Montréal, 1er février 2003  /  No 118  
 
<< page précédente 
  
  
 
 
Christian Michel est propriétaire du site Liberalia.
 
PHILOSOPHIE LIBERTARIENNE
 
COMMUNISME ET POLITIQUE
 
par Christian Michel
 
 
          « La violence est inhérente au communisme, il suffit de lire Marx », écrivait récemment un membre d’une liste de discussion libérale. C’est l’occasion de préciser la position d'un libertarien.
 
Sortir de la politique 
  
          Marx est un immense et formidable penseur des rapports de domination. Mais, il s'agit justement de s'affranchir de toute domination. Il s'agit de sortir de la politique. Ce que proposent, si l'on y pense bien, les libéraux. 
  
          La politique consiste à définir une entité (la France, le Mali, l'Europe, la Ville de Nantes, etc.) et à décider comment, et par qui, elle sera gouvernée. La solution libérale inverse la proposition. Ceux qui se mettent d'accord sur le mode de gouvernement définissent une entité. Elle n'est pas donnée d'avance. Elle n'est pas territoriale. 
  
          Les sujets de Sa Majesté le Roi définissent son royaume; les membres du Parti communiste français définissent la Démocratie populaire française, comme les fidèles de l'Église catholique définissent l'étendue de la souveraineté du pape. C'est, à la lettre, la légitimation du pouvoir selon les Pères fondateurs américains, « le consentement des gouvernés ». Ceux qui ne consentent pas ne sont pas tenus. 
  
          Ils ne vont pas non plus « voir ailleurs ». Car je suis aussi bon français que n'importe quel autre (si cela a un sens). Mon appartement est à moi. Je suis ici chez moi. De quel droit peut-on me balancer: « Si vous n'êtes pas content, émigrez »? (Comme quoi, d'ailleurs, ces tyranneaux sont bien conscients du seul mode possible de résolution des conflits, qui est le droit de propriété, donc le droit d'exclure. Sauf qu'ils ne sont pas propriétaires de la France!) 
  
          Il faudrait donc, pour que cesse toute domination, que coexistent sur un même territoire toutes sortes d'entités gouvernées avec des régimes différents. Impensable? Délirant? Nous l'avons fait pourtant. Pendant un millénaire, de la chute de l'Empire romain aux édits de tolérance du 17e siècle, en Angleterre, en Hollande, en France, la légitimité du pouvoir était conférée par Dieu. L'onction divine pliait des peuples aussi différents que les picards, les bretons, les béarnais, les occitans, sous le sceptre d’un seul roi. La solution, évidemment, présupposait que les sujets croient au même dieu. Quelle loyauté en effet le Roi Très Catholique pouvait-il attendre d'un païen, qui n'allait pas en enfer pour être rebelle? 
 
     « Que les communistes s'organisent dans leurs communes et phalanstères, qu'ils affichent leur bonheur d'y vivre, et ils seront rejoints par des millions et des milliards de gens. D'irréductibles Gaulois continueront sans doute à échanger des biens entre eux contre dollars. En quoi gênent-ils? »
 
          Soudain, au 17e siècle, tout bascule. Alors que la religion imprègne encore profondément les mentalités et les usages, des gens de croyances différentes, et des libertins, vont partager le même territoire, le même immeuble, travailler ensemble. Il subsistera encore des déchirements, lorsque la jouvencelle juive ou catholique veut épouser un parpaillot, etc., mais on sait désormais trouver des arrangements avec le ciel. 
  
          Que s'est-il passé au 17e siècle? On a cessé de poser la question de la religion en termes politiques. Non pas que cette question fut vaine – on s'interroge sur Dieu encore aujourd'hui –, mais on avait compris que sur ce sujet on pouvait tomber d'accord de n'être pas d'accord. C'est-à-dire qu'on renonçait à une solution politique, qu'on devenait libéral. 
  
Communisme et capitalisme 
  
          Il ne m'intéresse pas de savoir si le communisme est plus « vrai » que le capitalisme. Ce débat est aussi stérile que l'étaient autrefois les « disputations » et controverses entre théologiens juifs, musulmans et catholiques. Personne n'a jamais convaincu l'autre. Le communisme est un bel idéal. Que les communistes s'organisent dans leurs communes et phalanstères, qu'ils affichent leur bonheur d'y vivre, et ils seront rejoints par des millions et des milliards de gens. D'irréductibles Gaulois continueront sans doute à échanger des biens entre eux contre dollars. En quoi gênent-ils? 
  
          Le capitalisme ne s'oppose pas au communisme. Le capitalisme s'oppose à la violence. Les communistes, fascistes, démocrates, monarchistes, islamistes, n'ont pas à prouver que leur système est supérieur. Les libéraux n'ont pas besoin d'être convertis pour leur reconnaître le droit de le pratiquer. C'est en cela que nous sommes libéraux. Alors la question aux non-libéraux est: Si vous avez le droit de vivre comme vous l'entendez, qu'est-ce qui vous motive de prendre les armes contre ceux qui souhaitent vivre autrement? Comment légitimez-vous votre guerre contre ceux qui vous laissent en paix? 
  
          Alors, non, la violence n'est pas inhérente au communisme. Pensez aux monastères, aux kibboutz, et tout simplement aux familles, dont les membres mettent leurs ressources en commun. La violence n'est inhérente qu'à la politique. Ce qu'il faut combattre n'est pas le communisme, ni aucune autre idéologie, mais la traduction politique de cette idéologie. 
  
 
Articles précédents de Christian Michel
 
 
<< retour au sommaire
 PRÉSENT NUMÉRO