Montréal, 7 décembre 2002  /  No 115
 
 
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Martin Masse est directeur du QL. La page du directeur.
 
ÉDITORIAL
 
LA DÉMOCRATIE CONTRE LA LIBERTÉ
 
par Martin Masse
 
 
          La nature des choses fait que l’État est constamment en crise: crise budgétaire, crise de relations de travail, crise du système de santé, crise de ci et de ça, dépassement de coûts, corruption, scandales, etc. La plupart des articles publiés dans ce magazine visent à expliquer pourquoi les actions de l’État, fondées comme elles le sont sur la coercition et la planification centralisée, ne peuvent logiquement qu’entraîner des effets pervers, contraires aux intentions (même si on les présume bonnes) qui sont censées les motiver.
 
          Ceux qui comprennent la science économique voient bien qu’il est impossible de « mieux planifier » la gestion de l’État et qu’il n’existe qu’une seule solution à ces maux: libéraliser et privatiser, laisser les individus eux-mêmes, dans un contexte où les droits de propriété sont protégés et les échanges ont lieu volontairement dans un marché libre, s’organiser pour répondre à leurs besoins. Une solution évidemment inacceptable pour les étatistes qui cherchent à sauver leurs idéaux et leur pouvoir. 
  
          Après la lutte des classes, l’interventionnisme économique, et toutes les variations sur le thème du collectivisme qu’on nous propose depuis quelques décennies (nationalisme, féminisme, écologisme, multiculturalisme, libération gaie, anarchisme, antimondialisation, etc.) voici donc la nouvelle solution à la mode pour contrer cet état de crise: plus de démocratie. La démocratie semble être devenue la réponse à tout chez les parlotteux du Québec. Lorsque l’État fonctionne mal, c’est parce que nos institutions démocratiques sont mal adaptées à la réalité moderne. Lorsque le gouvernement prend des décisions impopulaires, c’est parce que la population n’exprime pas assez bien sa volonté démocratique. Si seulement notre démocratie était plus efficace, tout baignerait dans l’huile.  
  
          Depuis deux ans, une coalition d’individus et de groupes favorables à un mode de scrutin proportionnel, le Mouvement pour une démocratie nouvelle (www.democratie-nouvelle.qc.ca), fait campagne dans le but de susciter un débat public sur un projet de réforme du mode de scrutin. Le gouvernement du Québec a répondu en lançant, en septembre dernier, des États généraux sur la réforme des institutions démocratiques (www.pouvoircitoyen.com). Ce comité, sous la présidence de l’ex-dirigeant du Mouvement Desjardins Claude Béland, est présentement en tournée dans les régions de la province.  
  
          Lorsque des étatistes bien-pensants se mettent à promouvoir en si grand nombre une nouvelle solution à la débandade étatique, c’est qu’il y a sûrement de bonnes raisons de s’en méfier.  
  
Un système de plus en plus tyrannique 
  
          Le concept de démocratie a une connotation positive pour presque tout le monde. Il s’oppose à tyrannie, oligarchie, monarchie, hiérarchie, totalitarisme. Historiquement, les démocrates ont été du côté des « bons », des partisans de la liberté, et se sont opposés aux méchants, partisans de tous les systèmes détestables précédemment nommés. Entre un Hitler, un Staline et un politicien social-démocrate démocratiquement élu, on n’aurait aucune hésitation à choisir d’être gouverné par le dernier. Difficile donc, de prime abord, de s’y opposer. Mais il faut voir plus loin que cette première réaction convenue.  
  
          Tout au long du 20e siècle, les démocraties ont toutes connu le même type d’évolution: une croissance inexorable de la taille de l’État. Cela n’est pas le fruit du hasard. La logique démocratique fait en sorte que pour avoir de bonnes chances d’être élus, les politiciens doivent céder aux pressions de divers groupes organisés et influents qui demandent privilèges et redistributions de la richesse à leur profit, en échange d’appuis électoraux. Ceci se fait bien sûr aux dépens des citoyens ordinaires, qui voient leur liberté constamment restreinte, et le fardeau fiscal qu’ils doivent supporter toujours plus élevé. En fait, il est devenu pratiquement impossible pour un politicien de connaître le succès sans être corrompu et sans jouer à ce jeu (voir CORRUPTION POLITIQUE: LE PROBLÈME, C'EST LA DÉMOCRATIE, le QL, no 101). Même si la démocratie est toujours préférable au totalitarisme fasciste ou communiste, elle est devenue un système de plus en plus tyrannique, où la liberté est de moins en moins protégée.  
  
          Si les gauchistes se tournent aujourd’hui vers la démocratie après avoir échoué dans leur tentative d’imposer leur république populaire d’un Québec indépendant, c’est parce qu’elle est en fait devenue un excellent prétexte pour justifier le collectivisme. Difficile en effet d’offrir une critique rationnelle contre une intervention de l’État lorsque sa justification est que la population s’est exprimée et a fait un choix démocratique dans ce sens. Comment ose-t-on s’opposer à la volonté populaire? Et dans la mesure où un secteur quelconque de l’économie ou de la société a été nationalisé, si quelque chose ne va pas, alors la réponse lorsqu’on rouspète est toujours la même: si vous n’êtes pas satisfait et que vous voulez changer les choses, impliquez-vous dans le processus démocratique!  
  
     « Dans la mesure où un secteur quelconque de l’économie ou de la société a été nationalisé, si quelque chose ne va pas, la réponse lorsqu’on rouspète est toujours la même: si vous n’êtes pas satisfait et que vous voulez changer les choses, impliquez-vous dans le processus démocratique! »
  
          Mais voilà, lorsqu’on défend la liberté, on n’en a rien à foutre du processus démocratique! Si l'État prenait le contrôle de la distribution alimentaire à la suite d’une « expression de la volonté populaire démocratiquement exprimée » (rien d’irréaliste dans cette hypothèse, le gouvernement contrôle déjà notre éducation, notre santé, notre consommation d’alcool, en partie notre logement, et bien d’autres secteurs de production), devrions-nous nous « impliquer » dans le débat pour savoir si les magasins d'État devraient nous servir dix ou quinze différentes coupes de viandes et à quel prix? Qu'arriverait-il si à cause des écueils de la gestion bureaucratique il n'y avait du poulet que deux jours par semaine en vente dans ces magasins? Faudrait-il manifester dans les rues et jouer le jeu des groupes de pression pour forcer le gouvernement à en offrir cinq ou six jours sur sept?  
  
          La démocratie, ça fonctionnerait mieux, disent certains, si seulement les citoyens faisaient leur « travail de citoyens » et participaient. Mais il y a de bonnes raisons pourquoi les gens ne le font pas et décrochent des débats politiques. Les États aujourd'hui interviennent partout et dans tout. Allons-nous devoir passer plusieurs heures à nous informer sur la situation du tourisme au Québec parce que le gouvernement dépense des millions dans l'industrie touristique? Et nous informer sur le cas des mines en Abitibi parce que le gouvernement subventionne la recherche minière? Et sur la situation des toxicomanes autochtones parce qu'il y a des programmes qui coûtent des millions pour eux qui sont peut-être mal gérés, mais qui ne le seraient pas si seulement des milliers de citoyens écrivaient des lettres et appelaient leur député? Mais nous avons autre chose à faire que de nous occuper de ces histoires et des problèmes de toutes la collectivité, nous avons une vie à vivre!!! 
  
          Prendre de telles décisions en groupe, imposer les choix d'une majorité simple ou même absolue à tous, est une façon de faire non seulement absurde et inefficace, mais collectiviste. La solution n’est pas de mieux faire fonctionner ce système en tentant de l’influencer de l’intérieur, en participant au jeu, mais bien de le démanteler. Ce sont les choix des consommateurs qui devraient influencer l'allocation des ressources, pas les pressions politiques. Il faut enlever le pouvoir de décision des mains des politiciens et des bureaucrates et le remettre dans celles des individus, leur permettre de faire ces choix individuellement, dans un système fondé sur la propriété privée et le libre marché. Nous n'avons pas à décider collectivement de « l'avenir de notre système de santé », pas plus que de « l'avenir de notre système de production et de distribution de carottes » 
  
          Tous ces « débats de société » qui remplissent les pages des journaux n'existent que parce que des pans entiers de l'économie ont été étatisés. Privatisons-les et il n'y aura plus rien à débattre, chacun décidera pour lui-même dans un marché libre, tout comme on le fait lorsque vient le temps de s’acheter une paire de chaussures ou d’aller au restaurant. Nous n'aurons plus besoin de la démocratie, c'est-à-dire d'un système de prise de décisions collective, pour gérer ces choix. Chacun pourra s'occuper de ses affaires et nous pourrons cesser de nous intéresser aux constantes réformes que les politiciens et bureaucrates concoctent en notre nom.  
  
Une aventure collective 
  
          La démocratie sert aujourd'hui avant tout les intérêts des collectivistes et des étatistes. Il suffit du vote d'une majorité pour que n'importe quelle atteinte aux droits individuels, n'importe qu'elle nationalisation d'un secteur économique, n'importe quel projet de réglementation ou de redistribution de la richesse, ou privilège accordé à des groupes, devienne justifié. La majorité le veut! 
  
          Toutes les formes de tyrannie deviennent ainsi légitimes, dans la mesure où les politiciens ont obtenu un « mandat démocratique » – c'est-à-dire le vote des groupes de parasites qu'ils favorisent et entretiennent – pour les mettre en vigueur. Mais si la majorité votait en faveur de la lapidation des femmes adultères, de l’expulsion de tous les individus de race noire, ou d’une surveillance vidéo constante et systématique, y compris dans les endroits les plus intimes, pour lutter contre la criminalité, cela serait-il pour autant acceptable? Les droits individuels ne devraient pas être soumis au vote et ne devraient pas être brimés, même par la volonté d'une majorité.  
  
          Le ministre responsable de la Réforme des institutions démocratiques, Jean-Pierre Charbonneau, exprime parfaitement bien la logique collectiviste qui sous-tend son projet sur la page d’accueil des États généraux: « L’aventure humaine, écrit-il, n’est pas une aventure solitaire. C’est une aventure collective, et la démocratie constitue une façon à la fois exigeante et valorisante de faire participer tous les membres de la collectivité au gouvernement de l’ensemble. »  
  
          Pour retrouver la liberté, c’est le contraire de chercher à améliorer le système démocratique qu’il faut faire. Il faut délégitimer ce système par lequel une élite dirigeante s'approprie légalement le contrôle de l'État et se permet de gérer notre vie dans ses moindres détails en nous soutirant la moitié de notre revenu. Ce processus visant à « réformer nos institutions démocratiques » n’est en fin de compte qu'un autre cirque de la part des politiciens et des groupes de pression étatistes qui voient bien que la légitimité de leur pouvoir est de plus en plus remise en question, et qui cherchent des moyens de le sauvegarder. Nous n’avons aucune raison d’y participer ou de nous y intéresser.  
  
          Tant mieux si la démocratie est en crise. La démocratie est un système immoral. La préoccupation principale des libertariens doit être de réduire le rôle de l'État et d’éliminer les raisons de prendre des décisions collectives, non d’aider la clique de parasites étatiques à consolider son pouvoir sous prétexte de mieux refléter la volonté collective. 
  
 
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