Montréal, 11 mai 2002  /  No 104  
 
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Hervé Duray est étudiant à l'École Supérieure de Commerce de Grenoble et tient La Page libérale, un site dédié au commentaire des informations sous un angle libéral.
 
LA PAGE LIBÉRALE
 
UNE EUROPE À DEUX VITESSES
 
 par Hervé Duray
  
  
          Ça y est, nous sommes sauvés: Jacques Chirac a été élu président de la République. La France vient d’échapper au péril « brun », j’ai vraiment eu très peur (cf. ma réaction du premier tour et mon intention de vote dans le dernier numéro du QL). D’ailleurs tout le monde a eu peur, hein? Tout le monde acquiesce, comme d’habitude. Les 6 millions de Français qui ont voté Le Pen au second tour ont disparu dans la nature, le dimanche 21 mai à 20h00 semble-t-il. Personne n’a lancé d’avis de recherche, ils ne manquent pas, hein? Tout le monde est d’accord encore une fois. Ah si on pouvait les foutre dehors ceux-là, ils nous déshonorent, nous remplissent de honte! Aucune opposition à mes propos?
 
Une « unanimité » fabriquée 
  
          Ah que c’est beau l’unanimité française, 82% des voix pour une élection digne de Mobutu ou de Castro. Pendant deux semaines, nous avons eu la Pravda sur 20 journaux écrits, 6 chaînes de télé (avec une mention pour Canal+ et ses 2 heures particulièrement anti-Le Pen tous les soirs), toutes les radios possibles (sauf Radio Courtoisie sur Paris).  
  
          Pendant deux semaines, Le Pen n’a pas eu droit à la télé, ni à la radio. Pourquoi? Parce qu’en vertu de l’égalité de traitement médiatique des deux candidats, les candidats et leurs soutiens doivent disposer du même temps d’exposition. Amusant, car dès lors que les écolos, les trotskistes, les socialistes et tous les autres partis faisaient campagne pour Chirac, ils n’en étaient pas pour autant des « soutiens ». Du coup, Chirac n’est pas allé à la télé, ni à la radio, et Le Pen n’a pas eu de temps d’antenne. La campagne a-t-elle été équitable pour autant? 
  
          Pendant deux semaines, tout, je dis bien tout, est devenu politique. Les élèves étaient dans la rue pour dire « non » au Front National, au fascisme (qu'ils écrivent fachisme), à l'antisémitisme et à la xénophobie, l'homophobie, et certainement par phobie des cours insipides de leurs profs marxistes. 
 
          Les joueurs de football ont fait amende honorable, Zinedine Zidane prenant même position, lui qui jusque-là était resté muet sur ces sujets polémiques. Chaque profession a dû s'agenouiller devant la défense de la démocratie: pompiers, infirmières, instits, tout le monde y est passé. 
  
          Les artistes aussi s’y sont mis: les acteurs, les scénaristes. D’ailleurs un film, Féroce, est sorti entre les deux tours. Le beau-frère du premier ministre Lionel Jospin y tenait le rôle d’un méchant fasciste chef de parti d’extrême droite dont des militants kidnappent, violent, puis tuent la pauvre soeur d’un Français arabe, qui se venge en... tuant ce méchant fasciste, responsable de toute cette haine. J’ai lu que Le Pen a porté deux semaines durant un gilet pare-balles 24 heures sur 24. Vers qui la haine était-elle dirigée? 
  
Fortuyn: trop populaire pour survivre 
  
          Étrangement, c’est de Hollande qu’est arrivé le vrai séisme: l’assassinat de Pim Fortuyn, juste avant les législatives du 15 mai. Les sondages promettaient à son parti un « raz de marée » au parlement, avec un discours très nettement orienté anti-immigration, son leitmotiv étant: « Les Pays-Bas sont pleins ». Pourtant « Pim » était une star en Hollande: à lui les plateaux de télé, les débats et les antennes de radio. Pas d’ostracisme, pas de manifestations contre le retour de « la bête immonde » (comprenez le national socialisme). Pas de désinformation non plus sur des citations, comme le « je suis socialement à gauche, économiquement à droite, nationalement français! » (Le Pen) soi-disant de la bouche même d’Hitler, alors que c’était tout simplement du maire de New York Michael Bloomberg! 
  
     « Il y a en Europe deux visions politiques qui se dessinent: ce que j'appellerais l'occidentalisme, mélange de libéralisme et de sauvegarde identitaire, et le mondialisme, mélange de socialisme et d'ouverture béate aux flux migratoires. »
 
          Les jours suivant sa mort, les commentaires du type « qui sème la haine récolte la haine » sont apparus dans les journaux en France quand les footballeurs du Feyenoord Rotterdam portaient un brassard noir, en hommage à Fortuyn (il était conseiller municipal à Rotterdam). Et les manifestations en Hollande rendaient hommage à Fortuyn. 
  
          Les Hollandais nous ont donné une leçon cinglante de démocratie, et les médias français restent bien silencieux. Comment expliquer qu’à quelques centaines de kilomètres de chez nous, d’autres nous battent dans la défense de la démocratie? 
  
Vers un nouveau clivage politique majeur? 
  
          Au-delà de ce contraste, il y a en Europe deux visions politiques qui se dessinent: ce que j’appellerais l’occidentalisme, mélange de libéralisme et de sauvegarde identitaire, et le mondialisme, mélange de socialisme et d’ouverture béate aux flux migratoires. 
  
          Tous les pays européens sont en ce moment traversés par cette fracture politique: d'un côté, la France et l’Angleterre ont choisi le mondialisme, avec Blair qui a nettement augmenté les impôts(1) et le choix de Chirac face à Le Pen; de l'autre, l’Italie avec Berlusconi qui supprime les droits de succession et va peut-être rétablir le droit de posséder une arme(2), le Danemark qui durcit les lois sur l’immigration... Au niveau européen aussi cette fracture est patente: la France refuse le côté libéral de l’Europe, la fin des monopoles, la libération du marché de la santé, et pousse sans cesse pour une « harmonisation fiscale » qui obligerait les pays libéraux à renoncer à leurs choix au profit d'un État européen. 
  
          Il y a donc bien un espoir libéral en Europe, même si pour l’instant il semble cantonné à des pays « mineurs ». Il n’y a qu’à voir les menaces de sanctions de la France et de l’Allemagne pour comprendre que les positions danoises et italiennes dérangent. Reste à savoir si l’assassinat de Fortuyn après celui d’un conseiller de Berlusconi annoncent un retour du terrorisme de la gauche, propre à déstabiliser ce mouvement, à coups de grèves, de pressions médiatiques, comme en France, comme en Italie. Ou les libéraux vont-il tenir bon? En attendant, je vais ouvrir un dictionnaire d’italien, ce pays a de l’avenir. 
  
 
1. Éric Le Boucher, « Tony Blair est de gauche: la preuve », Le Monde, 21 avril 2002.  >>
2. Carlo Stagnaro & Dave Kopel, « Getting with it: Italians move toward protecting self-defense », National Review, 7 mai 2002.  >>
 
 
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