Montréal, 18 janvier 2003  /  No 117  
 
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Hervé Duray, diplômé de l'École Supérieure de Commerce de Grenoble, tient La Page libérale, un site dédié au commentaire des informations sous un angle libéral.
 
LA PAGE LIBÉRALE
 
ZFU: PARADIS FISCAL,
MAIS LIBERTÉ CONDITIONNELLE...
 
 par Hervé Duray
  
  
          En politique on a parfois des surprises: à « droite » on se réclame des valeurs de « gauche », à gauche certains font l'éloge du « social-libéralisme », et des alliances se nouent de l'extrême gauche à l'extrême droite sur la souveraineté de l'État (pas des citoyens) en danger. Martine Aubry, la « dame des 35 heures », mais aussi des emplois jeunes et de la Couverture Maladie Universelle(1) défend quant à elle l'une des formes les plus abjectes de néo-libéralisme sauvage: les paradis fiscaux. Explications.
 
Vastes dortoirs délinquants 
  
          Depuis 1997, il existe en France 44 « zones franches urbaines ». Les ZFU(2), pour parler administrativement correct, permettent aux entreprises bénéficiaires des exonérations de l'impôt sur les bénéfices, de taxe professionnelle, taxe foncière sur les propriétés bâties, charges sociales patronales, et cetera. La liste est longue, et pourtant non exhaustive, car il existe une ribambelle d'impôts et de charges que doivent subir les entreprises françaises pour l'intérêt général de particuliers, comme les agriculteurs, les salariés de France Télécom, demain les retraités d'EDF... 
  
          Ces impôts, évidemment, poussent nombre d'entreprises à la ruine: c'est soit l'URSSAF(3), soit les salaires! Puisque l'État est prioritaire sur tout autre créancier, une faillite est souvent suivie de difficultés chez les fournisseurs; quant aux salariés, ils n'ont qu'à retrouver du boulot en touchant les ASSEDIC(4). Ces mêmes charges érodent le pouvoir d'achat des salariés, quand les impôts éliminent toute idée de rentabilité pour d'éventuels investisseurs. Pas étonnant dans ces conditions que les Français créent peu d'entreprises, même si d'après de multiples sondages ils en rêvent tous!  
  
          En France comme ailleurs, la mise en pratique de politiques d'urbanisme a détruit des villes, et l'ambition démesurée des architectes sociaux a créé de vastes ghettos, aussitôt emplis d'une forte population immigrée. Les différentes « politique de la ville » n'y ont rien donné, pas plus que l'Éducation nationale n'a pu inculquer un semblant d'éducation à la place des familles, tandis que la police perdait peu à peu le contrôle de vastes zones, laissant place à la loi de la jungle, celle des bandes et des gangs. Quelques années plus tard, ces bombes à retardement ont explosé un peu partout et ce qu'on appelle maintenant les « cités » sont de vastes dortoirs de pauvres, de chômeurs et de délinquants. 
  
          C'est pour contrer ces deux catastrophes socialistes que les zones franches ont vu le jour. Pour une fois, l'initiative va dans le bon sens: il s'agit de rendre un peu de liberté et non d'en confisquer un peu plus comme lors des multiples « contrats de ville » ou « plans d'insertion urbain » ou je ne sais quels autres programmes de dépenses inutiles. Et pour une fois, un programme étatique est un succès(5). 
  
Emplois à la hausse 
  
          En effet, dans les 44 quartiers, les statistiques du ministère de l'Emploi montrent qu'il y a eu multiplication par deux des emplois en 5 ans, dont plus de 90% sont exonérés de charges, les entreprises bénéficiant des exemptions diverses. Le rythme de création d'emploi a donc largement dépassé celui du reste de la France, sans même avoir besoin de faire un calcul quelconque: on ne bat pas le rappel des retraités pour pallier au manque de main-d'oeuvre!  
  
          Bien sûr il y a eu un effet d'aubaine, des entreprises ont déménagé pour profiter des exonérations, mais dans l'ensemble le plan démontre que libérées du poids financier de l'État, les entrepreneurs français peuvent créer des richesses, des emplois. Et ce, y compris pour ceux que beaucoup tiennent pour perdus à tout jamais: chômeurs de longue durée, jeunes sans aucun diplôme. Ailleurs on les appelle des « working poors », mais en France, ils ne pouvaient jusque-là pas travailler, n'étant pas assez productifs. Maintenant, ils ont une dignité et un salaire: il y a de la place pour tout le monde dans un système libéré. 
  
     « Libérées du poids financier de l'État, les entrepreneurs français peuvent créer des richesses, des emplois. Et ce, y compris pour ceux que beaucoup tiennent pour perdus à tout jamais: chômeurs de longue durée, jeunes sans aucun diplôme... »
 
          Le Grand Projet de Ville(6), Lille et ses environs, a amplement profité de ces ZFU: six quartiers(7), des dizaines de milliers de personnes, une superficie immense. Tous, à droite comme à gauche, s'en réjouissent, dont Martine Aubry, bien évidemment: « J'ai pour ma part toujours plaidé pour le maintien des zones franches »(8). N'allez tout de même pas croire que le soutien des politiciens est inconditionnel: « Nous nous étions battus avec Claude Bartolone pour mettre des verrous supplémentaires afin que l'argent public n'aille pas n'importe . » Des verrous? Oui car pour être une ZFU, il faut répondre à des critères précis. 
  
          Plus de 10 000 habitants, taux de chômage supérieur de 25% à la moyenne nationale (donc d'au moins 15%), au moins 36% de jeunes, plus de 29% de plus de 15 ans sans diplôme quelconque, et un potentiel fiscal de moins de 580 euros par habitant, tels sont les critères d'une ZFU. À leur énoncé, on mesure bien l'état de décrépitude des quartiers: pour que les hommes de l'État s'avouent vaincus et renoncent à des impôts, il faut vraiment en arriver à la dernière extrémité. À noter d'ailleurs que dans le cadre des ZFU, des renforts de police étaient prévus, et se sont révélés nécessaires(9): les cités choisies étaient aussi de hauts lieux de la criminalité, dans un état avancé de sécession. 
  
Pourquoi si peu de ZFU? 
  
          Pour les entreprises aussi il existe des conditions pour bénéficier des exemptions: moins de 50 salariés, et pour les entreprises déjà sur place, il faut qu'elles exercent leur activité sur le « marché local ». Je ne vous fais pas le détail car il existe bien sûr des tas d'exceptions, de cas particuliers, des seuils et des plafonds, des quotas et des limitations, et un tas d'interrogations: quid des entreprises qui grossissent, de celles qui réalisent un gros coup à l'étranger devenant « internationales », des salariés embauchés après telle ou telle date, des changements de législation en cours de route, des interprétations divergentes entre les URSSAF et les entreprises... 
  
          Bref, en apparence seulement, les ZFU sont des paradis fiscaux. Voilà peut-être pourquoi elles ont le soutien des hommes de l'État. Elles leur donnent un sentiment de pouvoir: grâce à leurs mesures « ciblées », aux « contrats » passés avec les entreprises, à leur grande magnanimité, des gens retrouvent un emploi auparavant interdit, des familles l'espoir, et des entrepreneurs réalisent leurs projets. Avec le pouvoir vient aussi la gloire, quand les politiciens interviennent pour trancher un litige entre une caisse d'URSSAF et une entreprise par exemple. Et au final, les ZFU ne concernent que peu de gens en France. Ils ne sont pas nombreux à goûter à la liberté, tout est sous contrôle. 
  
          On se demande pourquoi d’ailleurs il y en a si peu de ces zones franches. Une telle réussite ne devrait-elle pas être étendue à la France entière? Que nenni disent les hommes de l’État, les zones franches coûtent cher! Cette perception est liée à leur mode de calcul: pour eux, peu importe qu’une personne ait un emploi, soit tirée d’affaire, et sa famille avec. Dans les zones franches, les exonérations de charges sont pour l’employeur, le salarié continue de les verser. Les URSSAF prennent donc 20% de charges au lieu de 50%, et c’est donc pour l’État une « perte » de 30%. Curieux raisonnement, car sans la baisse des charges, aucun des emplois créés en zone franche n’aurait vu le jour. L’État est donc « gagnant » car sans les nouveaux emplois il verserait des subventions, des RMIs, des ASSEDIC, des allocations en tout sens à des chômeurs, au lieu de toucher « seulement » 20% de charges sur les salaires! Où est donc la perte? 
  
          Malheureusement, ce n'est pas pour demain que la France deviendra une vaste zone franche. L'expérience n'est pas concluante aux yeux des politiciens. Peut-être vont-ils étendre les zones actuelles, accepter de nouvelles ZFU, mais certainement pas baisser les impôts sur la France entière. Et puisque demain avec l'Union européenne on nous promet une « harmonisation » fiscale, c'est-à-dire un code fiscal unique pour l'Europe entière, et qu'une simple baisse de taux de TVA requiert l'accord de la commission de Bruxelles(10), on doute que les zones franches puissent s'étendre à un département ou une région entière. Imaginez donc un instant: la concurrence fiscale, enfer et damnation, la liberté, abomination de la désolation! Et le pire de tout? C'est que ça marche, et quelqu'un finirait par se rendre compte que finalement la principale cause de pauvreté, ce sont les impôts! 
 
 
1. Avant la CMU, 6 millions de personnes n'avaient pas de couverture maladie. Ils n'avaient pas non plus le droit de prendre une assurance privée d'ailleurs.  >>
2. Chambre de commerce de Lille, « Pacte de relance pour la ville ».  >>
3. L'Union des Républiques Socia... oops, pardon: Union de recouvrement des cotisations de sécurité Sociale et d'allocations familiales.  >>
4. Association pour l'emploi dans l'industrie et le commerce, en fait désigne les indemnités de chômage versées par l'ASSEDIC.  >>
5. Cf. rapport au Sénat: « Les zones franches urbaines: un succès et une espérance ».  >>
6. Ce nom pompeux désigne la réunion administrative des villes de Lille, Roubaix, Tourcoing, Wattrelos, Valenciennes.  >>
7. Pour plus de détails voir: « Les zones franches urbaines: L'intérêt de s'y implanter ».  >>
8. Nadia Lemaire, « Le Nord – Pas-de-Calais apprécie ses zones franches urbaines », Le Monde, 13 janvier 2003.  >>
9. Pierre ANDRÉ, « Les zones franches urbaines: un succès et une espérance » (Dans le domaine de la sécurité, l'État n'a pas tenu ses engagements), enregistré à la Présidence du Sénat le 11 juillet 2002.  >>
10. JP Raffarin avait promis aux restaurateurs de baisser la TVA pour eux. Le lendemain de sa prise de pouvoir, il avouait qu'il ne peut le faire car il doit demander à la commission de Bruxelles. Vive la démocratie!  >>
 
 
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