Montréal, 23 novembre 2002  /  No 114  
 
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Gérard Dréan a travaillé pendant une trentaine d'années chez IBM, puis dans des sociétés de services en informatique. Il se consacre maintenant à la réflexion économique. Il vit à Jouy en Josas, près de Paris en France.
 
OPINION
 
L'ENTREPRISE ET LA THÉORIE ÉCONOMIQUE
 
par Gérard Dréan
  
 
          En 1995, Benjamin Coriat et Olivier Weinstein publiaient Les nouvelles théories de l'entreprise(1), qu'ils concluent ainsi: 
              Aucune des grandes représentations disponibles n'est sans doute, pour l'heure, capable à elle seule de rendre compte de l'ensemble des déterminations fondamentales de cette institution centrale de nos économies qu'est la firme. Il reste que le renouvellement profond qu'a connu la théorie durant les vingt dernières années nous offre un ensemble de matériaux, complémentaires sur certains points, antagonistes sur d'autres, mais assurément d'une exceptionnelle richesse. Il reste aujourd'hui à les poursuivre et à les combiner pour aboutir à la formulation d'une théorie complète et cohérente de la firme.
          Au moment où j'ai découvert ce livre, quelques années plus tard, j'arrivais aux mêmes conclusions en poursuivant la réflexion entreprise dans mon livre de 1996(2). Ma démarche était celle d'un praticien qui, après trente-cinq ans d'expérience de l'entreprise, a passé quelques années à explorer la littérature économique à la recherche d'explications aux phénomènes que j'avais vécus.
 
          Mon itinéraire était parti du cours professé à l'École Polytechnique par François Divisia en 1955, que j'ai pieusement conservé, et surtout du grand classique de Paul Samuelson, Economics, que je relisais religieusement tous les trois ou quatre ans, sans y trouver d'ailleurs beaucoup de références crédibles à l'entreprise que je connais. J'ai progressivement découvert l'extraordinaire foisonnement des écoles et des approches théoriques, tant au cours de l'histoire que dans l'exercice actuel de la discipline. J'ai rapidement compris que mon point de départ se situait assez naturellement dans le courant dominant de l'économie contemporaine, mais qu'il me fallait chercher ailleurs pour trouver l'entreprise. 
 
          Chemin faisant, de référence en référence et de séminaire en séminaire, je me suis formé une image de l'évolution de la pensée économique dans ses relations avec l'entreprise. Ce regard original n'est peut-être pas sans intérêt pour les profanes que déconcertent les disputes éternelles et byzantines entre les économistes professionnels. 
 
          Au bout du chemin, plusieurs conclusions: d'abord, dans l'économie orthodoxe ou « standard » contemporaine, l'entreprise est comme l'Arlésienne: on en parle, on ne la voit jamais. Sa place est occupée par une construction fictive appelée « la firme ». Et pourtant, comme le notent Coriat et Weinstein, chacun des aspects de la réalité de l'entreprise a été abordé par une école d'économistes plus ou moins marginale, mais un par un et séparément. Personne ne semble se soucier d'assembler le puzzle que forment ces fragments de vérité, et l'entreprise reste terra incognita pour l'immense majorité des économistes. 
 
          Ce n'est pourtant pas faute d'une abondante littérature d'observation, dont une partie provient de chercheurs sérieux et même d'économistes reconnus comme tels par leurs pairs. Certes, une bonne partie de cette littérature est trop naïvement normative dans sa hâte à propager les « bonnes » pratiques de gestion, ce qui le dispute en réductionnisme à la quête de « la firme représentative » par les économistes. Mais une autre partie s'attache à transcender les constats empiriques pour proposer des éléments de théorisation, et tente de partir à la rencontre des économistes pour construire avec eux des modèles utilisables de l'entreprise. Le plus souvent, ces travaux restent ignorés des économistes, quand ce n'est pas méprisés – une attitude de refus qui fait elle-même problème.  
 
          Ce chemin m'a conduit aux convictions suivantes: il existe un hiatus profond entre le courant dominant de la discipline économique et la réalité du monde contemporain, qui est dominé par les entreprises et les services. Les causes de ce hiatus sont profondes et de nature épistémologique: il est impossible de prendre correctement en compte l'entreprise à l'intérieur du paradigme dominant. Cette déficience ruine la pertinence de la théorie économique standard au fur et à mesure que l'entreprise et les services prennent une place prépondérante dans l'économie réelle. 
 
La formation d'une orthodoxie 
 
          Comment en est-on arrivé là? L'économie s'est pour l'essentiel constituée en discipline avant que l'entreprise ne prenne une place significative dans le monde réel. Depuis Aristote et Saint Augustin jusqu'à Marshall, la pensée économique s'est formée dans un monde principalement rural et artisanal, où la production était réalisée par des producteurs individuels et visait essentiellement à satisfaire les besoins vitaux des individus. 
 
          Paradoxalement, les grands auteurs du dix-huitième siècle (Cantillon, Turgot, Smith) et de la première moitié du dix-neuvième (Say, Mill) parlaient plus et mieux de l'entreprise que les économistes contemporains du courant dominant, alors même qu'elle ne tenait qu'une place mineure dans le monde réel, sans rapport avec le rôle de premier plan qu'elle occupe aujourd'hui. Que s'est-il donc passé à partir du milieu du dix-neuvième siècle pour détourner l'économie de l'entreprise? 
 
          La rupture fondamentale a été la « révolution marginaliste » attribuée à Walras, Jevons et Menger entre 1871 et 1875, qui est à la racine de l'« économie standard » contemporaine, avec la « révolution keynésienne » des années 1930. 
 
          En posant que la valeur des choses est définie par leur utilité et non par la quantité de travail qui y est incorporée, comme le pensaient la plupart des classiques et continuent de le penser les marxistes, les marginalistes n'appréhendent plus les agents économiques que par les échanges auxquels ils participent. Le regard étant centré sur l'échange, les acteurs peuvent être vus comme des agents ponctuels sans constitution interne, et la production cesse d'être un sujet d'étude majeur. 
 
          En même temps, de nombreux économistes cherchent à construire une formulation des phénomènes sociaux analogue à celle qu'utilise la mécanique rationnelle. Pour cela, il faut postuler que le comportement des agents est déterministe, évacuer de l'économie l'irrationnel et l'imprévisible, et inventer un modèle mathématique des agents dans l'échange. C'est ainsi que naît le modèle de l'« homo economicus », dont le comportement se résume à maximiser une « fonction de satisfaction ». 
 
          L'un des trois courants de l'économie marginaliste, le courant walrasien, s'attache à démontrer l'existence d'un « équilibre général » et à en étudier les propriétés. Pour cela, il faut que les agents soient représentés par des fonctions mathématiques simples. Et puisque l'équilibre est intemporel et se définit par l'absence de mouvement, on se borne à un cadre statique où le temps n'intervient pas. En se focalisant sur les conditions et les attributs de l'équilibre, cette théorie élimine l'action, le temps, et son corollaire l'incertitude, de son modèle du monde. 
 
          Dans les premières années du vingtième siècle, l'économie walrasienne est devenue dominante, mais elle se montre impuissante à rendre compte de phénomènes majeurs que sont le chômage, la pauvreté ou l'inflation. Pour y répondre, Keynes propose une théorie où le comportement d'agrégats comme la masse monétaire ou l'emploi est expliqué par celui d'autres agrégats, sans nécessairement remonter aux agents élémentaires. L'économie abandonne ainsi l'« individualisme méthodologique » qui avait implicitement prévalu jusque-là. 
 
          La discipline reine devient la macro-économie, d'où on attend non seulement l'explication des grands problèmes du monde, mais aussi les remèdes à ces problèmes. L'analyse des échanges entre les agents individuels, dorénavant appelée micro-économie, n'est plus considérée comme le soubassement nécessaire de toute réflexion économique. Il importe peu que ses hypothèses soient réalistes, du moment qu'elles ne s'opposent pas à l'analyse des grands agrégats. 
 
          Les années 1940 à 1970 ont été dominées par la fusion des idées marginalistes et d'une partie des idées keynésiennes en une « grande synthèse » qui sert de référence à l'orthodoxie dominante ou « économie standard », et en laquelle certains voient l'aboutissement définitif de la théorie économique. Dans sa forme académique propagée par les institutions universitaires, le formalisme et le raisonnement mathématiques sont obligatoires et le souci d'élégance théorique et de rigueur formelle l'emporte sur le réalisme. Les agents y sont des automates rationnels omniscients qui recherchent l'équilibre des échanges dans un monde où le temps et l'incertitude n'existent pas. Outre qu'il étudie les échanges et non la production, ce paradigme exclut de fait toute représentation raisonnable de l'entreprise. 
 
L'entreprise 
 
          Que nous apprend la simple observation des entreprises? Tout d'abord, ce sont des agents économiques de plein droit au même titre que les individus ou les ménages de la théorie classique. Comme les autres agents, les entreprises produisent, échangent et consomment des biens qu'en leur absence les individus qui les composent ne produiraient, n'échangeraient et ne consommeraient pas, que ce soit isolément ou à travers de simples relations de marché. Ces trois activités sont effectuées par l'entreprise en tant que telle, qui tient bien dans l'économie le rôle d'un agent élémentaire. 
 
          Les entreprises sont donc des agents, mais dont la constitution interne et le comportement sont complexes. Le comportement externe d'une entreprise, et les objectifs qu'elle vise, sont la résultante de confrontations internes médiatisées par son organisation (dans un sens très large du mot). Les entreprises ne peuvent être utilement appréhendées ni comme de simples « noeuds de contrats », ni comme des agents ponctuels assimilables à une variante de l'homo economicus. Leur existence force à inventer un nouveau concept d'agent, et le langage pour le décrire. 
 
          De plus, ce sont des acteurs extrêmement différents les uns des autres. Tant que l'économie ne s'intéresse qu'aux individus humains, elle peut considérer qu'ils sont assez semblables pour les représenter par un modèle unique simple. Au contraire, les différences de taille, d'organisation et d'activité entre les entreprises sont trop importantes et trop significatives pour être ignorées, même dans les théories les plus élémentaires. 
 
          La plupart des phénomènes où interviennent des entreprises ne peuvent s'expliquer que par leur hétérogénéité. L'économie doit savoir décrire les entreprises dans leur diversité et non les résumer à ce qu'elles ont de commun sous le nom de « firme ». Si on se borne à ne rechercher que les propriétés communes à toutes les entreprises, on se condamne à ne trouver que quelques banalités inutiles et à passer à côté de l'essentiel de leur problématique. 
 
          De plus, la réalité n'est pas faite d'un côté d'un monde d'individus et de l'autre d'un monde d'entreprises disjoints dont on pourrait faire les théories séparément. Les entreprises sont faites d'individus et les individus échangent avec les entreprises. Ce sont bien les mêmes individus qui tantôt sont des rouages d'une organisation complexe et tantôt traitent avec ces organisations d'égal à égal, et ce sont bien les mêmes organisations qu'il faut analyser tantôt comme des agents comparables à des individus, tantôt comme des assemblages complexes de ressources diversifiées. Une théorie générale doit les englober dans un même modèle et reposer sur l'étude de leurs actions et de leurs interactions. 
 
          Les actions des entreprises sont fortement conditionnées par l'information limitée dont elles disposent et les capacités limitées qu'elles ont de l'utiliser. Le temps y est une dimension omniprésente, avec ses compagnons l'incertitude et le risque. Bien que les êtres humains qui composent l'entreprise agissent de façon délibérée et intentionnelle, ils ne peuvent pas prévoir avec certitude les effets de leurs propres actions. Ceux-ci dépendent des actions de tous les autres agents, qui sont elles-mêmes délibérées et intentionnelles, et ne peuvent pas non plus être prévues avec certitude. Vue de l'entreprise, l'économie est intrinsèquement non déterministe, et ses lois sont approximatives voire simplement qualitatives. Elles ne se prêtent en tous cas pas à une formulation mathématique rigoureuse. 
 
          Chaque entreprise est soumise à une concurrence permanente avec ses semblables, qui se vit comme une lutte entre fournisseurs de biens voisins pour obtenir la faveur des consommateurs de cette classe de biens, et non, comme dans la vision traditionnelle, une acceptation passive de l'affectation des ressources des consommateurs à leurs différents besoins. Pour survivre, les entreprises dépensent leur énergie à modifier les caractéristiques de leurs produits, leurs processus de production et leur propre constitution interne. Ces initiatives des entreprises, et les réactions de leur environnement, font évoluer en permanence l'inventaire des biens, les caractéristiques de chaque bien, les prix formés sur le marché, les entreprises elles-mêmes et la structure des secteurs productifs. Les biens et les caractéristiques des acteurs ne sont pas des données exogènes à l'économie, mais leur évolution doit être réintégrée dans la théorie. 
 
          Cette lutte incertaine et le changement permanent de ses conditions fait que la notion d'équilibre économique est pour les entreprises un mot vide de sens. De toute façon, l'état d'équilibre économique est inobservable dans la réalité. Une théorie statique organisée autour des équilibres est donc totalement insuffisante. Même si l'équilibre économique avait une réalité, c'est l'essence même de l'entreprise que de chercher à le rompre à son profit. Tous les développements qui cherchent à caractériser les états d'équilibre n'ont pas d'autre pertinence que de décrire des cas limites imaginaires qui ne peuvent pas se présenter dans la réalité. Le seul objet d'étude pertinent, ce sont les processus d'évolution. 
 
          En outre, les entreprises sont par nature réfractaires à l'observation. Elles sont engagées dans un combat quotidien pour leur survie, et pensent devoir dissimuler leurs intentions et leurs projets. De plus, leur physionomie varie selon les niveaux: de l'observation des niveaux inférieurs, on tire une impression d'assez grande rationalité, imposée soit par les contraintes matérielles, soit par les niveaux supérieurs. Plus on s'approche des niveaux où se décident les actions stratégiques, plus on rencontre les passions et l'incertitude. Mais plus règnent en réalité l'arbitraire et l'irrationnel, plus les acteurs cherchent à le masquer sous les apparences de la rationalité. Un dirigeant engagé dans l'acquisition d'une autre entreprise trouvera à cette action des raisons économiques, alors que la vraie motivation n'est le plus souvent que sa volonté de puissance personnelle. 
 
          Les observateurs extérieurs, eux-mêmes en quête de rationalité, se laissent facilement abuser par de tels discours. Il faut avoir été soi-même un acteur à ces niveaux pour percevoir la réalité, mais ces acteurs ont rarement le loisir et l'objectivité nécessaires pour prendre la distance suffisante envers leurs propres actions. C'est probablement une des raisons pour lesquelles les économistes, comme les autres observateurs, surestiment grossièrement la rationalité des entreprises et s'en tiennent à des élaborations fantasmatiques mais commodes pour le raisonnement théorique, le meilleur exemple étant que « la firme maximise ses profits ». 
 
          Au total, à quoi aboutissons-nous? Comportements complexes et différenciés, concurrence vue comme un processus, abandon du modèle de l'homo economicus et du marché « pur et parfait », variation endogène des biens et des acteurs, introduction du libre arbitre, élimination de toute référence à l'équilibre, indéterminisme intrinsèque, renoncement à l'outil mathématique, ce sont toutes les bases du paradigme standard que l'entreprise condamne. L'observation des entreprises confirme toutes les critiques qui ont été adressées à ce modèle et aux conceptions épistémologiques qui le sous-tendent, par exemple par les tenants de l'école évolutionniste issue de Nelson et Winter. 
 
Les théories de l'entreprise 
 
          À l'intérieur du courant standard, plusieurs « théories de la firme » ont été proposées. Pour répondre à la question « pourquoi les entreprises existent-elles? », la théorie des coûts de transaction; pour répondre à la question « comment fonctionnent-elles? », la théorie de l'agence. L'économie industrielle, de son côté, a tenté d'expliquer la taille des firmes, leurs niveaux de profit, leurs choix d'activités, leur diversification et leur intégration. Pour cela, il lui a fallu s'affranchir de l'hypothèse d'un nombre illimité d'agents et se pencher sur les interactions d'un petit nombre d'acteurs en situation de concurrence « imparfaite ». Ce sont ces développements que passe en revue le livre de Coriat et Weinstein, auquel je renvoie pour plus de détails. 
 
          Pour qui part d'une connaissance empirique des entreprises, ou est familier avec les travaux des chercheurs en gestion, chacune de ces écoles apporte un éclairage utile sur un de leurs aspects. Ce sont bien les organisations complexes que décrivent Chandler, Cyert et March, où se prennent des décisions conformes à l'image de la rationalité limitée de Simon, pour atteindre des objectifs ambigus comme le souligne aussi Baumol, assises sur des échanges d'informations comme les étudie Aoki, avec une efficacité variable dont rend compte Leibenstein. 
 
     « Une tâche urgente et prioritaire des économistes devrait maintenant être de reconstruire un nouveau cadre théorique où les entreprises occupent la place centrale et dont le temps est une dimension fondamentale, revenant ainsi aux conceptions classiques que la tradition autrichienne a maintenues vivaces sous le boisseau. »
 
          Il est également vrai que les entreprises sont toutes différentes par les capacités qu'elles mobilisent (Penrose, Richardson) et évoluent en adaptant le catalogue de routines qui définit leur comportement, ainsi que le disent Nelson et Winter. C'est le rôle de l'entrepreneur (Knight, Kirzner) d'assembler ces capacités en vue d'activités spécifiques. La théorie des coûts de transaction (Coase, Williamson) permet d'étudier leurs frontières avec l'extérieur; la théorie de l'agence et des droits de propriété (Coase, Demsetz, Alchian) éclaire les relations entre les agents qui les composent. 

          C'est aussi un lieu où les relations entre individus sont en partie régies par des rapports de pouvoir sur lesquels insiste la tradition marxiste, et où les rôles d'une part, la contre-valeur des richesses produites d'autre part sont distribués à ces individus suivant des conventions qui ne sont pas simplement les règles du marché (Orléan, Favereau). Enfin, leur insertion dans la société implique des mécanismes de régulation qui les relient au niveau macro-économique (Aglietta, Boyer, Coriat). 
  
          Il semble que relier ces théories entre elles devrait suffire pour donner une base solide à une représentation correcte de l'entreprise, et il ne devrait alors pas être trop difficile de plonger ce modèle dans un modèle des échanges issu de l'économie standard, en acceptant bien sûr de lui apporter les modifications nécessaires. On retrouverait alors en particulier la théorie de la concurrence imparfaite (Sraffa, J. Robinson, Chamberlin), qui tentait également de remettre le projecteur sur les conditions de production et le comportement des acteurs. 
  
          Enfin, cette reconstruction réconcilierait l'économie avec la littérature de terrain sur les entreprises, en incorporant au modèle général les concepts issus des disciplines qu'on appelle gestion, management, organisation ou stratégie. Par exemple, et pour s'en tenir à des auteurs français, les logiques locales assises sur un abrégé du vrai et un abrégé du bien, le caractère subjectif de la notion de coût, ou la vigilance (Riveline, Oury, Berry). 
  
La nécessité d'une théorie générale 
  
          A priori, rien ne permet de penser que ces théories sont incompatibles entre elles, ce qui serait le cas si elles proposaient des réponses différentes aux mêmes questions. Elles sont plutôt indépendantes en ce qu'elles concernent des questions différentes, qui toutes se posent à propos de l'entreprise. Pour cette raison, leur cohérence n'est pas donnée a priori. Elle demanderait la construction d'un cadre conceptuel commun et l'ajustement de chaque théorie à ce cadre et aux autres. Ce travail de mise en cohérence reste à faire, mais rien ne peut laisser supposer qu'il est impossible. 
  
          Ces théories ne seraient rivales que si on s'astreignait arbitrairement à en choisir une seule qui devrait alors, jointe à la théorie standard, rendre compte de la totalité du phénomène entreprise. Ce serait une pétition de principe qu'aucune logique ne justifie, sinon l'ardent désir de préserver au maximum l'orthodoxie. Constater de façon correcte qu'aucune des « nouvelles théories de l'entreprise » n'est suffisante ne permet d'en rejeter aucune, mais invite au contraire à les utiliser toutes. Pourquoi les économistes pensent-ils que ces théories sont exclusives l'une de l'autre, et se croient sommés de choisir entre elles au lieu de consacrer leurs efforts à les réunir? 
  
          Certains n'en perçoivent pas l'utilité, occupés qu'ils sont à transmettre un savoir hérité des grands auteurs, ou à étudier des classes particulières de problèmes, pour lesquelles les outils d'analyse disponibles leur semblent suffire. C'est en particulier le cas des macro-économistes, qui ne pensent pas qu'une représentation réaliste des agents individuels est indispensable à l'étude des grands agrégats. De toute façon, dans leur immense majorité, les chercheurs préfèrent se construire une réputation de spécialiste en se consacrant à des études spécifiques, ce qui laisse bien peu d'amateurs pour un travail de synthèse. 
  
          Mais il y a à mon sens une raison plus profonde. L'idée que toutes ces théories partielles peuvent être réunies en une théorie générale de l'entreprise peut aussi se lire en négatif. Chacune s'éloigne de l'économie standard sur un point particulier, et n'est valide que si on renonce à une des hypothèses constitutives de la théorie standard. Pour les réunir, c'est à toutes ces hypothèses qu'il faut simultanément renoncer, et il ne reste pratiquement rien de la théorie standard à laquelle adhère le courant dominant de la pensée économique. Il faut se rendre à l'évidence: le paradigme dominant de la discipline économique exclut par construction l'entreprise, et conduit donc dans une impasse cognitive. 
  
          Dans le schéma classique de Kuhn amendé par Lakatos, le paradigme qui domine une science à un moment de son histoire est progressivement mis à mal par une accumulation d'anomalies, et cherche à s'en protéger en édifiant une « ceinture protectrice » de théories ad hoc, jusqu'à ce qu'un nouveau paradigme vienne le supplanter. En économie, ce n'est plus une collection d'anomalies secondaires qui sape le paradigme néo-classique dominant, mais le phénomène central de première grandeur qu'est l'entreprise moderne, contre lequel aucune ceinture protectrice ne pourra le protéger éternellement. 
  
          Une ultime échappatoire serait de vouloir construire une théorie de l'entreprise distincte qui coexisterait avec la théorie standard, comme dans le rêve d'une « théorie de la firme ». C'est aussi à quoi se résignent les plus ambitieux des chercheurs en gestion, désespérant de pouvoir gagner l'intérêt des économistes. Mais la réalité n'est pas faite d'un côté d'un monde d'individus et de l'autre d'un monde d'entreprises disjoints dont on pourrait faire les théories séparément. Les entreprises sont faites d'individus et les individus échangent avec les entreprises. Une théorie générale doit les englober dans un même modèle et reposer sur l'étude de leurs interactions. 
  
          Dans le monde rural et artisanal où s'est construite la discipline économique jusqu'au milieu du dix-neuvième siècle, l'immense majorité des agents n'interagissait avec le reste de la société que par des relations d'échange entre individus, aussi bien dans le rôle de producteur que dans celui de consommateur. Dans le monde industriel moderne, une majorité d'individus participe à la production à travers une entreprise, avec laquelle leurs relations, que ce soit la définition de leur travail, la coordination avec les autres ou la répartition de la contre-valeur de la richesse produite, ne se limitent pas à des relations de marché. En revanche, dans leur rôle de consommateurs, les mêmes individus interagissent avec des entreprises considérées comme autant d'autres agents individuels. Ce sont bien les mêmes individus qui tantôt sont des rouages d'une organisation complexe et tantôt traitent avec ces organisations d'égal à égal, et ce sont bien les mêmes organisations qu'il faut analyser tantôt comme des agents comparables à des individus, tantôt comme des assemblages complexes de ressources diversifiées. 
  
          Au moment où une majorité d'économistes se mettaient d'accord sur une théorie, le monde rural et artisanal où elle était née commençait à disparaître. Et pendant un siècle, alors que l'entreprise devenait l'acteur central du monde qu'ils prétendent expliquer, les économistes ont en majorité regardé ailleurs. L'orthodoxie s'est constituée en ignorant l'entreprise, et on ne comblera pas le retard pris dans la représentation du monde réel sans la remettre en question. Mais on conçoit aussi que la communauté des économistes renâcle et s'accroche au paradigme qui la légitime. 
  
          Puisque la réalité de l'entreprise bouleverse les fondements de l'économique, l'immense majorité des économistes contemporains préfère se construire des images de l'entreprise qui respectent leurs idées préconçues, et évite d'aller regarder la réalité, alors qu'il n'est besoin pour cela ni d'outillages lourds et chers, ni d'expéditions coûteuses et risquées dans des contrées lointaines, comme c'est le lot de bien des sciences naturelles. Beaucoup ajoutent que cette connaissance exacte n'est pas utile au niveau macro-économique où ils se placent, et presque tous affichent du mépris pour la « gestion », qui même si elle a le tort de vouloir trop rapidement proposer des recettes de comportement, est riche d'enseignements sur la réalité des entreprises. 
  
Ancien et nouveau paradigme 
  
          Au fond, est-ce si grave de jeter par-dessus bord la tradition walrasienne? Il y a eu de grands économistes avant Walras, et il y a encore de nombreux économistes hétérodoxes. Les trois pères fondateurs du marginalisme n'étaient pas d'accord entre eux. Menger et Walras se sont violemment opposés dans leur correspondance. Jevons et ses continuateurs, dont Marshall, ont pratiqué et prôné une vue plus réaliste des phénomènes économiques. Keynes lui-même, qui dans la tradition de son maître Marshall, plaçait le temps et l'incertitude au coeur des phénomènes économiques, et fustigeait « les économies mathématiques qui permettent aux auteurs d'oublier dans le dédale des symboles vains et prétentieux les complexités et les interdépendances du monde réel », réprouverait probablement l'usage simpliste que l'orthodoxie fait de sa Théorie Générale. 
  
          En inversant les traits spécifiques du courant principal qui l'empêchent de parler correctement de l'entreprise, nous obtenons en quelque sorte le négatif du paradigme walrasien: priorité au réalisme sur le formalisme, abandon des constructions imaginaires comme l'équilibre économique, l'homo economicus ou le marché pur et parfait, refus de l'outil réducteur qu'est le raisonnement mathématique, remise au premier plan de tout ce que l'orthodoxie tend à occulter et qui caractérise l'action des entreprises: le temps, l'incertitude et la complexité. Cette conception de l'économie porte un nom: c'est la tradition « autrichienne » dont Carl Menger a été le fondateur, et qui trouve son expression la plus articulée dans le magnum opus de Ludwig von Mises, L'action humaine, traité d'économie(3). 
  
          Cette école de pensée n'est guère connue qu'à travers Friedrich Hayek, comme les hérauts d'un ultra-libéralisme réputé ringard. Quant à Mises, à en juger par la fréquence et la pertinence des citations, son nom n'est que vaguement familier à la majorité des économistes et son oeuvre encore moins. Je le tiens pourtant, et quelques autres avec moi, pour le plus grand économiste du vingtième siècle, et l'un des phares de la pensée économique de tous les temps. 
  
          Pour la majorité des économistes, le courant autrichien est une variante mineure du marginalisme, qui a basculé dans l'hérésie avec Mises et Hayek. Un examen plus attentif du développement de la pensée économique montre au contraire que la tradition autrichienne est dans le droit fil des pères fondateurs de l'économie que sont Cantillon, Turgot, Adam Smith, et Jean-Baptiste Say. C'est au contraire le courant walrasien, initialement minoritaire, qui a connu un développement immérité à la faveur d'un engouement scientiste pour les mathématiques, pour aboutir aujourd'hui dans une impasse cognitive, ne serait-ce que par son incompatibilité radicale avec le concept même d'entrepreneur et d'entreprise. 
  
          Plus profondément que ses positions libérales, la tradition autrichienne repose sur une autre conception de la discipline économique et des méthodes appropriées à son objet. Pour elle, la substance de tous les phénomènes économiques est l'action humaine, et l'économie ne doit pas s'inventer son propre modèle de l'homme, mais le trouver dans l'expérience, l'observation et les autres sciences si nécessaire: « L'économie étudie les actions réelles d'hommes réels. Ses théorèmes ne se réfèrent ni à l'homme idéal ni à des hommes parfaits, et pas davantage au mythique homme économique (homo oeconomicus) ni à la notion statistique de l'homme moyen(4). » 
  
          Ce réalisme intransigeant voit le monde tel qu'il est: complexe, incertain et mouvant. Il constate que les hommes sont infiniment divers et que chacun agit selon sa propre vision de l'avenir, avec une connaissance subjective et incomplète du monde qui l'entoure et des conséquences potentielles de ses propres actions. Cette ignorance même est le moteur de la vie économique, et les processus de création, de découverte et de circulation de l'information sont au coeur de l'économie. L'idée que ces innombrables actions pourraient aboutir à un équilibre n'est qu'une éventualité discutable et a priori improbable, et la notion même d'optimum est inconnue. La tradition autrichienne est une théorie de l'action et non de l'équilibre. 
  
          Réaliste, la tradition autrichienne est accueillante aux apports des disciplines d'observation; la praxéologie qui la fonde, science de l'action des êtres humains, s'y prolonge naturellement par une praxéologie des organisations. Bref, elle constitue un fondement bien adapté à la prise en compte des entreprises et de l'économie moderne, contrairement au courant dominant qui les refuse par construction malgré les tentatives désespérées de les y raccrocher. La tradition autrichienne est à la fois radicalement opposée à l'économie standard et cohérente avec l'image du monde que l'on se forme depuis l'entreprise. 
  
          De plus, en n'adoptant pas les hypothèses exagérément simplificatrices qui permettent à la théorie walrasienne de mettre en équations le monde imaginaire qu'elle se crée, et qui lui interdisent de retenir de Keynes autre chose que quelques équations, l'économie autrichienne reste compatible avec bon nombre des courants de l'économie classique, notamment l'école française qui adopte la conception subjective de la valeur à la différence de l'école anglaise. En centrant son regard sur l'action des agents, l'économie autrichienne redonne sa place majeure à l'étude de la production. Elle parle de la division du travail comme Smith, de l'entrepreneur comme Say, et du capital comme Turgot parlait des « avances ». Malgré des divergences idéologiques irréductibles, elle peut même intégrer certaines réflexions de Marx et des marxistes sur les rapports de production, et les positions de Keynes sur l'importance du temps et l'incertitude y trouvent une place naturelle. 
  
          C'est probablement, de façon paradoxale, l'une des deux raisons principales qui expliquent l'ostracisme dont le courant autrichien est l'objet: il représente par excellence le paradigme alternatif dont le courant dominant cherche justement à se protéger. De plus, péché impardonnable, son libéralisme rigoureux refuse toute intervention de l'État dans l'économie, ce qui n'est pas dans l'air du temps depuis près d'un siècle. 
  
          Laissons de côté le lien entre ces deux aspects fondamentaux de la pensée autrichienne, et la question de savoir si l'étude de la société réelle des hommes réels conduit nécessairement au libéralisme (par parenthèse, ma réponse personnelle est positive). En tout état de cause, l'honnêteté scientifique la plus élémentaire commande de ne pas rejeter a priori des faits empiriques, une conception épistémologique ou une méthode de travail au prétexte que les adopter risquerait de conduire à des positions politiques qu'on ne souhaite pas. On peut accepter les positions épistémologiques des premiers chapitres de L'action humaine en réservant son jugement sur le reste. 
  
          Vu sous cet angle, le courant néo-classique actuellement dominant est remis à sa juste place. Le prix Nobel qui a couronné les travaux de Gérard Debreu en 1983 devrait être son chant du cygne. En explicitant toutes les hypothèses qui sont nécessaires pour que le modèle d'équilibre général qui le fonde ait une solution, il a montré combien ce modèle est éloigné de la réalité. Plutôt que de lui offrir une confirmation triomphale, il a touché le fond de l'impasse où il conduit, et a définitivement relégué l'équilibre économique général, et avec lui tous ses développements ultérieurs, au rang de curiosité mathématique qui ne devrait plus être enseignée que comme un chapitre clos de l'histoire des idées. La grande tradition, le véritable courant principal passe par Menger et Marshall plutôt que par Walras, et franchit un sommet avec Mises. 
  
Éléments pour une reconstruction 
  
          Une tâche urgente et prioritaire des économistes devrait maintenant être de reconstruire un nouveau cadre théorique où les entreprises occupent la place centrale et dont le temps est une dimension fondamentale, revenant ainsi aux conceptions classiques que la tradition autrichienne a maintenues vivaces sous le boisseau. Certains peuvent préférer pratiquer leur discipline comme un divertissement mathématique sans rapport avec la réalité, à l'instar de la belote ou des mots croisés. C'est un choix certes respectable, mais qui ne les qualifie pas pour parler du monde réel, ni ne justifie que leur variante de la discipline domine l'enseignement et la recherche économiques. 
  
          La construction d'une nouvelle théorie générale pourrait reposer sur deux idées principales: les agents économiques sont aussi bien des organisations complexes que des individus, et il faut pouvoir les représenter dans leur infinie diversité, quelle que soit leur complexité; deuxièmement, les agents agissent, communiquent et se transforment en exécutant des processus qui se déroulent dans le temps. 
  
          La première étape serait la définition d'un nouveau modèle conceptuel de l'agent économique. Sous sa forme la plus générale, un agent peut être représenté par une hiérarchie d'entités plus simples, chacune capable d'exécuter un certain répertoire de processus (de « scripts » dans le langage des cogniticiens). La structure d'un tel agrégat représente la structure de l'entité qu'il modélise, un même modèle élémentaire d'entité étant utilisé de façon récursive à tous les niveaux. 
  
          Le répertoire des processus d'une entité peut comporter des processus de production, des processus d'échange, des processus de communication, des processus de perception, des processus de décision, etc. Les relations et les interactions entre entités sont explicitées à travers ces processus, que ce soit les activités de production, les structures de pouvoir ou les mécanismes d'échange. Le comportement de chaque agent est décrit par les processus qu'il exécute. Réciproquement, un ensemble de processus liés de plusieurs agents peut définir un processus collectif: un marché, par exemple, est défini par l'ensemble des processus d'échange des agents qui y participent. 
  
          Dans ce modèle, le processus devient l'unité élémentaire d'analyse. On peut transposer à ce niveau des notions classiques comme les coûts ou l'échelle optimale, établissant ainsi des liens avec l'économie industrielle et la théorie des coûts de transaction. Chaque entité, quel que soit son niveau, est une collection de modèles de processus dont chacun définit une « capacité » (capability) au sens de Penrose/Richardson ou une « routine » au sens de Nelson et Winter. L'économie évolutionniste traite de la formation et de l'évolution des processus eux-mêmes, du répertoire de chaque entité, et de la constitution des entités elles-mêmes. 
  
          Cette représentation, où chaque entité est un agrégat d'entités ayant la même représentation formelle, structuré par les processus d'échange qui les relient, peut se généraliser à toutes les formes d'organisations et d'agrégats économiques. À une extrémité, l'agent des théories traditionnelles serait représenté par une entité élémentaire doté d'un processus extrêmement simple qui s'exécute en un temps nul, et la théorie orthodoxe devient un cas limite de notre théorie générale. À l'autre extrême, une collectivité nationale peut être représentée par un agrégat complexe d'agrégats, établissant ainsi un pont continu entre la micro-économie la plus « micro » et la macro-économie. 
  
          Pour valider ce modèle, il conviendrait de tenter d'y fusionner les théories de l'entreprise existantes, d'exprimer dans ce langage les apports de la recherche en gestion pour en faire une partie intégrante de la théorie économique, et de voir si on peut en tirer des conclusions nouvelles et empiriquement vérifiées. Il faudrait également définir un langage de représentation qui permette un raisonnement aussi rigoureux que possible. La structure du modèle étant très proche des principes de la programmation par objets, c'est sans doute vers l'informatique qu'il faudrait se tourner. Une théorie particulière s'exprimerait sous la forme d'un ensemble de définitions d'entités. En écrivant ces définitions dans le formalisme de la programmation, il est possible de construire et d'animer sur ordinateur un monde formé de telles entités, pour constituer un modèle expérimental de la théorie. 
  
          Mais il ne s'agit là que de propositions personnelles dont je trouve peu d'équivalents dans la littérature économique. Que ce soit sur ces bases ou sur d'autres, il ne semble pas que le programme proposé par Coriat et Weinstein dans la dernière phrase de leur ouvrage cité ait beaucoup progressé depuis. 
  
          Pourtant, d'Adam Smith à Maurice Allais, une ambition constante des économistes a été de construire une « théorie générale » qui puisse servir de base conceptuelle à l'explication de tous les phénomènes économiques observés. Il est de plus en plus clair que le corpus standard, essentiellement hérité du dix-neuvième siècle, ne peut plus jouer ce rôle, et qu'une nouvelle théorie générale qui reconnaît les entreprises comme des acteurs à part entière devient nécessaire. Se pourrait-il que la communauté des économistes ait définitivement abandonné ce projet fédérateur et se contente d'accumuler les études fragmentaires sans référence à un modèle conceptuel central réellement valide? Et puis-je espérer qu'un amateur, non content d'exhorter à une reconstruction, pourrait aussi y contribuer? 
  
 
1. Les nouvelles théories de l'entreprise (Le Livre de Poche Références n° 519).  >>
2. L'industrie informatique – structure, économie, perspectives (Masson).  >>
3. Éditions en anglais Yale University Press (1949 et 1963) et The Ludwig von Mises Institute (1999); édition française PUF (1985).  >>
4. Mises, L'action humaine.  >>
 
 

 
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