Montréal, 10 mai 2003  /  No 124  
 
<< page précédente 
  
  
 
  
Jean-Luc Migué est Senior Fellow de l'Institut Fraser et auteur de Le monopole de la santé au banc des accusés, Montréal, Éditions Varia, 2001.
 
ÉCONOMIE POLITIQUE
 
RÉFLEXIONS SUR LA QUESTION INDIENNE *
  
par Jean-Luc Migué
  
  
          Le gouvernement fédéral entend bientôt légiférer un transfert supplémentaire de pouvoirs aux chefs et aux conseils de bandes, transfert conditionné à la réforme des règles électorales et administratives dans les réserves. Le principe est louable; l'histoire et l'analyse cependant invitent à la prudence. Le projet ne va pas au fond du problème.
 
État de la situation 
  
          La société indienne vit dans une pauvreté abjecte; elle souffre de pathologies sociales et physiques dramatiques. Le taux de tuberculose dans les réserves est cinq fois plus élevé que la moyenne nationale. Près de la moitié des Indiens tirent leur principale source de revenu de l'État canadien. Le taux de suicide chez les jeunes s'inscrit près du sommet mondial pour un groupe culturel particulier. L'alcoolisme est un phénomène généralisé dans les réserves et le chômage atteint les 30%. 
  
          Le Rapport de la Commission sur les peuples autochtones (1996) avait offert la vision conventionnelle de la question indienne et exprimé sa foi naïve dans la conciliation idéalisée entre culture traditionnelle et développement économique. Or l'idéal de perpétuer la culture aborigène et de promouvoir simultanément le développement économique est une chimère. La culture indienne associée à la pêche et la chasse n'existe plus parce que les Indiens ont abandonné ce mode de vie. Et de toute façon, ils n'en veulent plus. On sait d'autre part qu'aucune société au monde n'a réussi à s'extraire du sous-développement sans s'intégrer à l'économie mondiale. 
  
          Les institutions canadiennes qui encadrent la vie sociale autochtone, prisonnières de la vision conventionnelle, continuent de promouvoir la protection de la culture indienne, en particulier en favorisant la résidence sur les terres ancestrales. Ce choix soustrait la famille indienne (enregistrée) à la fiscalité sur les terres, sur le revenu et sur les biens et services. Le coût d'une nouvelle habitation dans une réserve est assumé par le ministère. 
  
          Au total, le gouvernement fédéral dépense environ 7 milliards par année en faveur des Indiens, soit près de 70 000 dollars par famille, dont 90% est géré par les chefs ou les conseils bandes. Comme le Rapport, le chef national de l'Assemblée des Premières Nations, Matthew Coon Come, appelle à l'amplification des transferts fédéraux et des pouvoirs en faveur des bandes. Le Rapport recommande l'addition de 40 milliards de dépenses en 20 ans. Le régime dissuade donc les autochtones de se chercher un emploi là où il s'en trouve, c'est-à-dire ailleurs que dans les réserves. 
  
État-providence 
  
          Au Canada, l'état plutôt lamentable de la société indienne offre l'illustration vivante de l'aboutissement de l'État-providence poussé à sa limite. Le délabrement de cette communauté ne provient manifestement pas du manque d'argent. En 1997, 43% des familles indiennes vivaient de l'assistance sociale; le chiffre atteignait 85% dans les provinces atlantiques. La famille indienne touche en moyenne, en exonérations fiscales, en espèces et en biens nature, des dizaines de milliers de dollars par année du produit de la coercition fiscale générale. Cette surabondance paternaliste s'ajoute aux générosités et aux « gratuités » que l'État-providence prodigue déjà à l'ensemble des Canadiens en transferts de toutes sortes par les provinces. En matière d'accès aux richesses foncières, les Amérindiens sont en un sens choyés relativement aux Blancs: ils ont la jouissance de dizaines d'acres chacun. Certaines estimations fixent à 60 acres par famille la superficie des terres non contestées auxquelles les autochtones ont accès. 
  
     « Au Canada, l'état plutôt lamentable de la société indienne offre l'illustration vivante de l'aboutissement de l'État-providence poussé à sa limite. Le délabrement de cette communauté ne provient manifestement pas du manque d'argent. »
  
          Comment expliquer qu'une société soit si mal en point, alors qu'on a mis tant d'argent à résoudre les problèmes? La réponse est que chez les Indiens, comme dans les pays de l'Est et plus qu'ailleurs en Occident à cause de son ampleur extrême, l'État-providence a failli à la tâche non seulement de supprimer la pauvreté, mais surtout de favoriser l'épanouissement des individus. En réalité, l'État-providence a retardé l'accession des Indiens au développement, en suscitant la montée d'une vaste « underclass » de dépendants sociaux, étrangers à la famille stable, au travail stable et à l'initiative. 
  
          Là ne s'arrêtent malheureusement pas les dégâts de la politisation outrancière de la société amérindienne. Un deuxième aménagement institutionnel peut-être plus néfaste que l'État-providence, soit la négation du droit de propriété individuelle du sol dans les réserves indiennes du Canada et (dans une moindre mesure) des États-Unis, a eu des conséquences désastreuses. L'individu ou la famille indienne n'est pas légalement propriétaire de la terre qu'il exploite. Ce statut est même incorporé à la Constitution canadienne de 1982. Il en est donc privé du contrôle, dont celui de la libre disposition. C'est « la collectivité » qui en garde la propriété et la gestion, un peu comme sur les fermes collectives du régime soviétique et sur les terres des populations pauvres des pays sous-développés. 
  
          Notons que le schéma qui inspire les institutions autochtones répond parfaitement aux caractéristiques que l'économiste péruvien Hernando De Soto associait au délabrement du Tiers Monde. Et les restrictions juridiques à la libre disposition des terres s'appliquent autant (sauf exceptions) aux ventes entre Indiens qu'à l'aliénation en faveur des Blancs. Cette disposition enlève donc toute validité à la thèse de la sauvegarde du caractère particulier de la société indienne. 
  
Politisation et domination des chefs 
  
          Depuis la concession de l'autonomie gouvernementale par la loi de 1999, qui sera renforcée par le projet fédéral en plan, les conseils de bandes gèrent environ 90% des 7,3 milliards $ qui leur sont alloués par la prodigalité d'Ottawa. On notera aussi que l'institution de ce récent niveau d'administration repose essentiellement sur le fait d'appartenir à la « race » indienne. 
  
          Comment comprendre cette option politique? En identifiant les groupes socio-économiques susceptibles d'y gagner au détriment de la masse. Or le régime collectiviste qui encadre les réserves a profité à deux catégories principales: les bureaucrates du ministère des Affaires indiennes et les élites locales et nationales chez les Indiens. L'élite minoritaire détermine à la fois l'allocation et la distribution de la richesse. Cette logique implacable s'avère d'autant plus malheureuse pour la population indienne que l'élite politique chez elle n'est pas élue. 
  
          Le problème indien découlant du collectivisme, la solution optimale à la question amérindienne est la même que celle qu'on cherche à appliquer en Europe de l'Est: abolition du collectivisme, restauration de la propriété individuelle sur les terres par la redistribution des terres actuelles entre les Indiens, libre disposition des terres devenues propriétés individuelles, suppression progressive des programmes publics de bien-être spécifiques aux Indiens, ou à tout le moins allocation aux familles indiennes des sommes gigantesques confiées aujourd'hui aux conseils de bandes. 
  
          Le traitement fiscal privilégié par lequel les réserves sont soustraites à toute forme de taxation devrait aussi être aboli. Comme étape première de la responsabilisation des leaders indiens, les bandes seraient dès lors appelé à lever une part substantielle de leur revenu de leurs propres administrés. Il faut savoir gré à Tom Flanagan de nous avoir rappelé ces principes élémentaires dans son livre Premières Nations, Second Regard, qui vient de paraître en français. 
  
  
* Ces réflexions ont été présentées lors d'un débat public au Salon du Livre de Québec, le 11 avril 2003, à l'occasion de la publication de la version française du livre First Nations? Second Thoughts de Tom Flanagan, sous le titre Premières Nations, Second Regard.
 
 
Articles précédents par Jean-Luc Migué
 
 
<< retour au sommaire
 PRÉSENT NUMÉRO