Montréal, 18 janvier 2003  /  No 117  
 
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Yvon Dionne est retraité. Économiste de formation (Université de Montréal), il a travaillé à la Banque du Canada (11 ans) puis pour « notre » État du Québec (beaucoup trop longtemps: 20 ans). On peut lire ses textes sur sa page personnelle.
 
CE QUE J'EN PENSE
 
DU DEVOIR DE S'OPPOSER AUX LOIS INJUSTES
 
par Yvon Dionne
  
 
          Nous connaissons le sort tragique réservé aux dissidents par les dictatures, mais peu de gens contesteraient le devoir de tout individu de combattre des lois de discrimination raciale, en particulier du genre de celles introduites par les Nazis contre les Juifs à partir de 1933(1). Et pourtant, dans nos démocraties dites libérales, l'obéissance aux lois, même les plus stupides et contraires au bon sens et aux libertés individuelles, est considérée comme une vertu. Nous sommes conditionnés à obéir aux lois, que l'on doit considérer comme parfaites jusqu'à ce qu'un juge les invalide ou qu'elles soient modifiées ou abrogées par le parti au pouvoir. Nous entretenons ainsi une culture de soumission au lieu de former des gens responsables et libres de penser par eux-mêmes.
 
          En ce sens, les démocraties imitent les dictatures puisqu'elles nous refusent le droit de suivre notre conscience. Aucun État ne va d'ailleurs permettre aux individus de voter directement sur ses lois, comme ils ont la possibilité de voter avec leurs pieds, car ce serait miner les fondements de son existence. Voilà qui est dangereux et qui devrait nous inciter à être vigilants, d'autant plus que les législations se sédimentent. 
  
Les dangers de la règle de la majorité 
  
          Nos régimes politiques sont fondés sur le pouvoir (théorique) de la majorité laquelle, par le biais de ceux qu'elle élit pour légiférer, impose sa volonté aux minorités. Celles-ci ont le droit de s'opposer aux lois existantes à condition de respecter les règles établies: elles doivent se soumettre aux lois jusqu'à ce qu'elles puissent obtenir une majorité d'élus pour les modifier ou les abroger. Dans la mesure où les droits et libertés sont reconnus dans une loi constitutionnelle, le processus législatif comporte lui-même certaines contraintes. Voilà pour la théorie. 
  
          En pratique, nous savons tous que ce régime ne constitue pas le meilleur des mondes, loin de là. Présentement, les partis politiques au Québec mettent l’accent sur la réforme du régime électoral alors que les majorités sont souvent créées de toutes pièces (par le manque d'information par exemple). Le problème le plus important est sans doute que les droits et libertés peuvent être bafoués selon ce que la majorité ou les groupes de pression ayant le plus d'influence sur le pouvoir entendent par intérêt public. C'est ce que permet l'article 1 de la Charte canadienne, qui fait partie intégrante de la Constitution, et qui déclare que les droits peuvent être restreints « dans les limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique. » 
  
          Les juges sont donc appelés à trancher sur les limites du « raisonnable » et à statuer sur la véracité d'une justification de nature politique, laquelle constitue réellement un prétexte pour restreindre des droits. C'est beaucoup demander aux juges de la Cour suprême même si leur tâche est probablement rendue plus... facile par le fait qu'ils sont nommés unilatéralement, au Canada, par le premier ministre. 
  
          Cette situation est d'autant plus problématique que le collectif a de plus en plus préséance sur les droits individuels. Cette propension à vouloir soumettre les droits individuels à des droits collectifs abstraits déterminés par les objectifs d'un groupe s'inspire des pires totalitarismes; les partisans de l'intérêt dit collectif identifient leurs propres intérêts aux intérêts de tous, qu’ils imposent à tout le monde sous le parapluie du bien commun, avec la force de la loi et de la police si nécessaire. 
  
          Nous sommes donc en présence d'un État (plus précisément d'un appareil politique, administratif et policier) qui se croit omniscient, et qui se veut omniprésent, prêt à sacrifier le bien des uns pour faire plaisir à d'autres, et qui oriente à cette fin ses législations. 
  
La désobéissance civile 
  
          Faut-il désobéir à des législations que nous considérons injustes, et comment? Pierre Lemieux discute de la question dans son article « Civil and Uncivil Disobedience » où il distingue une désobéissance qui serait le fruit d'un comportement antisocial de celle qui répond à des impératifs moraux et de respect des droits. Dans un texte plus récent (« Calling a Tyrant a Tyrant », The Laissez Faire Economic Times), il écrit qu'il ne faut pas attendre que l'État soit un tyran à 100% pour l'appeler par son nom, car à ce moment il sera trop tard. Il est plus prudent de dénoncer le 40% de tyrannie que nous avons, dès maintenant, que de se morfondre jusqu'à ce que le tyran nous empêche de dire quoi que ce soit. 
  
          Mohandas Gandhi (surnommé Mahatma, l'âme grandiose) est probablement le mieux connu des résistants, mais il représente néanmoins une désobéissance non violente associée au nationalisme indien contre celui des occupants britanniques. Il y a des précurseurs jusque dans l'Antiquité, mais celui qui a le mieux défendu la désobéissance pour la défense des libertés individuelles est sans contredit l'essayiste américain Henry David Thoreau (1817-1862) qui, dans un essai intitulé Civil Disobedience (1849), écrit que lorsque les lois entrent en contradiction avec notre conscience, c'est cette dernière que nous devons écouter. Il recommandait le respect du droit plus que des lois (« it is not desirable to cultivate a respect for the law, as much as for the right »). Autrement dit, la justice importe plus que l'obéissance aux lois, lorsque celles-ci sont contraires à la justice. 
  
          Si la désobéissance violente est à proscrire dans un pays où existe encore une tradition de respect des droits, une liberté d'expression et une liberté politique, il demeure que la désobéissance civile, non violente, demeure le moyen le plus efficace de persuasion lorsque la majorité (réelle ou créée de toutes pièces par le parti au pouvoir, et souvent animée de motifs subjectifs et totalitaires) brime les droits individuels et ceux des minorités. « Most modern philosophers consider civil disobedience a justified method of persuasion when majority rule ignores the valid concerns of a minority. »(2) 
  
     « Cette propension à vouloir soumettre les droits individuels à des droits collectifs abstraits déterminés par les objectifs d'un groupe s'inspire des pires totalitarismes; les partisans de l'intérêt dit collectif identifient leurs propres intérêts aux intérêts de tous, qu’ils imposent à tout le monde sous le parapluie du bien commun, avec la force de la loi et de la police si nécessaire. »
 
          Les déboires d'un consommateur de pizza, dans un Québec futur où la production de pizzas est étatisée pour le bien collectif, sont racontés avec humour par Jasmin Guénette (QUÉBEC, 2012: PETIT CONTE LIBERTARIEN, le QL, no 116). Cette réalité est toutefois bien actuelle dans d'autres domaines, dont la santé publique et la législation sur les armes à feu. 
  
La législation sur les armes à feu 
  
          Le 31 décembre 2002 était la date limite pour l'enregistrement de toutes les armes de chasse, sauf pour les Inuits du Nunavut (soutenus par leur gouvernement) qui ont bénéficié le 10 décembre d'une injonction d'un juge du Nunavut reportant à plus tard l'application de certains articles de la Loi sur les armes à feu. La résistance des propriétaires d'armes à feu s'est exprimée jusqu'à la date limite du 31 décembre, engorgeant les communications du Centre canadien des armes à feu. 
  
          Le 1er janvier, l'Association canadienne des propriétaires d'armes à feu non enregistrées (www.cufoa.ca) a organisé une manifestation à Ottawa où se sont rassemblés environ 250 opposants à la loi. À midi pile, la collègue Claire Joly a d'abord lu la déclaration de désobéissance à la Loi sur les armes à feu. Le président de l'Association, Jim Turnbull, l'a ensuite lue en anglais. Puis nous avons brûlé le texte de la Loi sur les armes à feu, des permis de possession d'armes et des certificats d'enregistrement. Pour couronner le tout, Jim Turnbull nous a convoqués à l'écart pour que l'on procède à... l'échange d'une arme non enregistrée (une infraction au Code criminel). 
  
          Or, l'arme en question n'était qu'une culasse de carabine: sans le verrou, le canon, la gâchette, la crosse. Autrement dit, sans tous les accessoires qui permettent de tirer! En soi, la culasse est donc inoffensive. Pourtant, à la définition d'« arme à feu » de l'article 2 du Code criminel, une culasse est... une arme à feu. 
  
          Nous nous sommes donc échangés cette arme (nous: y compris le soussigné), entourés de journalistes, qui ont bien compris que les manifestants n'avaient aucun «dessein dangereux pour la paix publique» (art. 88 du Code criminel). C'est à ce moment que la police, armée elle de vrais pistolets semi-automatiques (pas de pistolets à eau), a procédé à l'arrestation de Jim Turnbull et, plus tard, à celle de Ed Hudson, le secrétaire de l'Association. L'accusation: le port d'une arme à feu dans une assemblée publique (c'est visé par l'article 89 du Code criminel). 
  
          Tous ont pu voir cette scène ridicule à la télévision ou dans la presse écrite, digne du ministre fédéral de la Justice Martin Cauchon qui continue à défendre la Loi sur les armes à feu malgré l'opposition des propriétaires d'armes à feu et de huit provinces sur dix qui demandent d'en suspendre l'application. 
  
          Cette manifestation était un exemple de résistance légitime ne causant aucun tort à autrui et qui défiait ouvertement une loi stupide ne s'appliquant pas aux vrais criminels (la police est plus tolérante envers d'autres genres de manifestations). 
  
Revenons au bercail 
  
          L'Île-du-Prince-Édouard (population 140 000 habitants) et le gouvernement du Parti québécois restent les seuls à défendre aveuglément la loi fédérale malgré que celle-ci soit inutile, scélérate, inapplicable et coûteuse. 
  
          Le 8 janvier, dans ce qui est probablement un de ses derniers chants du cygne avant les prochaines élections provinciales, le ministre québécois de la Police, des Meurtres, Viols et Vols, M. Serge Ménard, s'est porté à la défense de la loi fédérale. Il a avoué que son gouvernement connaissait les dérapages de coûts d'application de la loi (mais il n'en a jamais informé la population). À l'instar de Martin Cauchon, le ministre québécois de la PMVV soutient que ce n'est pas le moment d'abandonner le registre après y avoir mis tant d'argent... (air connu). Il va de soi, a-t-il conclu, qu'un État moderne (sic) doit enregistrer les armes à feu comme on enregistre déjà les automobiles, les bicyclettes, les chiens, les chats, etc. Ou bien ce ministre nous prend pour des cruches, ou bien il ne connaît rien de la partie III du Code criminel (voir mon texte LA LÉGISLATION SUR LES ARMES À FEU: INUTILE, SCÉLÉRATE, INAPPLICABLE ET COÛTEUSE à ce sujet, dans le QL, no 116). 
  
          Et que dire du silence (qui n'est pas celui du poète Lamartine) des deux partis d'opposition à l'Assemblée nationale du Québec? 
  
          M. Jean Charest a fait quelques déclarations alors qu'il était chef du Parti conservateur au fédéral. Voici des extraits du site Fed Up Canada: « Charest also promised to kill Bill C-68, the Liberal gun control legislation, replacing it with a practical and realistic law. »(3) « Charest said there is no evidence forcing law-abiding gun owners to take part in a costly, bureaucratic registry will fight crime. "We would put a stronger focus on prevention," he said, promising to toughen penalties for those who use guns in the commission of crimes. »(4) 
  
          Voici quelques questions que l'opposition pourrait poser au Grand Chef Bernard Landry, premier ministre (sortant) du Québec: 1) Quel a été le coût assumé par le Québec pour l'administration de la Loi sur les armes à feu depuis 1995? 2) La Sûreté du Québec va-t-elle procéder, après le 1er juillet 2003, à l'arrestation de tous ceux qui n'ont pas enregistré leurs armes à la fin de 2002 ou qui n'ont pas manifesté l'intention, à la fin de 2002 de s'enregistrer avant le 1er juillet 2003? (Si des lecteurs pensent que la question est complexe, ils ont raison! Mais la réponse est affirmative, c'est-à-dire que celui qui détient un fusil de chasse depuis 40 ans, qu'il a oublié d'enregistrer, ou n'a pu le faire, est désormais un criminel). 3) Est-ce que la Loi sur les armes à feu a eu un impact positif sur la diminution des homicides, sur les détaillants d'armes à feu, les clubs de tir et la chasse sportive? 
  
  
1. Hitler a été nommé chancelier en janvier 1933. Notre gauche caviar (qui a ses officines privilégiées au gouvernement) ne sera pas en reste car cette année elle pourra célébrer le 70e anniversaire de la grande famine en URSS (un résultat direct – des millions de morts – de l'intervention étatique) et le 50e du décès d'un de ses petits pères spirituels, Joseph Staline.  >>
2. « Making the Case for Civil Disobedience in Canada », Canadian Unregistered Firearm Owners Association>>
3. C'est une dépêche de la Presse canadienne reproduite sur Fed Up Canada, 4 mai 1997.  >>
4. Fed Up Canada, 21 mai 1997.  >> 
 
 
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