Montréal, 16 mars 2002  /  No 100
 
 
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Martin Masse est directeur du QL. La page du directeur.
 
 
 
ÉDITORIAL
 
LES FAUX DÉBATS DES ÉTATISTES
 
par Martin Masse
 
 
          Dans une société étatisée comme la nôtre, où pratiquement rien ne se produit sans que le gouvernement et ses multiples agences n'y soient impliqués d'une façon ou d'une autre, le contrôle du pouvoir et des ressources de l'État prend une importance démesurée. Il ne s'agit plus simplement d'une lutte partisane entre des cliques politiques: tous les débats sociaux et économiques finissent pas être colorés par cette dynamique d'appropriation des ressources et du pouvoir.
 
          Au contraire de ce qui se passe dans un marché libre, où les échanges se font toujours au profit de tous les partenaires qui s'y soumettent volontairement (personne n'est forcé d'acheter ou de vendre), la politique est un jeu à somme nulle. Lorsqu'un milliard est dépensé par le gouvernement, c'est parce que les payeurs de taxe ont dû s'en départir contre leur gré. Lorsqu'il est dépensé pour cette cause, il est perdu pour cette autre. Lorsqu'une réglementation favorise tel groupe, elle pénalise tel autre.  
  
          Bref, dans cette logique étatiste, on ne peut pas simplement ignorer ce que fait l'État puisque si l'on s'abstient d'influencer les décisions de ceux qui sont au pouvoir, nos concurrents politiques le feront à nos dépens, et ce sont nos finances et nos intérêts qui en pâtiront.  
  
          Parmi les débats qui font les manchettes des journaux, plusieurs n'ont aucune pertinence en eux-mêmes mais n'existent que parce qu'ils sous-tendent cette compétition pour contrôler les ressources et le pouvoir de l'État.  
  
Ces impôts sont à moi – non, à moi!  
  
          C'est le cas par exemple de cette histoire de « déséquilibre fiscal » qui occupe les méninges des stratèges provinciaux depuis la parution du rapport Séguin (voir également dans ce numéro UN RÉFÉRENDUM SUR LE « DÉSÉQUILIBRE FISCAL »?). En gros, ce déséquilibre viendrait du fait que le gouvernement fédéral, parce qu'il contrôle une « assiette fiscale » plus riche, verrait ses revenus – et ses surplus – augmenter graduellement au cours des prochaines années; en contrepartie, le gouvernement du Québec, confronté notamment à une hausse des coûts de la santé et fiduciaire d'une assiette fiscale moins généreuse, risque de manquer de revenus et de retomber dans le cercle vicieux des déficits.  
  
          Même si l'intérêt soudain pour cette question semble lié, comme presque tout ce que fait ce gouvernement, aux tactiques référendaires des péquistes (quoi faire pour raviver la flamme séparatiste si l'on ne peut tenir un référendum sur la séparation?), la dynamique plus générale est celle-ci: qui va mettre la main sur les sommes faramineuses que le gouvernement fédéral siphonnera de nos poches au cours des prochaines décennies? C'est pourquoi les libéraux du Québec (Yves Séguin est un ex-ministre libéral) semblent ouverts à une collaboration bi-partisane sur le sujet.  
  
          Le « débat » est bien sûr présenté dans un cadre qui n'offre que des solutions étatistes: cette assiette fiscale servira-t-elle à nourrir les goinfres fédéraux ou les porcs provinciaux? Un véritable débat offrirait pourtant une 3e solution: si Ottawa nage dans les revenus, il devrait continuer à réduire les impôts, et si Québec manque de revenus, il lui suffit d'éliminer des programmes de subventions, d'abolir des ministères, de vendre des sociétés d'État, et, dans le cas spécifique de la santé, de privatiser ce réseau. Pas de danger toutefois que les blablateux médiatiques discutent des mérites de cette alternative.  
  
Perte de poids 
  
          Parmi les manchettes hystériques des derniers jours, il y a aussi celle qui nous informe que « le Québec perd du poids au sein du Canada ». Eh oui, selon les dernières données de Statistique Canada, à 1,4% seulement, la croissance démographique au cours des cinq dernières années a été moins forte dans la Belle province qu'en Ontario (6,1%), en Alberta (10,3%) et en Colombie-Britannique (4,9%). Cette croissance est la plus faible de notre histoire. Alors que le Québec représentait 29% de la population canadienne au début des années 1960, il n'en représente plus que 24%. 
  
     « Au lieu de chercher un moyen pour que notre démocratie "reflète mieux notre volonté collective", il faudrait se demander s'il est moralement justifié que l'État, appuyé ou non par une majorité, nous dicte notre façon de vivre en plus de nous soutirer la moitié de notre revenu. »
 
          Ces chiffres ne sont évidemment pas très surprenants. Ce sont les provinces les plus économiquement dynamiques, l'Ontario et l'Alberta, qui attirent le plus d'immigrants et de Canadiens qui déménagent d'une province à l'autre. (La Colombie-Britannique connaît une croissance plus forte que le Québec malgré sa mauvaise performance économique des dernières années, mais cette croissance est fortement en baisse par rapport aux années précédentes. L'arrivée récente d'un gouvernement libéral – vraiment libéral – devrait lui permettre de redevenir une destination favorite.) Le peu d'attrait du Québec s'explique par son économie moins compétitive, par ses impôts trop élevés et aussi par ses politiques linguistiques et culturelles xénophobes.  
  
          Il y avait à peine un million six cent mille Québécois il y a un siècle. Aujourd'hui, nous sommes 7 237 000. Outre le fait que ce faible taux de croissance des dernières années soit un reflet de notre manque d'attrait, qu'est-ce que ça peut bien faire si nous sommes un, deux, dix millions de plus? Ça n'améliore pas notre qualité de vie. Mais ce que ça fait, dans la perspective étatiste, c'est que ça diminue notre poids au sein de la fédération. Ça va faire en sorte que la députation québécoise à la Chambre des communes sera proportionnellement moins importante après la prochaine répartition des sièges. Ça va réduire notre influence au sein du gouvernement. Oh malheur! Nos représentants dans la capitale impériale n'auront plus le bras aussi long pour aller chercher notre magot, pour exiger notre part du gâteau, pour ramener notre part du butin!  
  
          Déjà, le ministre québécois de la Population (eh oui, il existe une telle créature) est à l'oeuvre, nous dit-on, pour préparer une nouvelle politique de la natalité – les trois ou quatre précédentes ayant toutes échoué depuis que nous avons arrêté de faire des bébés dans les années 1970. Il y a pourtant une autre solution à cette « perte d'influence au sein du Canada »: réduire la taille et le rôle du gouvernement fédéral de telle façon que ça n'aura plus aucune pertinence qu'on ait ou non un « French Power » à Ottawa. Que le gouvernement fédéral s'occupe seulement de nous protéger contre les ennemis étrangers et de protéger nos droits contre les agresseurs internes, qu'il cesse de redistribuer la richesse d'une province à l'autre et de s'impliquer dans les domaines de juridiction provinciale, ou mieux encore, qu'il s'évapore en fumée!, et ça n'aura plus aucune conséquence que nous formions 24% ou 2% de la population canadienne.  
  
Une meilleure représentation 
  
          Un dernier faux débat qui fait rage depuis quelques mois chez les étatistes du Québec est celui entourant le système électoral. En décembre dernier, un nouveau regroupement, le Mouvement pour une démocratie nouvelle (MDN), a été lancé dans le but de susciter un débat public sur un projet de réforme du mode de scrutin. Le MDN a un site internet, a organisé des débats et assemblées publiques et compte multiplier les interventions sur ce thème pour amener le gouvernement à enfin prendre une décision sur une question qui revient périodiquement dans l'actualité depuis les années 1960. 
  
          Il est clair que notre mode de scrutin uninominal à un tour est loin d'être parfait et permet parfois (comme ce fut le cas lors des dernières élections provinciales de novembre 1998) au parti qui a obtenu le moins de vote de gagner le plus de siège et de prendre ainsi le pouvoir. Mais les modes de scrutin de type proportionnel ont eux aussi des défauts. Et le véritable débat n'est de toute façon pas là.  
  
          La démocratie, c'est un système où cinq loups et un mouton votent pour savoir ce qu'ils auront à souper. Les loups, ce sont les hommes de l'État et leurs clients, les groupes d'intérêts – bureaucrates, syndicats, compagnies subventionnées, associations de parasites, etc. –, qui prétendent parler au nom de la collectivité. Et le mouton, c'est nous. Nous n'avons rien à gagner à avoir un système où les loups seront mieux représentés.  
  
          Au lieu de chercher un moyen pour que notre démocratie « reflète mieux notre volonté collective », comme le demandent les partisans d'une réforme, il faudrait d'abord se demander s'il est moralement justifié que l'État, appuyé ou non par une majorité, nous dicte notre façon de vivre en plus de nous soutirer la moitié de notre revenu. Pourquoi ne pas plutôt discuter des mérites d'un système qui protégerait mieux la volonté individuelle de chaque Québécois de gagner et de vivre sa vie librement, pacifiquement, en coopérant volontairement avec qui il veut?  
  
          Pas de danger que les étatistes qui peuplent les médias officiels se penchent sur ce type de solution. Ils vont continuer à faire leurs faux débats et à pérorer sur les multiples façons de légitimer encore plus le vol légal et la coercition bureaucratique, de s'approprier les ressources et le pouvoir de l'État. C'est pourquoi l'existence de médias « alternatifs » tels le QL est si importante. Et c'est avec une fierté particulière que nous vous présentons ce numéro, le 100e où se font les vrais débats. 
  
 
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Le Québec libre des nationalo-étatistes
L'ÉTAT, NOTRE BERGER?

    « Après avoir pris ainsi tour à tour dans ses puissantes mains chaque individu, et l'avoir pétri à sa guise, le souverain étend ses bras sur la société tout entière; il en couvre la surface d'un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient faire jour pour dépasser la foule; il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige; il force rarement d'agir, mais il s'oppose sans cesse à ce qu'on agisse; il ne détruit point, il empêche de naître; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation à n'être plus qu'un troupeau d'animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger. » 

Alexis de Tocqueville 
DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE (1840) 

 
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