Montréal, 15 mars 2003  /  No 121  
 
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Gilles Guénette est diplômé en communications et éditeur du QL.
 
LIBRE EXPRESSION
  
UN PLAN D'ACTION POUR ACCROÎTRE LA PAUVRETÉ ET LA DÉPENDANCE
 
par Gilles Guénette
 
 
          « On a besoin de gains réalistes, concrets, clairs pour que les personnes puissent continuer à croire qu'il y a des changements possibles et dans leur vie et dans notre société, parce qu'on vit aux confins d'un désabusement total des personnes. » 
 
          Ces propos sont de Jeannelle Bouffard, directrice du Cap St-Barnabé, un carrefour alimentation-partage faisant partie du Comité de justice sociale de la Conférence religieuse canadienne. C'était lors des audiences publiques sur le projet de loi no 112 (Loi visant à lutter contre la pauvreté et l'exclusion sociale), le 30 octobre dernier.  
  
          Il semblerait que les commentaires du genre proférés lors de ces audiences aient porté fruit, puisque cette loi a été adoptée. Le gouvernement dispose maintenant de quelques semaines pour présenter son plan d'action qui sera doté d'un budget de 1,5 milliard de dollars sur cinq ans. Mille cinq cent millions $ pour combattre la pauvreté chez quelques milliers de personnes, nous ne sommes pas les plus lourdement taxés en Amérique du Nord pour rien! 
  
Inclure les exclus 
 
          Ce plan, aux dires de la ministre d'État à la Solidarité sociale, à la Famille et à l'Enfance, Linda Goupil, sera constitué de programmes existants – certains étant améliorés, d'autres pas... – et d'un train de nouvelles mesures visant à ce qu'une personne, ayant besoin d'aide, « ne se retrouve pas entre deux chaises parce qu'elle ne cadre pas dans les critères de tel ou tel programme. » (La Presse, 6 mars 2003) 
  
          Il comportera des mesures de soutient qui s'adressent à la petite enfance (lire, aux mères monoparentales), aux familles dans le besoin (lire, aux femmes monoparentales à revenu modeste), ainsi qu'aux travailleurs de 45 ans et plus qui perdent leur emploi (lire... enfin, vous voyez le pattern). 
  
          Avec ce plan de lutte, Québec étend encore un peu plus la définition de « personnes assistées sociales » pour y inclure plus de monde – sans doute est-ce pour rencontrer les exigences du volet de « lutte à l'exclusion sociale » de la loi! 
  
     « Ce plan d'action pour combattre la pauvreté et l'exclusion sociale ne luttera pas contre la pauvreté et l'exclusion, il luttera en fait contre l'enrichissement de tous et la responsabilisation de chacun. »
 
          En ce moment, les personnes « qui travaillent au salaire minimum, qui gagnent dignement leur vie, [mais qui] se retrouvent les mains vides après avoir payé leur loyer, leur transport et leur nourriture » ne peuvent bénéficier de certaines mesures d'aide déjà existantes, de souligner Mme Goupil. « On va faire en sorte qu'elles aient du soutien. » 
  
          Pour ce faire: 
  • Le programme Solidarité-Jeunesse – une sorte d'assistance sociale pour jeunes de 18 à 21 ans –, sera « amélioré » pour inclure les 16 à 24 ans et pour « récupérer des jeunes décrocheurs qui se retrouvaient entre deux chaises. » Nos jeunes pourront ainsi s'écraser sur une seule chaise et tranquillement recevoir leur chèque à partir de 16 ans! Progressiste en effet!

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  • Le programme Ma place au soleil – une autre forme d'assistance sociale, mais réservée aux jeunes filles de 18 ans ou moins (c'est de la discrimination ça!) qui, du jour au lendemain, se retrouvent mères, ou qui sont sur le point de le devenir – sera lui aussi « amélioré » pour être intégré au plan d'action. Ce programme vise à mieux « encadrer » ces jeunes femmes à l'aide de compétents professionnels de la santé et de leur donner accès à un service de garde. Tellement occupées les jeunes filles, pas le temps de s'occuper de leurs rejetons...

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  • Le retrait d'une pénalité de 50 $ pour les personnes assistées sociales qui, pour quelque raison que ce soit, partagent un logement – mesure en vigueur depuis le 1er janvier –, sera renouvelé sous le plan d'action. Une disposition qui coûte annuellement 52 millions $ au trésor public (c'est-à-dire, à vous et à moi).

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  • Un « revenu de solidarité » sera instauré pour les travailleurs/euses qui disposent d'un revenu jugé trop modeste. Le niveau de ce revenu sera déterminé par un comité consultatif – et sans aucun doute noyauté par les groupes de femmes et de pauvres – dont le principal mandat sera de conseiller la ministre sur ces questions.
Déshabiller Pierre pour habiller Paul 
  
          Ce plan d'action pour combattre la pauvreté et l'exclusion sociale – même s'il a été légèrement modifié lors du dépôt du budget de la ministre d'État aux Finances, Pauline Marois, le 11 mars dernier(1) – ne luttera pas contre la pauvreté et l'exclusion, il luttera en fait contre l'enrichissement de tous et la responsabilisation de chacun. 
  
          Comme l'argent ne pousse pas dans les arbres – faut-il le rappeler! –, il ira chercher encore plus d'argent dans les poches des contribuables et des entrepreneurs qui triment dur pour, eux aussi, joindre les deux bouts. Cet argent sera ensuite redirigé en partie (l'État s'en garde toujours un peu) vers les poches des plus démunis. Résultat? Nous nous retrouverons tous un peu plus pauvres, pour que les pauvres se sentent un peu plus riches.  
  
          Je dis bien « pour qu'ils se sentent un peu plus riches » parce que la plupart n'y verront sans doute aucune différence... Leur situation ne s'améliorant pas. Les seuls qui y verront une différence, ce sont nos politiciens « progressistes » et leur cote de popularité auprès des électeurs. Le gouvernement Landry – détenteur du porte-feuille collectif –, ne peut qu'aller se chercher quelques votes supplémentaires avec un tel déploiement de bons sentiments. Ça fait cher du vote, mais bon... c'est nous qui payons. 
  
          En plus d'appauvrir tout le monde financièrement, ce plan d'action va augmenter encore un peu plus la dépendance envers l'État des gens qui sont déjà dépendants tout en invitant tous ceux qui ne le sont pas encore – et qui répondent à des critères de moins en moins discriminatoires –, à le devenir.  
  
          L'État-pusher va ainsi « récupérer » encore plus de jeunes en les « aidant » à faire ou à continuer de faire des choix irresponsables – tomber enceinte à 16 ans, décrocher de l'école avant 16 ans, quitter le foyer maternel, prendre un loyer qu'on ne peut se payer, et cetera. 
  
          Beau programme de société! Bel avenir en perspective! 
  
          Le politicien, en « aidant » tout le monde et sa voisine, ne vise en fait qu'une chose: s'aider lui-même. À nos frais. Le fait qu'une telle annonce tombe à quelques jours du déclenchement d'une campagne électorale n'est pas anodin. Le fait qu'elle s'inscrive en plein dans les nouvelles « obsessions » du premier ministre – famille, enfants et conciliation famille/travail – ne l'est pas plus. 
  
 
1. Voici, tirées de l'édition du 12 mars du Devoir, quelques réactions de « représentants » des pauvres: « Où est le 1,5 milliard sur cinq ans que le gouvernement avait promis aux démunis? Le constat qu'on fait, c'est que ce sont des miettes. On n'a pas une mise en application sérieuse de la loi », a lancé Vivian Labrie, porte-parole du Collectif pour une loi sur l'élimination de la pauvreté, au Devoir. « Je suis amèrement déçu. Toutes les mesures qu'on espérait sont absentes de ce budget. Donc, pour moi, la loi adoptée en décembre, ce n'est qu'un répertoire de beaux grands principes », a quant à lui affirmé François Saillant, coordonnateur du Front d'action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU). Nicole Jetté, du Front commun des personnes assistées sociales du Québec, estime également que le budget est décevant. « Ce que le gouvernement dit aux gens, c'est: "Contentez-vous du rêve qu'il y a dans la loi." En 2003, on dit aux parents: "Continuez à avoir faim, continuez à vous appauvrir" », a-t-elle affirmé au Devoir>>
 
 
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