Montréal, 14 septembre 2002  /  No 109  
 
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Yvon Dionne est retraité. Économiste de formation (Université de Montréal), il a travaillé à la Banque du Canada (11 ans) puis pour « notre » État du Québec (beaucoup trop longtemps: 20 ans). On peut lire ses textes sur sa page personnelle.
 
CE QUE J'EN PENSE
 
UN PLUS GROS GHETTO RACIAL 
POUR LES AUTOCHTONES
 
par Yvon Dionne
  
  
          Le gouvernement du Québec, depuis la Convention de la Baie James de 1975, a conclu ou projette de conclure plusieurs ententes avec les groupes autochtones. Ces groupes sont au nombre de onze et leur population (78 000) est répartie dans plus d'une cinquantaine de communautés sur un immense territoire. En somme, tout au plus une petite ville si le gouvernement du Québec décidait de les... fusionner comme il l'a fait avec plusieurs municipalités.
 
          Les conditions de ces contrats peuvent varier mais tous comportent des clauses territoriales, monétaires et administratives. Le dernier projet en lice a été dévoilé en juin et a été négocié avec quatre communautés montagnaises (ou innues), sur un total de neuf. Ce projet continue de faire certaines vagues et il a été référé en commission parlementaire après la dénonciation de l'ex-premier ministre Jacques Parizeau(1). Je vais toutefois me servir des textes gouvernementaux pour défendre un point de vue qui n'est ni celui du gouvernement, ni celui de Jacques Parizeau, ni celui des Innus... Advienne que pourra! 
  
Résumé du projet d'entente avec 8 900 Innus 
  
          Il est prévu que ce projet(2), après bien sûr avoir été bonifié, conduise à un traité qui pourra lui-même être bonifié périodiquement au bénéfice des autochtones. Les meneurs autochtones, qui sont passés maîtres dans la surenchère, souhaitent il va de soi que le gouvernement signe au plus sacrant et qu'il ne temporise pas avec l'opposition que le projet soulève. Après tout, ce ne sont ni eux ni les politiciens qui vont payer la note. Alors ne temporisons pas nous non plus et voyons en bref ce qu'il en est. 
  
          Remarquons d'abord que le projet s'applique aux Innus et que les Blancs (que l'on désigne comme « allochtones ») qui resteront sur le territoire innu (agrandi) seront soumis aux lois innues, y compris la taxation, la justice, etc. Les droits consentis à des personnes autres que des Innus s'éteindront à leur échéance ou seront renouvelés selon les conditions imposées par les Innus. La population innue visée par le projet est d'environ 8 900, dont 5 400 sont résidants. Le projet prévoit que chacune des « Premières Nations » aura sa constitution, que ces constitutions définiront entre autres « le statut et les règles d'appartenance et de citoyenneté innue », qu'elles auront leur système judiciaire et un régime fiscal comprenant la taxation directe. Les Innus ne sont pas traités ici en tant qu'individus mais en tant que collectivité dont les chefs sont les représentants. 
  
          Le territoire de la population visée serait agrandi de 400 km2 à 3 022 km2, sans compter des parcs, des pourvoiries (« au moins 2 ou 3 pourvoiries à droits exclusifs pour chacune des Premières Nations »: art. 13.3.1), des « sites patrimoniaux » (dont au moins 5 rivières à saumon, où les Innus pourront étendre leurs filets, et les trois quarts de l'île d'Anticosti). Il s'agira d'une propriété collective et les Innus en tant qu'individus ne seront pas plus propriétaires qu'ils le sont maintenant. Le nouveau gouvernement innu aura de plus des droits sur un territoire de plus de 298 000 km2 (plus de la moitié de la superficie de la France) comprenant, tenez-vous bien, tout le Saguenay-Lac-St-Jean, la Minganie, la ville de Québec, etc., et même un territoire qui a déjà été concédé aux Cris par la Convention de la Baie-James. C'est 19% du territoire québécois incluant la taïga et la toundra! La raison invoquée, c'est que les peuplades nomades des Innus se promenaient de temps à autre, de « temps immémoriaux », sur tout ce territoire pour leurs activités de chasse et de pêche. 
  
          À toutes fins pratiques, pour une population de 8 900 personnes, les concessions territoriales et les obligations administratives feront des Innus des fonctionnaires alors que les compensations financières vont en faire des rentiers, du moins si le nouveau gouvernement innu donnait à chacun la part qui lui revient. C'est peut-être ce que le gouvernement pense quand il dit qu'il veut préserver « leur indianité ». 
  
          Les compensations financières, comme les concessions territoriales, seront versées aux gouvernements innus, non pas directement aux Innus pris individuellement. D'abord, un versement forfaitaire, indexé, de 377 M$ (admettons que ce n'est pas énorme par tête de pipe, mais on aimerait bien savoir d'où vient ce chiffre); et surtout des redevances d'au moins 3%(3) sur l'exploitation des ressources naturelles (forêts, mines, pourvoiries, ressources hydrauliques, location des terres publiques, permis) et aussi l'exploitation de petites centrales hydroélectriques et une réserve de 850 000 mètres cubes de bois « de bonne qualité » (art. 13.4.2). Finalement, il ne faudrait pas oublier que ces paiements sont en sus des autres versements pour les dépenses de fonctionnement pour l'éducation, la santé, la police, etc., et que les Innus auront accès à tous les programmes des autres gouvernements (art. 3.3.20). Ah! N'oublions pas que le projet prévoit des « ententes complémentaires » et que le traité sera « revu périodiquement » (art. 3.3.10), et sans doute bonifié généreusement par une autre entente avec les cinq communautés innues restantes. 
  
          Plus on lit et relit le texte de ce projet d'entente devant conduire à un traité, plus on en découvre des dessous nébuleux. L'imprécision semble y être inscrite à dessein afin de ménager des surprises. Tout ça, dit-on, pour compenser les Innus pour des soi-disant « préjudices passés » et pour faciliter leur développement économique alors que les Blancs qui vivent d'aide sociale doivent, eux, se trouver un emploi et ne peuvent invoquer des « droits ancestraux ». Deux poids, deux mesures. 
  
          La question n'est pas de savoir si les concessions territoriales et les compensations financières sont trop élevées, mais plutôt si elles sont fondées. 
  
Le droit collectif: une supercherie 
  
          Jacques Parizeau voudrait entre autres choses des ententes qui garantissent l'extinction des droits ancestraux. Or, tout ce fouillis découle des articles 25 et 35 de la Constitution canadienne de 1982 qu'un simple contrat ou « traité » ne peut rendre sans effet juridique. 
  
          Même si Jacques Parizeau critique le niveau des compensations qu'il juge exagérées, il est d'accord en substance avec le gouvernement pour acheter la paix avec les autochtones et ainsi favoriser le développement hydroélectrique de même que faciliter la venue du grand soir de l'accession du Québec à la souveraineté (le moment où le Big Brother québécois aurait tous les pouvoirs). 
  
     « La question n'est pas de savoir si les concessions territoriales et les compensations financières sont trop élevées, mais plutôt si elles sont fondées. »
 
          L'article 25 de la Constitution stipule que « le fait que la présente charte garantit certains droits et libertés ne porte pas atteinte aux droits ou libertés – ancestraux, issus de traités ou autres – des peuples autochtones du Canada ». L'article 35 confirme que la Constitution reconnaît ces droits ancestraux aboriginal rights ») ou issus de traités, mais elle ne précise pas ces droits. Cet exercice d'interprétation a été laissé aux juges de la Cour Suprême et aux avocats des autochtones dont la facture est défrayée par les citrons de payeurs de taxes. 
  
          Un texte explicatif du projet d'entente avec les Innus dit que « les tribunaux ont statué qu'une nation autochtone qui était présente sur un territoire lors de l'arrivée des Européens, et qui a continué de le fréquenter depuis, a des droits particuliers sur ce territoire appelés "droits ancestraux"(4) ». Ces droits comprendraient celui de l'autonomie gouvernementale(5). 
  
          Ainsi, notre malheur (si on peut dire) c'est que les Européens sont venus en Amérique après les Asiatiques. Tant pis pour tous les descendants des Européens! Pour devenir propriétaires d'un terrain ces descendants doivent l'acheter mais pour un autochtone il suffit que ses ancêtres y aient circulé... Comme les Innus étaient des peuplades nomades vivant de chasse et de pêche, les territoires qu'ils fréquentaient étaient vastes. 
  
          La Constitution de 1982 a donc fabriqué deux catégories de citoyens pour ce qui est des droits et libertés, selon qu'ils soient autochtones ou allochtones (eh oui! Nous en sommes réduits à ce statut des diverses couches superposées et déplaçables selon le bon plaisir du Souverain). Cette dichotomie provient sans doute d'une certaine mauvaise conscience, faussement entretenue par des médias complaisants, qui nous rend coupables du fait que nos lointains ancêtres ont occupé l'Amérique alors qu'elle était déjà habitée (de façon d'ailleurs très dispersée)(6). En pratique, cette définition d'un territoire selon l'appartenance à une race ou à une tribu ne peut conduire qu'à l'exclusion, donc à la négation des droits, de tous ceux qui n'y appartiennent pas. Un « allochtone » ne sera plus entièrement libre de s'établir dans un territoire autochtone. Tous les immigrants en Amérique (y compris les autochtones) n'auraient pas les mêmes droits. 
  
          Ces droits collectifs consentis aux autochtones ressemblent à s'y méprendre à toutes les interventions étatiques faites au nom de l'intérêt dit collectif. Dans un cas le critère est la race et la préséance dans la présence sur un territoire; dans l'autre ce critère justifie d'imposer de façon plus ou moins coercitive la volonté d'une majorité (souvent symbolique, parce que manipulée par des groupes d'intérêts) à une minorité non moins symbolique puisqu'elle est la plupart du temps la majorité des payeurs de taxes. 
  
          Qui plus est, l'empressement de l'État à nous faire payer pour des « préjudices passés » (à proprement parler imaginés de toute pièce) sonne faux quand on considère tous les préjudices subis par ceux que l'on appelle maintenant les allochtones, dans des domaines où l'État se réserve le monopole: nommons par exemple la compensation des assurances publiques au titre des dommages corporels en cas d'accident d'automobile; mentionnons surtout les dommages subis par toutes les victimes d'actes criminels dans un domaine où l'État impose son monopole de la sécurité publique et oblige même les propriétaires d'armes à feu à cadenasser leurs armes et à les rendre inutilisables pour des fins de légitime défense. 
  
La solution: le retour au gros bon sens 
  
          Il y a une similitude entre l'idéologie que défendent les bien-pensants de l'« indianité » et celle des dirigeants, entre autres, du Zimbabwe (ex-Rhodésie du Sud). Les deux s'inspirent des « droits ancestraux ». Là s'arrête la comparaison. 
  
          L'avenir pour les autochtones en tant qu'individus passe par l'éducation(7), le goût du travail et l'accession à la propriété privée, non pas de les cantonner dans de plus grands ghettos où ils continueront de vivre sous la férule de leurs chefs et isolés du monde extérieur. Par ce projet d'entente avec quatre communautés innus, le gouvernement du Québec pense contourner la Loi fédérale sur les Indiens mais il ne fait en réalité que créer une autre réserve sous un autre nom. Le ministère des Affaires indiennes et du Nord (avec un budget cette année de plus de 5 milliards $) est responsable de la Loi sur les Indiens, deux anachronismes qui reflètent un paternalisme colonial et étatique(8). 
  
          En somme, ce que j'en pense, c'est que tous les individus doivent avoir les mêmes droits, qu'ils se soient établis ici avant, pendant, ou après, qu'ils aient les yeux bridés ou non, qu'ils aient la peau de couleur blanche, rouge, jaune, noire ou carrelée!
  
 
1. Voir « De la dynamite potentielle », par Jacques Parizeau, sur Cyberpresse.ca>>
2. Pour le texte du projet avec les Innus (4 tribus sur 9) voir le site du ministère du Conseil exécutif (le ministère de Bernard Landry).  >>
3. Le texte du projet parle d'une redevance « ne devant pas être inférieure à 3% »; cette imprécision se retrouve dans la plupart des articles du projet. On se croirait devant une boîte de Pandore.  >>
4. « Contexte et synthèse de l'entente de principe d'ordre général proposée par les négociateurs du Québec, du Canada et des Innus de Betsiamites, d'Essipit, de Mashteuiatsh et de Nutashkuan », ministère du Conseil exécutif.  >>
5. On peut avoir une meilleure idée de l'autonomie gouvernementale quand on examine le budget du Nunavut: pour 28 000 de population sur une superficie de 1,9 millions de km2 le Nunavut affiche des dépenses de 750 M$ dont seulement 70 M$ proviennent de sources locales.  >>
6. Précisons que les relations entre les premiers Européens du Canada et les autochtones étaient généralement pacifiques et de nature commerciale, au contraire de ce qui s'est produit dans l'Ouest américain et en particulier dans l'Amérique espagnole. Les conflits avec certains autochtones à l'époque de la Nouvelle-France (avec les Mohawks en particulier) étaient réellement le résultat des guerres interminables entre la France et l'Angleterre.  >>
7. En matière d'éducation par exemple comment se fait-il que, toutes dépenses universitaires payées, si peu d'autochtones s'en prévalent? C'est un phénomène qu'un gouvernement autochtone ne pourra résoudre par magie.  >>
8. Le ministère des Affaires indiennes a créé un portail internet pour les autochtones.  >>
 
 
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