Montréal, 12 octobre 2002  /  No 111  
 
<< page précédente 
  
  
 
 
Hervé Duray, diplômé de l'École Supérieure de Commerce de Grenoble, tient La Page libérale, un site dédié au commentaire des informations sous un angle libéral.
 
LA PAGE LIBÉRALE
 
NÉPOTISME AU SOMMET DE L'ÉTAT: 
LE RÈGNE DU BON PLAISIR
 
 par Hervé Duray
  
  
          J'aime le journal Le Monde, enfin disons plutôt que j'aime le détester. Tous les jours ou presque j’y trouve une raison de m'indigner. Cette fois-ci c'est à propos d'un article anodin, titré sobrement « Vie privée, vie publique: les politiques abolissent la frontière ».
 
          Le véritable titre aurait dû être: « Népotisme au gouvernement », car il traite des ministres qui donnent un poste à leur famille au sein de leur équipe. Ce ne serait pas grave s’il s’agissait de leur argent. Après tout, il est normal de faire plus confiance à des membres de sa famille, a fortiori à son conjoint, qu’à des amis politiques. On peut aussi trouver autour de soi des personnes avec des compétences ou des qualités providentielles pour occuper des postes importants. Mais alors, la providence fait bien les choses, car ils sont nombreux à travailler pour la famille dans les ministères! 
 
Népotisme républicain 
  
          En fait la vérité est toute autre selon Le Monde: ils ont été choisis « au nom de la seule appartenance familiale ». Encore une fois, si vous êtes propriétaire de votre entreprise cela est légitime. Vous agissez selon votre volonté avec votre propriété. Mais ce n’est pas le cas, il s’agit de ministres, en charge du budget de l’État, c'est-à-dire de l’argent pris par la force aux citoyens sans défense. Cela n’est pas choquant toutefois pour notre journaliste, tout risque de poursuites légales étant écartées: « le ministre est libre de choisir les membres de son cabinet ». C’est l’une des caractéristiques de la « République Fromagère »(1): les fromages les plus coulants sont aussi légaux, car ce sont les mêmes qui font la loi et se l’appliquent. Quand ils ne se jugent pas eux-mêmes, comme dans le cas des ministres avec la Haute Cour de Justice, juridiction d’exception(2). 
  
          Toutefois, « que Libération rapporte (le 12 septembre) que l'épouse du ministre se mêle un peu trop de la vie du cabinet de son mari a déjà un peu plus agacé ». Matignon et l’Élysée se sont tout de même sentis un peu gênés, mais l’on ne sait pas si c’est par les nominations douteuses ou leur publication dans la presse... Quant au Monde, sa position est inconnue, c’est sans doute une histoire sans importance. 
  
          D’ailleurs, aucune des personnes concernées n’a dû démissionner. Mieux, Anne-Marie Raffarin, employée de son mari, les a appelées pour... les réconforter! « Le fait de faire de la politique en couple ou avec un membre de sa famille est le reflet de la vie moderne. » Quel terme pratique que « moderne »! De même que les socialistes qualifient de « progrès » toute mesure dont ils sont à l’origine, voilà qu’à « droite » on devient « moderniste »? On reconnaît cependant leur attachement aux valeurs familiales, où à la « solidarité générationnelle » quand Roselyne Bachelot donne un poste à son fils. Les journalistes appellent ça « dynastie républicaine », d’ailleurs, elle tenait son siège de son père(3). Après l’appropriation familiale, c’est désormais son extension à travers les générations: on est ministre de père en fille, de mère en fils. Attention à la consanguinité (intellectuelle)! 
  
     « Voir dans ce phénomène du népotisme une modernisation, c'est démontrer une ignorance sans bornes de l'histoire. Il n'y a rien de neuf dans tout cela: le pouvoir a toujours été partagé avec les membres de la tribu, du clan, de la famille. »
 
          La droite a fait fi de toute considération morale à ce jeu de la décadence mitterrandienne, rejoignant hardiment la gauche après la décennie 80. Et pourquoi s’en embarrasserait-elle? « Ce n'est pas la première fois que des conjoints, des fils, des filles deviennent des collaborateurs de personnalités politiques » nous dit Le Monde, qui prend maintenant leur défense. Et de citer des exemples: le fils de Mitterrand, la femme de Jacques Toubon, celle de Lang, de Charasse, et la fille de Chirac! La droite respecte donc la tradition, en bons conservateurs. Et la gauche ne saurait leur reprocher, sachant pertinemment qu’à la prochaine « respiration démocratique »(4) elle pourra à son tour faire entrer femmes et enfants dans les palais de la République! 
  
          De toutes façons, les intéressées(5) assument: elles ont de l’expérience et se placent donc sur le terrain de la compétence pour justifier leur présence dans les ministères. Elles ont été attachées parlementaires, porte-parole, conseillères... Elles ont même, tenez-vous bien, leur propre agenda: dîners, rencontres, colloques. Comme leurs conjoints, elles courent les fêtes, et s’organisent les leurs! Mais d’où vient leur premier poste, si ce n’est de leur compagnon? Qui osera dire que le roi est nu? Certainement pas Le Monde en tout cas! 
  
Comme au temps des courtisanes 
  
          Cela ne plaît pourtant pas à tout le monde. Le chef de cabinet de Luc Ferry a démissionné et il lâche même cet aveu: « Ce n'est pas l'existence de collaborateurs ayant un lien sentimental avec le ministre qui est nouveau: autrefois, on trouvait un bon nombre de maîtresses d'hommes politiques dans les cabinets ministériels. » Comme au temps du bon vouloir des princes, mais cela ne le gêne pas. Le problème? C’est qu’il est plus dur de contrarier la femme du ministre que sa maîtresse... Que les deniers « publics » soient dépensés pour donner un salaire à une personne en fonction de critères sexuels, peu importe, pourvu que son travail n’en soit pas affecté! La morale des chefs a affecté celle des sous-chefs, et l’on imagine aisément que par osmose tout le personnel des ministères cherche aussi à faire profiter les amis et la famille des petits privilèges. Et que peut en dire un ministre? Une fois en poste, il perpétuera la tradition, désormais bien établie, et silence, tout le monde est content! 
  
          La neutralité du ton de la journaliste du Monde, son manque total de condamnation reflètent bien la proximité du journal avec l’establishment politique. Le pire n’est pas là cependant, il est dans la présentation de l’information. Le titre à lui seul résume l’intention: minimiser un scandale propre à mobiliser l’opinion publique.  Faire passer du népotisme pour de la modernité, ou une affirmation des femmes en politique, c’est reprendre l’argumentation des ministres tel quel, sans l’analyser, en faisant juste écho. 
  
          Voir dans ce phénomène une modernisation, c’est démontrer une ignorance sans bornes de l’histoire. Il n’y a rien de neuf dans tout cela: le pouvoir a toujours été partagé avec les membres de la tribu, du clan, de la famille. Sauf que la démocratie impliquait tout de même une rupture avec les pratiques aristocratiques et que longtemps cette pratique est restée condamnable, y compris dans les textes de loi. Au regard de l’opinion aussi, cela posait problème. Mais l’opposition s’en fiche, et les seules réactions de citoyens sont du type « tous pourris ». Alors quand la carte de presse se transforme en « apologiste agréé »... 
  
          Plutôt que de raccourcir le roi de la République(6) ou de demander une énième loi immédiatement abrogée,  il faut se rendre à l’évidence: quelle que soit la forme de pouvoir, il sera toujours détourné de son but et servira les intérêts d’une clique. Étrangement la pratique est rare dans les entreprises privées. Mais ce n’est pas au Monde que l’on en tirera des conclusions. 
  
  
1. Cf. La République Fromagère de Michel de Poncins aux éditions Odilon Média.  >>
2. Une de plus avec les tribunaux administratifs, les cours sociales, les prud’hommes et tant d’autres.  >>
3. Toujours dans le même article du Monde>>
4. Comprenez: défaite électorale de la droite.  >>
5. Au féminin, car ce sont pour la plupart des femmes qui profitent des largesses du ministre.  >>
6. Dans une lettre à Jacques Chirac, un quidam, poursuivi par le fisc, adressait sa lettre au « Roi de la République ». Il a été quitte pour une convocation au poste de police d’Argenteuil, ou il a subi une « admonestation », terme légal pour dire qu’un policier lui a énoncé qu’appeler Roi un Président constituait une insulte au Chef de l’État, qui comme chacun devrait savoir, est toujours un délit en France. Oui braves gens, le crime de lèse-majesté existe encore en République de France!  >>
  
  
Articles précédents d'Hervé Duray
 
 
<< retour au sommaire
 PRÉSENT NUMÉRO