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Montréal, 13 septembre 2003 / No 128 |
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par
Henri Lepage
Nous reproduisons ici un extrait de Demain le capitalisme à l'occasion du 25e anniversaire de sa publication. Cet essai présentait pour la première fois au public francophone les travaux des nouveaux économistes libéraux et libertariens américains de l'École de Chicago, de l'École des choix publics, et de l'École autrichienne. Dans une entrevue dont la deuxième partie est publiée dans ce numéro (voir aussi la première partie), l'auteur Henri Lepage nous offre ses réflexions sur ce livre et sur l'évolution des idées libérales depuis un quart de siècle. Cette section de Demain le capitalisme intitulée
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Traditionnellement, l'analyse économique traite le consommateur comme un agent final. C'est un individu qui gagne un certain revenu, est doté d'un certain nombre de besoins ou de désirs qu'il essaie de satisfaire en achetant sur le marché un certain nombre de biens et de services, dans la limite du pouvoir d'achat qui est le sien. Bien que, conformément au postulat de départ de toute la théorie économique, ce soit un être rationnel, calculateur et maximisateur, son rôle est très passif. Il se contente d'agencer son Moyennant quoi, la théorie économique prend les besoins et les désirs comme des données exogènes. Les économistes laissent aux sociologues et aux psychologues le soin d'expliquer comment se forment ces désirs, et comment ils évoluent. Leur seul problème est d'analyser comment l'appareil de production répond aux modifications de la structure des besoins. Un point c'est tout. On ne se demande pas s'il existe des interrelations entre la façon dont se forment ou évoluent les revenus et précisément cette structure des besoins. Les comportements de l'individus vis-à-vis du travail, de l'éducation, de la santé, etc., sont considérés indépendamment de ses attitudes de consommateur et ses choix de consommation. L'Homo rationalis de l'économiste est alors bel et bien cet homme tronçonné, découpé en rondelles, dont Jacques Attali a dénoncé la caricature dans son livre L'Anti-économique. En 1964, Gary Becker publie la première édition de son traité: Human Capital, a Theoretical and Empirical analysis. L'année suivante paraît dans l'Economic Journal son article Une dizaine d'années plus tôt, en développant le concept de On n'achète pas une voiture pour la voiture elle-même, explique en quelque sorte Gary Becker, mais pour les services ou les satisfactions dont elle est le support: on achète non pas une automobile, mais le moyen de pouvoir se déplacer commodément d'un point à un autre, ou encore le moyen de Dans cette optique, le consommateur n'est pas seulement un être qui consomme; c'est un agent économique qui N'importe quel acte individuel est ainsi considéré comme un acte économique conditionné par deux contraintes: le budget monétaire de l'individu et son Cette introduction du temps dans l'analyse des activités de l'individu est l'élément clé de cette nouvelle théorie. Elle débouche en effet directement sur trois considérations essentielles: – Elle permet d'expliquer l'apparente passion irrationnelle de notre société pour l'accumulation d'objets. La prise en compte du temps en tant que ressource rare pose le problème de sa valeur. Quelle est la valeur individuelle du temps? L'économiste répond à cette question en expliquant que cette valeur est celle du salaire de l'individu; c'est-à-dire que le prix du temps est égal au revenu monétaire supplémentaire que ce temps lui aurait rapporté s'il l'avait consacré à travailler. Prenons un exemple. Lorsque nous passons deux heures à table, nous en tirons une satisfaction qui est celle que nous accordons à la jouissance d'un bon repas que nous avons eu le temps de déguster. Cette satisfaction nous a coûté le prix des aliments et des vins que nous avons achetés pour réaliser ce repas. Mais elle nous a coûté également le prix du temps passé, d'abord à faire la cuisine, puis à déguster les mets. Si nous avons passé au total quatre heures à la réalisation de ce repas, son prix n'est pas seulement les 50 francs d'aliments et de boisson qui ont été nécessaires; il faut y ajouter les quatre heures de revenu supplémentaire dont nous avons fait délibérément le sacrifice, et qui nous auraient apporté les moyens monétaires de nous offrir d'autres types de satisfaction. L'économiste dira que la valeur de cette ressource rare qu'est le temps est son
Posons-nous maintenant la question de savoir ce qui se passe dans une société comme la nôtre où la productivité ne cesse de croître. Cette croissance de la productivité entraîne une augmentation des salaires réels perçus par les individus. Chaque heure de travail apporte au salarié les moyens de s'offrir un volume croissant de biens et de services; donc la possibilité d'obtenir un volume de satisfactions lui aussi croissant, à unité de temps constante. Résultat: le Lorsque le prix d'une ressource augmente par rapport au prix des autres ressources, avec lesquelles cette première ressource est combinée pour obtenir un Au niveau du consommateur-(producteur), la hausse de la valeur du temps produit un effet de substitution analogue: le consommateur est incité à se montrer plus économe de son temps. Pour maximer son La plupart des produits et services que nous consommons aujourd'hui – notamment nombre d'objets que l'on considère a priori comme des gadgets – correspondent ainsi à une politique d'économie de temps. C'est pourquoi, notamment, notre société est de plus en plus fortement consommatrice de services. C'est pourquoi aussi nous accumulons de plus en plus d'objets: le prix des biens et des objets diminuant relativement au prix du temps, le consommateur moderne est conduit à utiliser de plus en plus d'objets par unité de temps. Comme l'explique Jean-Jacques Rosa(1): Traditionnellement, on considère que la mutation des modes de consommation provient tout simplement de l'apparition de La hausse continue du prix du temps aboutit en effet à placer le consommateur dans la situation d'une entreprise qui voit en permanence se modifier les prix relatifs de ses facteurs de production. Cette firme répond à cette évolution en ajustant ses techniques de production, en achetant plus de machines, en remplaçant telle machine par telle autre plus efficace, etc. Il en va exactement de même du consommateur. Pour réaliser les mêmes préférences, celui-ci substitue de nouveaux achats à d'anciens achats, pour la seule raison que les nouveaux produits achetés, compte tenu de la nouvelle valeur du temps, seront plus efficaces pour satisfaire au meilleur coût ses besoins (qui sont toujours les mêmes, de la même façon que l'entreprise fait évoluer sa technologie pour rendre à son client le même service au coût le plus bas possible). Ce qui change, ce n'est pas la structure des besoins du consommateur, mais les moyens de les satisfaire. Par exemple, l'utilisation de l'avion ne signifie pas qu'est né un nouveau besoin spécifique Autrement dit, qu'un même individu à deux moments différents de son existence ait une structure de consommation différente ne signifie pas nécessairement que ses besoins aient changé. Cette transformation dans son comportement de consommateur peut très simplement s'expliquer par les mouvements qui, entre les deux instants, ont modifié les différents équilibres prix-revenu de son activité domestique. De la même façon, lorsque deux individus ont des comportements de consommateurs différents, cela ne signifie pas nécessairement que leurs besoins sont profondément différents. Cela traduirait davantage des différences dans leur capacité à produire de façon plus ou moins efficiente les plaisirs qu'ils recherchent. Les différences de comportement entre différentes catégories socio-économiques seraient ainsi moins le reflet de goûts différents que le résultat de différentes efficacités productives qui conduiraient chacun à satisfaire les mêmes désirs en utilisant seulement des L'ensemble des comportements humains et sociaux s'expliquerait ainsi, non pas par des modifications exogènes de besoins et de goûts, mais par les modifications relatives affectant dans le temps et dans l'espace les prix et les revenus des ménages. De la même façon, la multiplication de la variété des produits offerts aux consommateurs, si caractéristique de notre société, ne serait pas la conséquence d'une prolifération soudaine de besoins nouveaux, mais le résultat d'une productivité croissante qui accroît la diversité des – Enfin cette prise en compte du facteur 1. Jean-Jacques Rosa, « Vrais et faux besoins », dans L'Economique retrouvée, I.E.P., 1977. >>
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