Montréal, 7 décembre 2002  /  No 115  
 
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André Dorais a étudié en philosophie et en finance et vit à Montréal.
 
ÉTHIQUE LIBERTARIENNE
 
POURQUOI IL FAUT PRIVATISER
LA MONNAIE
 
par André Dorais
  
  
          La Réserve fédérale (banque centrale américaine, ci-après la Fed) a abaissé, le 6 novembre dernier, son taux directeur de 0,5%. Il s'agit de la douzième baisse en deux ans. Une telle baisse est considérable, d'autant plus que le taux était déjà très bas. Ce faisant, quel objectif la Fed cherche-t-elle à atteindre?
 
Encore une douzaine de beignes 
  
          La Fed cherche désespérément à relancer l'économie par la consommation, c'est-à-dire à faire en sorte que les gens achètent autant qu'ils peuvent. Elle croit que de répéter le message une douzième fois fera la différence. C'est que l'esprit dans lequel les dirigeants de la Fed travaillent, à l'instar de tous les dirigeants des banques centrales, est keynésien (de l'économiste John Maynard Keynes). Cette école de pensée postule qu'une économie en santé en est une où la consommation est forte. Ainsi, en abaissant les taux d'intérêt, ces dirigeants vous incitent à emprunter pour consommer davantage. 
  
          Or, plusieurs individus ont déjà tellement emprunté qu'ils sont endettés jusqu'au coup. Il en va de même des entreprises, à tel point que les banques n'osent plus leur accorder de prêts si ce n'est qu'à des taux beaucoup plus élevés. Malgré cet endettement, le président de la Fed, Allan Greenspan, préconise rien de moins que vous retourniez au magasin, question de voir si vous ne pourriez pas encore engloutir une douzaine de beignes avec l'achat d'un troisième téléviseur! 
  
          Les gens peuvent consommer à crédit en autant qu'ils ont des biens qui peuvent servir de garantie au prêteur ou un revenu suffisamment élevé pour justifier l'endettement temporaire. Toutefois, on aura beau abaisser les taux d'intérêt à zéro pour vous inciter à consommer, arrive un moment où vous ne pouvez plus, car vous n'avez plus d'épargne et de biens à échanger. 
  
          Précisons que l'épargne liquide était d'abord un bien réel. Autrement dit, avant que la monnaie ne serve de moyen d'épargne, l'épargne ne pouvait être constituée que de biens réels. Avant de se faire payer en argent pour son travail, on se faisait payer en biens. De sorte qu'à cette époque lointaine on ne pouvait épargner que des biens. Le troc n'étant pas très pratique, un moyen d'échange a été inventé pour faciliter l'échange des biens et services entre les individus. Ce moyen d'échange a pris plusieurs formes selon le pays et l'époque. L'argent métallique et l'or ont été les plus largement utilisés. Au cours du 20e siècle cependant, l'étalon-or sur lequel s'appuyait notre système monétaire a graduellement été remplacé par un régime fondé sur la monnaie fiduciaire, c'est-à-dire une monnaie qui n'a aucune valeur physique autre que le papier sur laquelle elle est imprimée, mais à laquelle l'État confère « cours légal ». 
  
De l'argent qui pousse dans les arbres 
  
          Une économie complexe comme la nôtre nécessite un moyen d'échange, mais l'or serait préférable à la monnaie fiduciaire, car il n'est pas sujet aux manipulations des politiciens et des fonctionnaires. Le papier-monnaie est en effet sujet aux « politiques monétaires » des banques centrales qui ne créent que cycles économiques et inflation. La Fed, comme toutes les banques centrales, n'a que trois outils à sa disposition pour influencer les gens à consommer: réduire le taux d'escompte, réduire les réserves bancaires et acheter des actifs sur le marché. 
  
          La baisse du taux d'escompte (taux directeur) et la baisse des réserves sont des moyens indirects d'encourager la consommation. Les banques doivent maintenir, dans leurs coffres, une réserve d'argent au-delà de laquelle elles peuvent prêter. Lorsque la Fed leur dit qu'elles peuvent réduire leurs réserves, c'est qu'elle les encourage à effectuer des prêts aux individus et aux entreprises. Plus de prêts, plus de consommation. Idem pour une baisse du taux d'escompte. Les banques sont encouragées à effectuer plus de prêts au point de réduire leurs réserves en deçà du minimum permis, car elles peuvent dorénavant emprunter à taux moindre auprès de la banque mère pour refaire leurs réserves. Puisqu'elles peuvent emprunter à moindre coût, elles prêteront à moindre coût. 
  
          Ces politiques encouragent la consommation, mais accroissent également la quantité de monnaie et de crédit sur le marché. Lorsqu'une banque réduit ses réserves, c'est qu'elle en place autant sur le marché. Imaginez maintenant que plusieurs épargnants, ceux qui ont prêté à la banque, décident de retirer leur argent de celle-ci. La banque a pratiquement tout prêté son argent, alors elle devrait avoir de la difficulté, me direz-vous, à le remettre aux propriétaires? Eh bien non! Car la Fed est là pour ces urgences. Mais elle, où prend-t-elle son argent? En l'imprimant tout simplement. De sorte qu'il y a maintenant plus d'argent en circulation dans l'économie. 
  
          Le moyen direct d'encourager les gens à consommer est lorsque la Fed achète des actifs, notamment des obligations gouvernementales, auprès des institutions financières. Cela est direct car pour ce faire elle « imprime » de nouveaux billets. Plus précisément, elle crédite le montant de la transaction, c'est-à-dire qu'elle dépose de l'argent qui n'est pas encore imprimé dans les comptes des institutions vendeuses. Cet argent nouvellement créé peut être échangé à l'infini sans qu'il prenne la forme d'argent en papier. Il fait dorénavant partie de la masse monétaire. 
  
L'origine de l'inflation 
  
          Le résultat de ces manipulations est qu'il y a maintenant plus d'argent papier dans l'économie, sans qu'il y ait, toutefois, plus de richesses. La richesse, ce sont les biens et services que vous avez à votre disposition. L'argent liquide fait également partie de votre richesse, mais son pouvoir d'achat est maintenant réduit car la Fed en a imprimé davantage. La monnaie, comme tous les biens qui peuvent être produits en grande quantité et à bas prix, subit alors une dévaluation. Toutefois, à la différence des autres biens, une baisse du pouvoir d'achat de la monnaie affecte tous les biens de façon générale, car elle sert de moyen d'échange. 
  
     « Aujourd'hui, l'argent sert de moyens d'épargne et d'échange, mais il ne peut être considéré comme bien réel à moins de considérer le papier sur lequel il est représenté comme ayant une valeur en soi. »
 
          Plus il est facile de se procurer un bien, moins il coûte cher. C'est la loi de l'offre et de la demande. Imprimer de l'argent à volonté ne fait que mettre en évidence cette loi. Lorsqu'il s'agit des biens autres que la monnaie, cela ne cause pas de problème, la loi fait son oeuvre sans créer d'injustice. C'est-à-dire que si tous se décident un beau jour de se procurer le bien X, le producteur, ne pouvant plus répondre à la demande, risque fort d'augmenter ses prix. Ce producteur alors s'enrichit et c'est tant mieux pour lui. Par contre, la Fed ne doit pas être considérée comme étant un producteur d'argent, car ne peut être qualifié de producteur que celui ou celle qui produit un bien réel. Aujourd'hui, l'argent sert de moyens d'épargne et d'échange, mais il ne peut être considéré comme bien réel à moins de considérer le papier sur lequel il est représenté comme ayant une valeur en soi. 
  
          En s'appropriant le moyen d'échange qu'était l'or pour ensuite le transformer en papier-monnaie, le gouvernement s'approprie également votre épargne. Le papier-monnaie comme moyen d'épargne devrait avoir une contrepartie réelle, mais il n'en est rien car la banque centrale imprime des billets et crée du crédit comme elle veut. Elle prétend que c'est son rôle de stabiliser la valeur de la monnaie. Toutefois, elle aura beau créer une quantité savamment calculée de monnaie, le résultat est qu'elle déstabilise d'abord les marchés pour ensuite tenter de les stabiliser de nouveau. Le temps que dure ces manipulations, l'injustice court. La banque centrale influence et a un impact sur les marchés, mais elle ne peut les contrôler. Ainsi, il est faux de dire qu'elle peut perdre le contrôle, car elle ne l'a jamais eu. Toutefois, elle peut désorienter les marchés et les faire s'effondrer. Ce n'est peut-être que de bonnes intentions qui ont mené à la création d'une banque centrale, mais l'on doit constater aujourd'hui que ces intentions étaient mal fondées, car la banque ne crée que privilèges injustifiés et pauvreté. 
  
          La raison en est simple, il ne peut avoir de moyen d'échange qui ne soit d'abord un bien réel ayant lui-même une valeur d'échange. Le papier-monnaie, nonobstant le papier lui-même, n'a aucune valeur d'échange pour celui qui ne connaît que le troc. Vous aurez beau écrire 1 000 $ sur le papier et le colorer en rose, il risque fort de préférer un bien tangible tel un collier de pierres d'or. Ce collier peut lui servir d'ornement comme il peut lui servir de moyen d'échange, ce qui est impensable avec l'argent papier. L'or ne peut être trafiqué comme le papier-monnaie. On ne le sort pas de la terre comme on sort l'argent de la banque centrale. La monnaie fiduciaire ne prend pas sa valeur dans le fait qu'elle ait cours légal, mais dans la confiance que les gens lui accordent. Et c'est uniquement parce qu'il y a encore des gens qui ont confiance en l'État que le papier-monnaie possède une valeur. Ce n'est qu'une question de temps avant que les gens ne se rendent compte qu'il n'y a que l'or qui peut servir de moyen d'échange stable et qui maintient sa valeur. 
  
          Les billets qu'ajoute la banque centrale sur les marchés, par la voie de quelques institutions financières, détournent les biens réels de leurs propriétaires légitimes. Les premiers à toucher ce nouvel argent s'enrichissent effectivement en se procurant des biens sur le marché. Ils sont privilégiés, mais ne sont pas à blâmer. Ils sont seulement bien placés, soit aux premières loges de la main nourricière qu'est la banque centrale. En passant, ce n'est pas en allant cogner aux portes du gouvernement pour avoir votre croûte sous le prétexte que vous n'êtes pas aux premières loges que vous arrangez les choses. Ce faisant, au contraire, vous vous faites complice d'une injustice. 
  
          Cette main nourricière ne nourrit pas tout le monde également. En effet, son essence étant inflationniste, ceux qui sont bien placés et ceux qui consomment jusqu'à l'endettement sont avantagés par rapport aux autres, car ils bénéficient des biens aux prix actuels. Cette demande accrue a pour conséquence une augmentation générale des prix et une dévaluation réciproque de la monnaie. D'un acheteur à l'autre, avec le temps, cet argent perd toujours plus de sa valeur, c'est-à-dire qu'un appauvrissement général s'ensuit. Ainsi, vous aurez beau blâmer le producteur d'augmenter ses prix, la source du mal ce n'est pas lui, mais le gouvernement. 
  
Fermer les banques centrales 
  
          Une banque centrale ne crée pas la richesse à partir de sa planche à billets ou en jouant avec les taux d'intérêt. Si c'était le cas, il n'y aurait plus de pauvreté dans le monde aujourd'hui. Cette façon de faire, au contraire, détruit la richesse et c'est probablement pour cette raison que les gens ne répondent plus aux appels incessants de la Fed ou des autres banques centrales. La seule chose légitime à faire est de fermer toutes les banques centrales et de rétablir l'or comme moyen d'échange. Et cela ne peut se faire à moitié à l'instar des « déréglementations » manquées des marchés de l'électricité chez nos voisins du sud et de l'ouest. Il faut sortir complètement du marché, car c'est trop facile de dire que l'expérience n'est pas concluante alors que le gouvernement tire encore des ficelles. Un marché est libre de contraintes gouvernementales ou ce ne l'est pas. 
  
          Garder la banque centrale équivaut à dire que l'inflation n'est pas si grave, c'est accepter d'entretenir quelques privilégiés et d'appauvrir les autres. Il faut être keynésien, social-démocrate ou hypocrite pour penser ainsi. L'or a été le moyen d'échange de la plupart des pays pendant des siècles, voire des millénaires, jusqu'au jour où des politiciens endormis ou corrompus ont entrepris de démanteler ce système à petit feu. Il est temps de remettre en question cette croyance en l'État et en la fausse monnaie qu'il nous fournit. 
 
 
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