Montréal, 16 février 2002  /  No 98
 
 
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Martin Masse est directeur du QL. La page du directeur.
 
 
ÉDITORIAL
 
ENRON ET LES VERTUS DU CAPITALISME
 
par Martin Masse
 
 
          La moralité a ses limites, plus restreintes chez certains individus que chez d'autres, et on retrouve dans tous les milieux des gens prêts à voler, à frauder et à magouiller pour s'approprier le biens d'autrui et se remplir les poches. Une question cruciale que l'on doit se demander est: quel système politico-économique favorise le plus la moralité et sanctionne le plus ses écarts? Un système où les droits de propriétés sont protégés dans le cadre d'une économie privée et d'un marché libre, ou un système où l'État s'approprie une partie importante de la richesse pour la redistribuer selon des critères politiques?
 
          La saga de la compagnie Enron et celle des démissions récentes au sein du Parti québécois permettent d'apporter un éclairage intéressant sur cette question.  
  
Magouilles comptables 
  
          Depuis sa faillite spectaculaire au début de décembre, Enron, une firme spécialisée dans la production d'énergie, est devenue pour les illettrés économiques de gauche un autre exemple de la « faillite du capitalisme ». Septième compagnie en importance aux États-Unis, elle s'est effondrée en quelques semaines lorsqu'on a découvert que des magouilles comptables avaient fait en sorte de cacher des dettes d'un demi-milliard de dollars dans des filiales et entreprises partenaires et de gonfler artificiellement ses profits. De 83 US$ qu'il était un an plus tôt, son titre a chuté à moins d'un dollar en novembre 2001, provoquant des pertes énormes pour de nombreux investisseurs et surtout pour les employés d'Enron dont les fonds de pension contenaient essentiellement des actions de la compagnie. Cela, alors que ses dirigeants avaient empoché des millions en vendant leurs actions avant leur chute.  
  
          Les multiples enquêtes en cours nous diront qui exactement est responsable de ces malversations financières et de l'effondrement de la compagnie. Mais de toute évidence, les règles d'une gestion prudente et honnête n'ont pas été suivies. Doit-on en conclure que c'est le capitalisme qui a un problème? 
  
          Il faut d'abord dire qu'Enron était loin d'être un emblème de l'entrepreneuriat privé et du libre marché. On sait que ses dirigeants avaient des liens très étroits avec George W. Bush et plusieurs membres influents de son administration et qu'ils contribuaient généreusement aux caisses électorales de nombreux politiciens aussi bien démocrates que républicains. Tout comme nos parasites corporatifs officiels au Canada, les Bombardier, Pratt & Whitney et cie, Enron avait ses entrées dans les officines de l'État, et savait sans doute manipuler les bonnes personnes aux bons endroits pour obtenir subventions et réglementation (ou déréglementation, dans le cas du secteur de l'énergie) qui la favorisaient. La compagnie aurait reçu 600 millions $ en subventions de la Banque Import-Export uniquement.  
  
          Ce n'est donc pas de la chute d'une entreprise capitaliste, mais bien de celle d'un parasite alimenté par l'interventionnisme de l'État américain qu'il faut parler.  
  
          Heureusement, ce parasite devait tout de même opérer à l'intérieur d'un système économique qui conserve les principales caractéristiques du capitalisme. Dans ce système, on ne peut indéfiniment accumuler et cacher des dettes de façon irresponsable, frauder, trafiquer ses chiffres, exagérer ses profits, sans en subir les conséquences. On ne peut violer systématiquement les lois de bases d'un système fondé sur l'échange volontaire et la confiance sans que la vérité finisse par éclater et que tout s'effondre. Dès que des informations sur les pratiques douteuses de la compagnie ont commencé à filtrer, son titre s'est effondré.  
  
Magouilles politiques 
  
          Comparons ces événements avec la tragi-comédie qui afflige le Parti québécois ces derniers jours.  
  
          Le directeur général du parti, Raymond Bréard, de même qu'un ministre influent, Gilles Baril, ont tous deux démissionné à la suite d'allégations de conflits d'intérêt dans une affaire de lobbying. M. Bréard, qui avait précédemment travaillé au bureau du premier ministre, a empoché quelques centaines de milliers de dollars alors qu'il était lobbyiste pour la firme Oxygène 9. Il avait touché cette ristourne en décrochant une subvention importante pour des organismes culturels chez la Société des événements majeurs internationaux (SEMIQ), un organisme sans but lucratif chargé de distribuer des fonds publics aux grands festivals. Quant au ministre, il n'a semble-t-il rien fait de mal, mais a des relations de copinage un peu trop étroites avec les mêmes lobbyistes et a craqué devant l'attention médiatique qui se faisait envahissante au cours des dernières semaines.  
  
     « Chaque jour, des ministres des Finances et leurs sous-fifres inventent des manoeuvres comptables douteuses pour cacher une partie des déficits qu'ils accumulent. Les magouilles des hommes de l'État peuvent se perpétuer parce qu'ils ont la coercition et la "loi" de leur côté et peuvent donc continuer à nous voler légalement. »
 
          Rien à voir avec la fraude à grande échelle chez Enron et ses conséquences pour des milliers de gens, direz-vous. En fait, il y a un parallèle intéressant à faire. La SEMIQ est l'un des huit organismes sans but lucratif mis sur pied en 2000 par Bernard Landry, alors ministre des Finances, pour gérer plus de 700 millions CAN$  – à peu près l'équivalent des dettes cachées de Enron – à l'écart du budget de dépense officiel du gouvernement et à l'abri des regards trop inquisiteurs. Les sommes sont distribuées par des conseils d'administration non élus et ne sont pas soumises à l'examen des députés. Le vérificateur général Guy Breton a critiqué cette manoeuvre comptable douteuse, soulignant qu'« à l'inverse des ministères, les OSBL n'ont pas d'obligation de déposer un rapport annuel d'activité à l'Assemblée nationale, ni de se présenter en commission parlementaire pour discuter de leur gestion administrative. » 
  
          Bref, ces sommes gigantesques, qui appartiennent en réalité aux contribuables, sont à toutes fins pratiques cachées – comme les dettes d'Enron – dans des organismes bidon, distribuées aux petits amis et à toute la colonie de parasites entretenus par le régime péquiste, sans aucune forme de transparence. Le gouvernement s'est empressé d'annoncer de nouvelles règles pour encadrer le travail des lobbyistes, mais personne dans la clique officielle étatico-médiatique ne pose la vraie question: comment se fait-il que le gouvernement puisse nous voler carrément ces centaines de millions et les distribuer à sa guise? 
  
          Ce cas n'en est bien sûr qu'un parmi bien d'autres. Qu'on pense aux multiples sociétés d'État, au Québec, au Canada, en France ou ailleurs, dont les pratiques comptables sont douteuses, qui engouffrent des milliards en pure perte dans des projets qui n'ont aucune logique économique. Qu'on pense aux « trous » budgétaires, comme le milliard disparu sans laisser de trace à Développement des ressources humaines Canada l'an dernier, ou encore ceux, récurrents, dans la santé, dans l'éducation, dans à peu près tous les départements de l'État. Que se passe-t-il dans ces cas? Les actions en bourse de ces ministères et organismes chutent-elles? Traîne-t-on les responsables devant les tribunaux? Accuse-t-on l'étatisme d'être en faillite? 
  
          Évidemment non, on fait une petite enquête interne, on invente une pseudo crise pour que les manchettes des journaux changent, et on augmente les impôts pour boucher le trou. Contrairement aux gestionnaires privés, les politiciens et les bureaucrates sont intouchables, ils n'ont de comptes à rendre à personne sauf aux électeurs une fois tous les quatre ans, et ont des moyens gigantesques de manipulation à leur disposition pour faire en sorte qu'eux-mêmes, ou leurs successeurs qui font de toute façon partie de la même petite clique de parasites étatiques, s'en sortiront indemnes et pourront continuer leurs magouilles impunément.  
  
Qu'est-ce qui est vraiment en faillite? 
  
          La faillite d'Enron est une tragédie pour des milliers de gens qui ont perdu leur emploi ou leurs épargnes. Mais au moins, c'est une tragédie qui a vite connu son dénouement et dont les dégâts ont été contenus à cause des mécanismes de contrôle et de sanction du libre marché. Dans une économie de marché, fondée sur la confiance, la transparence et les échanges volontaires, les fraudes sont tôt ou tard découvertes et sanctionnées.  
  
          Personne n'a jamais prétendu que le capitalisme pourrait empêcher ce genre de désastre de survenir. On ne change pas la nature humaine, et il y aura toujours des fraudeurs. Ce que fait le capitalisme toutefois, c'est qu'en protégeant les droits de propriété, en forçant tout le monde à être responsable et à voir à ses propres intérêts, il rend beaucoup plus difficiles et improbables les malversations à grande échelle. Lorsque qu'elles se produisent tout de même, elles finissent par être rapidement découvertes et le château de cartes s'effondre aussitôt. Voilà la vertu du capitalisme.  
  
          Au contraire, les États gaspillent, chaque jour, une partie de plus en plus grosse de la richesse produite par nous tous. Chaque jour, des parasites étatiques s'enrichissent à nos dépens. Chaque jour, des ministres des Finances et leurs sous-fifres inventent des manoeuvres comptables douteuses pour cacher une partie des déficits qu'ils accumulent. Les magouilles des hommes de l'État peuvent se perpétuer parce qu'ils ont la coercition et la « loi » de leur côté et peuvent donc continuer à nous voler légalement. Les montants en jeu sont quant à eux infiniment supérieurs à tous les Enron de la terre – les dépenses publiques comptent en effet pour près de la moitié de toute l'économie au Canada et dans la plupart des pays développés.  
  
          Même si l'on sait tout cela, ces personnages ne subissent aucune sanction immédiate et continuent d'agir en toute impunité. Quelques pauvres types comme les Bréard et Baril perdent bien une partie de leurs privilèges pour sauvegarder les apparences, et les médias complaisants alimentent cette crise passagère avec des « enquêtes journalistiques » superficielles et des éditoriaux invitant à plus de « transparence » de la part de l'État. Mais personne ne soulève le vrai problème, qui est celui du parasitisme et de la fraude à grande échelle pratiqués par les hommes de l'État.  
  
          Et c'est le capitalisme qui serait en faillite? 
 
 
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Le Québec libre des nationalo-étatistes
L'ÉTAT, NOTRE BERGER?

    « Après avoir pris ainsi tour à tour dans ses puissantes mains chaque individu, et l'avoir pétri à sa guise, le souverain étend ses bras sur la société tout entière; il en couvre la surface d'un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient faire jour pour dépasser la foule; il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige; il force rarement d'agir, mais il s'oppose sans cesse à ce qu'on agisse; il ne détruit point, il empêche de naître; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation à n'être plus qu'un troupeau d'animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger. » 

Alexis de Tocqueville 
DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE (1840) 

 
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