreurs 
  
          Désormais, les individus attendent non seulement l'autorisation de l'État et de ses administrations pour nombres d'actes « économiques »(1), mais, ils voudraient que l'État décide à leur place puisqu'il a la prétention de « penser » à leur place. Ils préfèrent l'assistance administrative à la trop fameuse « dictature du marché ». Car, le marché existe à partir du moment où la concurrence existe et lorsque concurrence il y a, le consommateur se trouve devant la nécessité – l'embarras? – de choisir.  
  
          Assurément, le choix entraîne le doute, c'est-à-dire la crainte de faire le mauvais choix. Avant la libéralisation des télécommunications, certains experts nous expliquaient que les gens seraient perdus devant la multiplicité des offres et des tarifs. Autant de prétextes incongrus pour éviter la libéralisation et la fin des monopoles qu'elle implique. Cet argument pourrait s'appliquer dans le domaine éducatif ou de la santé où l'on ne veut pas rendre la liberté de choisir aux citoyens sous le fallacieux prétexte de les protéger d'eux-mêmes. 
  
          Cependant, les hommes grandissent en faisant des choix. Certes, l'erreur est humaine comme le choix qui est typiquement humain car la possibilité d'erreur existe justement du fait de l'existence du choix. C'est justement pour cette raison que les hommes apprennent et s'adaptent à travers leurs différents choix qui s'inscrivent dans un processus continuels d'essais et d'erreurs. Là est le propre de la rationalité humaine: les hommes ne sont pas des êtres infaillibles et omniscients mais ils retirent des leçons de l'expérience, à condition d'être en situation de faire des choix, c'est-à-dire à condition d'être libres. Cet apprentissage constant est au coeur du principe de concurrence et est à l'origine de l'amélioration progressive de la connaissance, des sciences et des techniques et l'affinement des choix. C'est pourquoi des économistes comme Friedrich Hayek ou Gary Becker préfèrent définir la concurrence comme un « processus de découverte » (Hayek) ou un « principe d'amélioration » (Becker) plutôt que comme un système de « lutte pour la survie » 
  
          Si, par un usage abusif du principe de précaution, on en vient à étendre le domaine de la réglementation et de la bureaucratie, alors on finira par neutraliser ce processus de découverte et les hommes n'auront plus l'occasion ni de choisir et ni de prendre des risques. Ils perdront ainsi la capacité d'apprendre et donc d'évoluer mais ils prendront, en même temps, le plus grand des risques en s'en remettant à un État tout-puissant lequel reste géré et piloté, en dernière instance, par des hommes et des femmes susceptibles eux aussi de se tromper. Et comme les bureaucrates et les dirigeants n'assument pas les conséquences de leurs actes, ils sont susceptibles de se tromper souvent. Or, à la différence des choix privés qui n'engagent que leurs auteurs, les choix publics engagent généralement toute la nation(2). Ce sont toujours les citoyens et les contribuables qui font les frais des mauvais choix des dirigeants politiques, comme l'a illustré la trop fameuse affaire du Crédit Lyonnais en France. 
 
 
1. Si l'on peut, en théorie pure, définir et isoler un acte économique, force est de reconnaître que, dans la pratique, toutes nos décisions ont un caractère économique sans qu'elles se réduisent dans le même temps à cette seule dimension. Ainsi, nos décisions en matière alimentaire ont certainement une dimension économique mais elles reflètent aussi des choix socioculturels ou autres.  >>
2. Ainsi, l'État français ne croyait pas, dans les années 1970, au développement de la micro-informatique et n'a pas cru bon de s'intéresser à ce secteur alors que certaines entreprises françaises étaient en pointe à l'époque. Certes, IBM ne croyait pas non plus à l'avenir du micro-ordinateur mais a été forcé de s'adapter rapidement aux évolutions du marché informatique sous peine de disparaître. Voir Caccomo J.L., Les défis économiques de l'information – La numérisation, L'Harmattan, Paris, 1996.  >>
 
 
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