Montréal, 13 septembre 2003  /  No 128  
 
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André Dorais a étudié en philosophie et en finance et vit à Montréal
 
ÉTHIQUE LIBERTARIENNE
 
LA PHILOSOPHIE ÉCONOMIQUE 
DE LUDWIG VON MISES*
 
par André Dorais
  
  
          Ludwig von Mises a été, à mon humble avis, le plus grand économiste qui ait existé. Malgré cela, il demeure largement méconnu, y compris des économistes. C'est que Mises a une conception différente de l'économie de celle enseignée à l'université. Sa conception de l'économie repose sur une approche philosophique, plus précisément la philosophie de l'action. Elle se distingue par l'utilisation de la logique pour décrire son objet de recherche, alors que l'économie populaire utilise plutôt les mathématiques.
 
          Il suffit d'aborder sa théorie de la valeur pour réaliser à la fois combien elle bouleverse la compréhension dominante et les décisions qui s'en suivent. Pour Mises, la théorie de la valeur s'applique à l'action humaine en tout temps et en tout lieu. Lorsqu'elle se confine à l'action guidée par le calcul économique, on parle plutôt de théorie économique. Autrement dit, la théorie économique n'est qu'une partie de la théorie de la valeur qui est au coeur de l'action humaine. En ce sens, Mises élargit la sphère de l'économie en la transformant d'une étude de « l'homme qui calcule » en une étude de « l'homme qui agit ». 
  
          De par son attention portée à la théorie de la valeur, Mises ne s'est pas confiné à l'économie au sens strict, soit l'action guidée par le calcul, et de ce fait on se réfère à lui aussi bien comme philosophe que comme économiste. On pourrait également le qualifier de praxéologue, car cela décrit exactement ce dont il est question, soit l'étude de l'action qui vise un but. Mises lui-même utilisait ce terme pour décrire ses recherches, quoique avec une certaine réticence. 
  
La subjectivité de la valeur 
  
          La caractéristique fondamentale de la valeur est d'être subjective. Elle exprime des sentiments pour lesquels il n'existe pas de commune mesure, pas de comparaison possible entre les individus. La praxéologie a pour but non pas d'étudier l'origine et le contenu des valeurs, mais bien ce qui découle des choix qu'on fait sur la base de ces valeurs. Cela diffère radicalement des économistes populaires qui croient que la valeur est objective, c'est-à-dire qu'elle peut être calculée. On ne mesure cependant pas les valeurs comme on mesure les prix, les deux sont différents. Les prix se calculent, mais les valeurs s'ordonnent par ordre de priorité. On doit utiliser une mesure cardinale pour exprimer les premiers, alors que les secondes se mesurent de façon ordinale. 
  
          On ne peut pas dire qu'une pomme a la même valeur qu'une orange parce qu'on les aurait payées le même prix. Celui qui désire absolument la dernière pomme qui reste sur l'étalage sera prêt à payer davantage pour se la procurer. La valeur est liée au choix que désire faire chaque individu. Elle est nécessairement relative, c'est-à-dire qu'elle dépend de la perspective individuelle, du temps et du lieu où le choix est exercé. Puisqu'elle est toujours changeante, elle se prête mal à une formulation mathématique qui rend mieux compte des objets inanimés. 
  
     « Aucun régime socialiste ne peut allouer ses ressources selon un calcul rationnel du point de vue économique, car il n'y a effectivement plus d'économie. Il n'y a que des décisions bureaucratiques imposées de façon coercitive. »
 
          Cela ne signifie pas que les prix soient sans importance; au contraire, sans eux on ne peut calculer ce qui doit l'être. Et la propriété est le fondement essentiel de ce calcul. Lorsque la propriété est abolie il devient impossible, nous dit Mises, de faire des choix économiques éclairés. C'est pourtant ce qu'ont essayé de faire les régimes socialistes. En effet, ce qui caractérise ce régime est le contrôle unifié des biens de production, c'est-à-dire que l'État en est le seul propriétaire. 
  
          Or, lorsqu'il existe un seul propriétaire, les biens ne peuvent être échangés contre monnaie, et lorsqu'il n'y a pas d'échange, les prix des biens ne peuvent être déterminés. On ne peut donc connaître la demande réelle pour un bien, ni la quantité de ressources qui doivent être consacrées à sa production, par opposition à celle d'autres biens. Ainsi, aucun régime socialiste ne peut allouer ses ressources selon un calcul rationnel du point de vue économique, car il n'y a effectivement plus d'économie. Il n'y a que des décisions bureaucratiques imposées de façon coercitive. 
  
          Dans nos régimes mixtes ou sociaux-démocrates, nous faisons face au même problème dans les secteurs d'activités où la propriété est abrogée ou fortement contrôlée par l'État, tels les secteurs de l'électricité et de la santé. Vous aurez beau embaucher des économistes pour qu'ils découvrent la bonne façon d'allouer les ressources, la crise survient inévitablement. Il n'y a pas de prix établi librement, mais le corollaire est qu'il y a beaucoup d'impôt à payer forcément! 
  
          Bref, l'économiste populaire tente de calculer la valeur incalculable, prétend calculer sans l'aide des prix et utilise des formules mathématiques pour rendre compte de l'action humaine qui est mieux servie par la logique. L'utilisation des chiffres n'est pourtant pas la seule approche scientifique possible. L'économiste qui applique des formules mathématiques sans se soucier de savoir s'il n'existe pas d'autres outils plus appropriés pour décrire son objet de recherche ne fait pas de la science. 
  
          Ludwig von Mises offre une conception de l'économie qui colle à la réalité. Pour lui, la science est à distinguer du pouvoir politique et la politique de la science. Il va sans dire qu'avec de telles perspectives, il n'a jamais été très apprécié de ses collègues économistes et des dirigeants gouvernementaux. 
  
  
* Ce texte est un résumé personnalisé de l'introduction à Epistemological Problems of Economics de Ludwig von Mises, écrite par Jörg Guido Hülsmann.
 
 
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