Montréal, 2 février 2002  /  No 97  
 
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Gilles Guénette est diplômé en communications et éditeur du QL.
 
 
 
LIBRE EXPRESSION
  
QUÉBEC, OTTAWA
ET LA PROPAGANDE POLITIQUE
 
par Gilles Guénette
 
 
          À la une de La Presse du 9 janvier dernier, on pouvait lire: « Landry centralisera toute la publicité gouvernementale ». Les budgets destinés à la publicité gouvernementale au Québec, jusqu'ici répartis dans chacun des ministères, seront désormais ramenés sous l'égide du Conseil exécutif – l'équivalent du ministère du premier ministre. Et les sous-ministres devront dorénavant faire approuver leurs idées et obtenir du financement auprès du Secrétariat à la communication.  
  
          Cette nouvelle, nous dit-on, provoque des grincements de dents dans les rangs des ministères. Ce n'est pourtant pas la première fois que le PQ centralise ses opérations de propagande. Un récent ouvrage montre à quel point celles-ci sont importantes en politique. Surtout lorsque vous avez une option comme la souveraineté (ou le fédéralisme) à vendre à un électorat québécois...
 
Les envahisseurs  
  
          « L'État québécois devra – après l'indépendance toujours – voir à exercer son influence sur tout, à partir des commerciaux jusqu'à la musique "pop", et ce, dans le but de préserver "la pureté culturelle de la population francophone"(1). » C'est en ces termes, en 1977, que le ministre des Communications sous René Lévesque, Louis O'Neill, indiquait l'importance accordée à l'« information » par un gouvernement péquiste. Cet extrait est tiré d'Un siècle de propagande?: Information, Communication, Marketing gouvernemental (Presses de l'Université du Québec, 2001.) de Robert Bernier, un essai largement consacré à la communication gouvernementale au sein des gouvernements du Parti québécois à partir de leur première arrivée au pouvoir en 1976. 
  
          On y apprend qu'aussitôt en poste, le PQ s'est mis à engloutir des millions de dollars dans divers sondages d'opinions, recherches sociologiques et campagnes de publicité, question de mieux « connaître » les besoins des Québécois pour ensuite mieux les combler grâce à des services étatisés. En plus de justifier l'intervention de l'État dans toujours plus de sphères de la société, cet exercice permettra aux péquistes de constamment ajuster leur tir afin d'aller chercher plus d'appuis à leur option constitutionnelle auprès de la population. 
  
          En marche vers son but, le PQ n'a pas regardé la dépense et a opté pour une approche centralisée de gestion de ses communications. Ainsi, en 1977, « le gouvernement du Québec occupait le 28e rang parmi les principaux annonceurs du Canada alors qu'en 1979, il occupait le 4e rang avec 14,3 millions de dollars de dépenses publicitaires. » En 1971, le Québec consacrait 780 000 $ à ces dépenses de publicité, une augmentation de 1723%(2). Et les budgets, on s'en doute, ne sont pas allés en régressant depuis(3). 
  
          Pourquoi se donner tout ce trouble? Les objectifs d'une information gouvernementale, comme l'ont suggéré les auteurs d'un des nombreux rapports réalisés sur le sujet au cours des années, pourraient être définis comme suit: « Informer la population de toutes les décisions gouvernementales, attirer l'attention du citoyen sur des objectifs de biens communs tels les campagnes de sécurité routière et de promotion industrielle; [...] et favoriser une plus grande participation de toutes les couches de la population à la vie politique de la nation(4). » 
  
          Au Québec, l'exécutif en vient vite à concevoir l'information et les communications gouvernementales « dans une perspective de développement de la société québécoise ». Et c'est là l'une des choses qui frappent le plus à la lecture d'Un siècle de propagande? Outre le fait que le PQ est le parti qui a englouti le plus de fonds publics dans ces exercices de communications – le Parti libéral du Québec, selon Bernier, n'a jamais eu ce réflexe –, les campagnes gouvernementales sont toujours entreprises dans le but de transformer la société dans un sens déterminé (on ne peut s'empêcher de penser ici à la promotion de « l'Homme Nouveau » nazi ou communiste) et de « vendre » le programme du parti – en l'occurrence, la souveraineté – aux électeurs. 
  
          Comme le souligne Robert Bernier, « [D]ans un parti programmatique comme le PQ, le marketing de l'exécutif ainsi que celui des services gouvernementaux sont intégrés à l'appareil politico-administratif dans l'optique de promouvoir à long terme une idéologie [mes italiques], tandis que, dans un parti opportuniste comme le PLQ, la primauté est généralement accordée à la propagande politique généralement de nature électorale. »  
  
          Ainsi, plusieurs sondages durant le règne de Lucien Bouchard révélaient que les femmes n'étaient pas chaudes à l'idée de la séparation du Québec – une situation qui n'a guère évolué sous Bernard Landry. Que fait le PQ? Il redouble d'effort pour tenter de convaincre ce segment de la population. C'est ainsi que depuis quelques années, on voit se multiplier les campagnes qui s'adressent aux femmes, ou qui mettent en scène des femmes – pensez à la présente campagne « Confiants, on prépare l'avenir »(5) dans laquelle on voit des gens (souvent des femmes) l'air béat, les bras en croix, « confiants »... –, et les annonces de nouvelles politiques axées vers une clientèle féminine comme les garderies à 5 $, l'équité salariale, etc. 
  
     « Sans cette fameuse question nationale, les gouvernements fédéral et provincial n'auraient possiblement pas autant recours aux campagnes de communications pour faire valoir leur point, ou faire avancer leur cause. »
 
          Québec a-t-il réellement le bien-être des femmes à coeur lorsqu'il agit de la sorte, ou bien cherche-t-il plutôt à s'assurer des votes pour la souveraineté? Un gouvernement péquiste accorderait-il autant d'importance à cette « clientèle » dans un Québec indépendant? Une chose est sûre, les libéraux, sans sous-estimer leur capacité de dépenser, n'ont pas à faire avancer une cause comme celle de la souveraineté auprès des Québécois. Ils n'ont pas à vouloir « changer » les Québécois pour arriver à cette fin politique et auraient donc moins tendance à avoir recours à des campagnes de publicité et/ou de sensibilisation pour tout et pour rien. 
  
Les propagateurs  
  
          La seconde chose qui frappe lors de cette lecture – qui, en passant, est très ardue en raison du style d'écriture « académico-bureaucratique » de M. Bernier –, c'est justement que sans cette fameuse question nationale, les gouvernements fédéral et provincial n'auraient possiblement pas autant recours aux campagnes de communications pour faire valoir leur point, ou faire avancer leur cause(6). Et qu'au Québec, le climat de confrontations qui sévit depuis des décennies entre séparatistes et fédéralistes entraîne une course à la visibilité des plus malsaines – et coûteuses. 
  
          Comme le soulignait Stéphane Dion, le ministre des Affaires intergouvernementales du Canada, lors d'une allocution prononcée le 6 octobre 1999, « Il serait très mauvais que la visibilité soit le principal moteur de l'action des gouvernements [remarquez l'utilisation du conditionnel]. Mais les citoyens ont le droit de savoir à quoi servent leurs gouvernements. Ils doivent être en mesure d'évaluer la performance de chacun, c'est une question de transparence. Les gouvernements, eux, accepteront plus facilement de collaborer s'ils ont l'assurance qu'on leur attribuera le mérite de leurs initiatives(7). » On n'intervient pas pour le bien du peuple; on intervient pour se voir attribuer le mérite de ses initiatives! 
  
          De tels exemples de politicailleries sont légion. Le 18 janvier dernier, lors d'une conférence de presse annonçant l'injection, pour 2002-2003, de 1,4 milliard $ dans la construction et l'entretien des routes du Québec, notre ancien ministre des Transports, l'ineffable Guy Chevrette, admettait que beaucoup de projets majeurs étaient toujours « en suspens » parce que son gouvernement et Ottawa ne s'entendaient pas – encore une fois – sur des détails d'importance capitale: « Ils [les libéraux fédéraux] veulent avoir la visibilité! Un peu plus... Si la feuille d'érable doit être droite, sur le camp ou de côté. Moi là, j'en ferai pas de guerre de même. » 
  
          M. Chevrette avait beau ironiser sur l'appétit vorace d'Ottawa en matière de visibilité, le drapeau fleurdelysé de son parti est omniprésent dans les moindres recoins de la Belle Province. Il avait beau dire, devant la presse d'ici, qu'il n'en fera pas « de guerre de même », son gouvernement continue d'apposer sa « signature » partout où il le peut, c'est-à-dire partout où il met des sous. Et comme il en met partout, des sous, il est à toute fin pratique impossible de passer une journée sans voir le cigle « Québec » apposé quelque part... Encore une fois, c'est à se demander si les interventions de nos politiciens visent le bien-être de la population ou leur éventuelle réélection.  
  
          Si la lecture d'Un siècle de propagande?: Information, Communication, Marketing gouvernemental nous apprend quelque chose, c'est que 1) sans l'éternelle division fédéral/provincial, sans toutes ces tergiversations entourant la question constitutionnelle, nous ne serions pas constamment bombardés par toute cette pollution visuelle générée par les publicités et panneaux réclame politiques sur les autoroutes, dans les parcs, dans les médias, etc. – du moins, pas avec autant d'intensité –, et 2) les politiciens sont en politique bien plus pour faire avancer leurs propres intérêts que pour faire avancer les nôtres. 
  
          Pour ce qui est de l'annonce de Bernard Landry de centraliser toute la publicité gouvernementale sous l'égide du Conseil exécutif, elle doit être vue comme un simple élan de continuité, rien de plus. Les troupes péquistes s'en vont en élection cette année – ou au début de l'année prochaine – et elles auront besoin de toutes les ressources possibles pour arriver à leurs fins, soit la réélection et, si Dieu le veut, la séparation du Québec. Dans ce sens, la centralisation de tout l'appareil de propagande ne devrait pas surprendre. Elle fait partie de leur tradition de vouloir contrôler entièrement le message depuis leur première élection en 1976. 
  
  
1. Jean Pellerin, « Cette "conscience collective nationale" », La Presse, 3 mai 1977, p. A-4. Cité (de façon erronée – la citation reprise ici est celle qui correspond à l'original de La Presse) par Robert Bernier, p. 76.  >>
2. Claude Piché illustre la croissance sans précédent des dépenses publicitaires du gouvernement québécois dans La Presse du 1er novembre 1980. Un siècle de propagande?, p. 83.  >>
3. Le Groupe d'étude sur les fonctions administratives horizontales du Conseil du Trésor a entrepris une étude exhaustive sur le coût global des communications gouvernementales au Québec pour l'exercice financier 1982-1983. Cette somme s'élève à 94 458 100 $ (Québec, Conseil du Trésor, 1984a) Un siècle de propagande?, p. 98. Ces données remontent au début des années 1980, imaginez où l'on en est rendu, 20 ans plus tard!  >>
4. Jean Loiselle et Paul Gros-D'aillon, 1970b, vol. II, p. 2. Un siècle de propagande?, p. 57.  >>
5. La campagne « Confiants, on prépare l'avenir » aura coûté 5 millions $ en fonds publics et vise à stimuler la fierté des Québécois. Commentant le slogan de la campagne, un lecteur de La Presse y allait de cette observation en début d'année: La règle grammaticale veut que le « on » exclu la personne qui parle. Cela veut-il dire que le gouvernement n'est pas confiant?  >>
6. Nos politiciens sont par ailleurs très conscients de l'importance de la publicité dans l'avancement des idées. Ainsi, on apprenait fin septembre que dans une note à son successeur Bernard Landry, l'ex-premier ministre Jacques Parizeau avait souligné que « l'apport de fonds publics est particulièrement important pour ce qui a trait aux dépenses de communications et de publicité. [...] Comme le gouvernement fédéral le montre tous les jours, la publicité est un remarquable levier de cohésion et de fierté populaire. » Denis Lessard, « Marois et Landry tentent de justifier la campagne de publicité de Québec », La Presse, 22 septembre 2001, p. F-3.  >>
7. Stéphane Dion, communiqué, Canada, BCP, octobre 1999. Un siècle de propagande?, p. 207.  >>
  
  
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