Montréal, 6 juillet 2002  /  No 106  
 
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Jean-Luc Migué est Senior Fellow de l'Institut Fraser.
 
ÉCONOMIE POLITIQUE
 
LA DICTATURE SYNDICALE AU CANADA
 
par Jean-Luc Migué
  
  
          Il y a quelques mois la Cour Suprême affirmait, dans une cause qui opposait la compagnie Pepsi au syndicat de ses employés, le droit des syndicats en grève de faire du piquetage secondaire, c'est-à-dire chez les fournisseurs et les clients de l'employeur en grève. Ce nouveau pouvoir renforçait tragiquement un pouvoir de monopole syndical déjà excessif au Canada. Ce jugement de la Cour Suprême nous fournit l'occasion d'examiner l'impact économique tragique de l'aménagement des relations industrielles chez nous.
 
Qu'est-ce qu'un monopole syndical? 
  
          En quoi peut-on parler de monopolisation syndicale pour désigner l'aménagement des relations industrielles chez nous? Le concept définit l'opposé du syndicalisme libre. Une fois qu'un syndicat est accrédité dans une entreprise ou une industrie entière – et cette reconnaissance est automatique si le syndicat obtient 50% d'appui –, tous les employés sont soumis à la cotisation (Formule Rand) et régis par les conditions spécifiées dans la convention. C'est le cas même pour les employés qui n'adhèrent pas au syndicat et qui voudraient offrir leurs services à des conditions différentes. C'est lui, le syndicat, qui contrôle la totalité de l'offre de travail et qui dicte les conditions de travail. 
  
          Le droit au piquetage secondaire n'est donc qu'une consolidation supplémentaire de ce qui est devenu chez nous une véritable dictature syndicale, qui résulte d'une multitude de dispositions légales qui se sont abattues sur le marché du travail depuis une génération. Rappelons les lois antiscabs qui interdisent le recrutement de remplaçants pendant les grèves. La seule insertion dans les règles de convention collective d'une disposition anti-briseurs de grève multiplie de 13% le nombre de grèves. 
  
          Rappelons aussi la généralisation de la formule Rand qui chez nous garantit la cotisation obligatoire au monopole syndical, l'extension à l'ensemble du territoire de conventions collectives particulières, la centralisation des négociations dans le secteur public par l'effet de la monopolisation d'industries entières, et l'obligation faites aux employés de financer les activités politiques du syndicat, telle que confirmée récemment par la Cour Suprême du Canada. Le taux de syndicalisation atteint 40% au Québec, contre 31% pour l'ensemble du Canada et 14% (9% dans le privé) aux États-Unis. 
  
          Quelles sont les conséquences de cette concentration de pouvoir dans le syndicat? Les salaires des syndiqués s'inscrivent en moyenne à 20-22% au dessus du salaire concurrentiel. Dans les années 1990, les employés canadiens sont allés six fois plus en grève que leurs contreparties américaines. Les grèves durent plus longtemps aussi et coûtent 2 millions $ de plus par grève. Le congédiement, même pour incompétence, s'avère pratiquement impossible et a suscité le recrutement de temporaires et de surtemps comme moyen de contourner cette rigidité.  
  
     « C'est surtout la masse des travailleurs non syndiqués, [qui subissent chômage et salaires inférieurs], qui écopent de la monopolisation syndicale. »
 
          Qui plus est, les salaires syndiqués dépriment l'emploi dans les secteurs affectés et forcent les chercheurs d'emploi déboutés à se déverser dans les secteurs non syndiqués, où ils subissent chômage et salaires inférieurs. C'est donc surtout la masse des travailleurs non syndiqués qui écopent de la monopolisation syndicale. 
  
Les effets sur l'investissement 
  
          Ce détournement de richesse a aussi des effets plus généraux sur l'économie. Même le gouvernement canadien (qui le niait jusqu'à tout récemment) reconnaît enfin que le Canada perd du terrain depuis de nombreuses années relativement à ses partenaires en matière de croissance économique et de productivité. La production par homme-heure est tombée à moins de 80% du niveau américain. Le revenu canadien par habitant, qui au début des années 1960 talonnait (à 10%) le niveau américain, s'inscrit aujourd'hui à 25-30% en dessous du revenu américain. Il suffit de suivre la dégringolade du dollar canadien, de la parité à 65 cents US, pour se rendre compte que le Canada, et plus encore le Québec, s'appauvrissent relativement à leur voisin du sud. 
  
          La théorie de la croissance et l'observation enseignent que là où, comme au Canada et surtout au Québec, le fardeau fiscal est écrasant et le poids réglementaire étouffant, l'investissement, surtout en R&D, ne fleurit pas et donc la croissance économique ralentit. De toutes les réglementations qui dépriment l'investissement en général, et l'investissement en recherche et développement en particulier, l'implantation coercitive de monopoles syndicaux compte parmi les plus néfastes. 
  
          Une fois implanté en effet, un investissement en R&D devient immobile, en ce qu'il en coûterait prohibitivement cher de le déplacer. Il devient l'objet de chantage de la part du monopole syndical qui cherchera à se saisir du produit de l'innovation (la quasi rente). Ce sont les syndiqués regroupés en monopole qui s'approprient le rendement de l'investissement en R&D, sous forme de salaires accrus et de conditions améliorées. Pour s'en défendre les employeurs comprimeront à long terme leurs investissements en R&D. 
  
          Une récente étude parue dans la Revue canadienne d'économique confirme cette prédiction en établissant une relation négative étroite entre le taux d'investissement en R&D d'une part (dépenses de R&D/unité d'output) et le degré de syndicalisation dans 13 industries canadiennes, entre 1968 et 1986. Le Canada se situe désormais au 14e rang des 27 pays de l'OCDE en matière de d'investissement en R&D. Une large part de cette dégringolade est imputable au monopole syndical. Un taux moyen de syndicalisation au Canada s'accompagne d'une baisse de 28 à 50% des dépenses de R&D. 
  
          C'est dire que sans monopoles syndicaux, c'est de 15 à 18 milliards $ d'investissement annuel qui se ferait plutôt que les 12 milliards $ qu'on observe présentement au Canada. Dans une industrie donnée, la R&D tombe de 40% quand on passe de l'entreprise moins syndiquée (25e rang percentile) à l'entreprise plus syndiquée (75e rang). Ultimement, c'est la croissance économique générale qui en souffre. Ces résultats confirment la relation établie depuis longtemps aux États-Unis. L'impact n'est que plus marqué au Canada, qui souffre de lois plus favorables aux monopoles syndicaux. 
  
 
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