Montréal, 3 août 2002  /  No 107  
 
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Carl-Stéphane Huot est étudiant en génie mécanique à l'Université Laval, à Québec.
 
SCIENCES, INDUSTRIES ET SOCIÉTÉ
 
TRANSPORTS: UN MAILLON ESSENTIEL
DE LA MONDIALISATION
(première partie)
 
par Carl-Stéphane Huot
 
 
          Les transports jouent un rôle considérable dans nos vies. Pourtant, cet aspect de l'industrie est mal connu. Dans la première de deux parties, je traiterai des transports maritimes et des politiques qui s'y rattachent. Dans la seconde partie, je traiterai des transports terrestres et aériens.
 
          Vous allez au supermarché. Dans votre panier, vous mettez fruits, légumes, viande, breuvages, pain, lait, conserves. Vous vous rendez ensuite à la station-service la plus près, et vous faites le plein. Une autre fois, ce sera des vêtements ou d'autres types de biens. Banal? Oui et non. Car derrière le bien de consommation qui se trouve en quantité suffisante sur une tablette de détaillant se cache tout un réseau logistique qui part des matières premières, qui passe par un réseau plus ou moins complexe d'industries, avant d'aboutir sur la tablette via un ou plusieurs entrepôts. Et ce qui lie ces différents points de traitement, c'est le réseau de transport, qui touche souvent la moitié du globe. 
  
          Qu'on en juge par ce simple exemple: un Français consomme une boîte de soupe aux légumes et pâtes. La boîte est faite d'acier qui provient peut-être de minerai de fer canadien ou scandinave, qui a été transformé en tôles minces par une fonderie quelque part en Europe, avant d'être mises sous forme de boîte ailleurs, et de servir dans une industrie agroalimentaire quelconque. La soupe est faite d'eau, de légumes provenant d'un peu partout en Europe, d'épices venant des pays chauds et de pâtes faites peut-être de blé canadien ou américain. 
  
L'importance du transport 
 
          Avec la mondialisation, il est avantageux pour tous – malgré ce que peut en penser notre geignarde gauche, syndicats en tête – que les entreprises se spécialisent dans un nombre restreint de tâches et se structurent en réseaux plus ou moins étendus. Cela exige donc que le réseau de transport soit efficace, cela parce qu'une mauvaise planification des transports peut mener à des retards de production ou à des surplus indésirables, à des bris ou des pertes de biens, mais aussi à la perte de contrats. 
  
          Le transport maritime touche la quasi-totalité des transports intercontinentaux, sauf pour les passagers. Selon la Lloyd's, le principal assureur maritime dans le monde, environ 50 000 navires sillonnent autant les eaux océaniques que les côtes et les canaux, les fleuves et les rivières. Cela va du petit cargo qui transporte quelques dizaines de tonnes de marchandises aux supertankers de quelque 300 000 tonnes de port en lourd, en passant par des porte-conteneurs capables de prendre en cale et sur le pont entre 50 et 3 300 conteneurs de 40 pieds (12,2m). Leur vitesse va entre 8 et 27 noeuds (15 à 50 km/h), la vitesse augmentant généralement avec la grosseur, sauf pour les transporteurs de vrac, pétroliers, minéraliers et céréaliers, dont la vitesse limite est de 16 noeuds environ (30km/h). 
  
          Bien que l'âge moyen de la flotte mondiale dépasse maintenant les 19 ans, et que la durée de vie prévue d'un navire soit de 20 ou 25 ans, je dois quand même mettre un certain bémol sur l'idée couramment répandue que l'ensemble de la flotte marchande soit en très piteux état. En consultant les statistiques d'accidents et d'avaries maritimes de différents pays, et en vérifiant les définitions qui se rattachent aux différents types d'accidents, je me suis aperçu que l'ampleur de ce problème avait été exagérée par les médias et groupes de pression concernés. Il y a sans doute un certain nombre d'accidents dus au mauvais entretien et à l'état lamentable de navires, mais il y en a bien plus causés par l'erreur humaine ou ce qu'il est convenu d'appeler les « fortunes de la mer »: les vagues, mais aussi des hauts-fonds non ou mal répertoriés, ou même qui se sont déplacés. 
  
     « Avec toutes les réglementations en vigueur autour du monde, les États ont surtout réussi l'incroyable tour de force de déresponsabiliser complètement les acteurs du domaine maritime. La raison est simple. Il peut y avoir jusqu'à 5 ou 6 pays impliqués en cas d'accident. »
  
          La plupart des navires sont probablement en bon état. D'abord, le génie de la construction navale a bénéficié de bon nombre des connaissances acquises depuis 50 ans dans le domaine des matériaux, notamment en ce qui a trait aux problèmes de corrosion. Ensuite, les ingénieurs doivent s'assurer que les navires aient une durée de vie effective de 20 ou 25 ans, alors ils construisent pour 25 ou 30 ans minimum. Enfin, il est rentable de faire l'entretien régulier des navires. En effet, cela réduit la quantité de carburant nécessaire, le navire dure plus longtemps et il en coûte moins cher d'assurer le navire et la cargaison d'un navire bien entretenu. Ceux qui négligent cet entretien sont de bien piètres hommes d'affaires et si cela n'était pas des vies perdues et des dégâts encourus, on pourrait en rire. 
  
Les défis du transport 
  
          Cependant, tout n'est pas complètement rose, et la partie plus noire est d'abord et avant tout de la responsabilité des gouvernements. Avec toutes les réglementations en vigueur autour du monde, les États ont surtout réussi l'incroyable tour de force de déresponsabiliser complètement les acteurs du domaine maritime. La raison est simple. Il peut y avoir jusqu'à 5 ou 6 pays impliqués en cas d'accident: le pays où a eu lieu l'accident, le pays du propriétaire du navire, le pays de l'armateur, le pays où est immatriculé le navire et le ou les pays d'où provient l'équipage. Bref, une belle tambouille quand vient le temps de départager les responsabilités  entre les parties. Les avocats font alors en sorte de faire sauter les procès, puisque ceux-ci n'ont jamais lieu au bon endroit. Il devient alors impossible pour les personnes lésées d'obtenir réparation. 
  
          Un autre défi qui prend des proportions assez inquiétantes et qui devra être relevé a trait à la sécurité. Il s'agit de la piraterie maritime qui a lieu dans la péninsule arabique, sur la côte atlantique de l'Afrique et des Amériques centrale et Sud, mais surtout autour de la péninsule indochinoise, où circulent beaucoup de navires. La procédure est assez simple: les attaques se font de nuit, à partir de petits bateaux assez rapides. Une vingtaine d'hommes, armés d'armes automatiques et de machettes, montent à bord, font prisonniers les membres d'équipage, les tuant parfois ou les abandonnant dans un canot. Puis, ils partent avec le navire et la cargaison, qui seront revendus sur le marché noir via des courtiers indélicats. Cela rapporte généralement quelques millions de dollars. Les cachettes en mer de Chine ne manquent pas, les Philippines comptant 7000 îles et îlots, et l'Indonésie 13 500. De plus, la corruption y est endémique. 
  
          Cependant, un cas plus douteux est celui de la Chine, puisque bon nombre de navires piratés y ont trouvé refuge le temps d'y débarquer la cargaison et d'être modifiés. (certains cas à ce sujet sont documentés). Est-ce uniquement une question d'insouciance, parce que ces vols touchent essentiellement des occidentaux et surtout leurs vieux ennemis japonais? Est-ce une question de corruption? Ou une politique délibérée de Pékin pour se procurer des devises fortes occidentales? La question est ouverte. Quoi qu'il en soit, ce problème touche uniquement les pays les plus à l'écart des marchés mondiaux ou les plus hostiles à l'économie de marché et se réglera plus facilement lorsqu'ils auront mieux intégré les réseaux de commerce international. 
  
          L'autre problème est celui des subventions à l'industrie navale, qui a surtout eu pour effet de réduire l'efficacité des chantiers et oblige présentement les gouvernements – et donc nous, les citoyens – à assumer la  quasi-totalité des risques financiers encourus par l'industrie maritime. En effet, les compagnies jouent sur la compétition entre les différents gouvernements pour les amener à endosser de 80 à 90% du prêt pour la construction du navire, sans compter les subventions plus ou moins directes. 
  
          Cet intérêt des gouvernements pour l'industrie navale est un peu étrange. Cette industrie lourde balance actuellement entre les anciens joueurs – Europe et Amérique du Nord – et les nouveaux, soit la façade Pacifique de l'Asie. Les anciens, notamment l'Amérique du Nord, ont de la misère à concurrencer efficacement l'Asie et ses bas salaires et une productivité en nette amélioration. C'est là qu'entre en jeu l'aspect subvention, afin de garder une industrie navale essentiellement boiteuse en vie. Pourtant, le transport comme tel ne coûte pratiquement rien et ne rapporte donc probablement pas grand-chose non plus. Ce qui coûte le plus cher dans le domaine maritime, ce sont les frais de manutention et d'arrimage, les frais de ports, de douanes et de pilotage, qui sont déjà contrôlés par le gouvernement local. En plus, les exportations ont été produites dans le pays, par des gens du pays. Alors, où est le problème de faire voyager les marchandises d'un pays sous le pavillon d'un autre? Cela n'a pas vraiment de sens, sauf peut-être du point de vue d'un nationalisme exacerbé. Mais cela relève plus de la psychiatrie que de l'économie, à mon humble avis. 
  
          Il n'est vraiment pas nécessaire d'avoir dans tous les pays une industrie navale forte. Il est pratiquement exclu qu'une situation comme celle de la Seconde Guerre mondiale survienne de nouveau un jour, et même si cela survenait, les chantiers ne pourraient certainement pas parvenir à remplacer les navire coulés. En effet, la marine marchande ne résisterait pas très longtemps à une attaque concertée contre elle. Les navires marchands sont à priori assez solides pour résister à la mer, mais non à des explosifs bien placés. Même les navires de guerre pourraient certainement être construits par des marines alliées. Cependant, nos dirigeants en sont encore à la Seconde Guerre mondiale en ce domaine, et jugent encore cette industrie comme étant stratégique pour n'importe quel pays possédant ne serait-ce que quelques kilomètres de côtes. 
  
          Cette industrie souffre d'un certain nombre de problèmes, dont la réglementation et le nationalisme ne sont pas les moindres. Elle est d'une importance vitale, bien que méconnue. Elle fait partie des maillons les plus importants de l'actuelle mondialisation économique, et a un impact crucial sur la vie de chacun de nous. Cela dit, le pavillon qui transporte la marchandise est d'intérêt très secondaire, malgré ce que nos gouvernements peuvent affirmer pour justifier leurs interventions. 
  
 
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