Montréal, 27 septembre 2003  /  No 129  
 
<< page précédente 
  
  
 
Erwan Quéinnec est maître de conférences en sciences de gestion à l'Université Paris XIII.
 
FONDEMENT DU LIBÉRALISME
  
L'ÉCOLOGISME OU LA FULGURANTE ASCENSION D'UN ANTI-HUMANISME RADICAL
 
par Erwan Quéinnec
  
  
          Parmi les fantasmes idéologiques qui, aujourd'hui, menacent le plus vigoureusement les quelques principes de liberté individuelle sur lesquels nos sociétés occidentales peuvent encore s'appuyer, figure, en bonne place, l'écologisme. Nous devons aujourd'hui vivre, penser, agir « écologique », ce qui implique de « respecter l'environnement », de faire attention à notre santé, d'être gentil avec son prochain et de se comporter en bon citoyen. On pourrait égrener à l'envi les symptômes d'une lancinante dictature hygiéniste et « civiste » imposant la sacro-sainte volonté de l'intérêt général et du bien collectif à « l'individualisme » échevelé dont chacun de nous se rendrait constamment coupable. De ce point de vue, la rhétorique écologiste – et non la problématique écologique – occupe le devant d'une scène chargée. La voilà, sans doute, la nouvelle illusion planiste, l'exact contrepoint à la fantasmagorie marxiste: aux rêves d'expansion et de satiété économique du communisme, substituons l'impératif malthusien de continence économique dont procède l'écologisme, pour le plus grand bonheur de tous. 
 
          Cette idéologie n'est évidemment pas nouvelle – Malthus était un écologiste avant l'heure – mais son succès semble, aujourd'hui, atteindre une sorte de zénith. C'est en effet dans les écrits du Club de Rome (années 1970) que l'idéologie verte trouve ses fondements les plus « solides ». Certes, aujourd'hui, l'écologisme est un « courant d'idées » syncrétique, à la faveur d'une évolution politicienne exigeante en prises de position systématiques sur tous les sujets de l'existence humaine; l'écologie politicienne ne se cantonne donc pas aux problèmes d'environnement. Elle a progressivement prospéré sur une sorte de magma idéologique constellé de chimères et d'incohérences, permettant au gauchisme d'antan de reverdir quelque peu. Toutefois, c'est bel et bien sur la question de l'environnement que l'écologisme a bâti son succès d'estime intellectuel puis sa relative popularité électorale. Et c'est sur cette question, entre toutes, qu'il convient de le passer au scanner de l'esprit critique.
 
          L'idéologie du Club de Rome tient en quelques thématiques fortes, qui se déclinent en un projet de société particulièrement « audacieux »: programme de ralentissement (pour ne pas dire d'arrêt) de la croissance économique sur la base de prédictions purement et simplement apocalyptiques (Nostradamus est un enfant de choeur à côté de cette chapelle là!), rêve d'une société « communautaire » et frugale (qui n'est pas sans évoquer les utopies de Saint-Simon et Fourier), eugénisme militant, le tout fondé sur une sorte de théorie de la stabilité écosystémique à laquelle nos principes d'organisation socio-économique dérogeraient de manière dévastatrice. La nouvelle société écologiste se bâtit à coup d'impôts et de réglementations coercitives (pardon pour ce pléonasme), cela va sans dire.
 
          Les questions que pose cette idéologie sont, à mon sens, de quatre ordres:
  • D'abord, que valent les prédictions apocalyptiques des théoriciens écologistes? 
  • Ensuite, que vaut le programme d'organisation socio-politique que propose cette idéologie? 
  • Si problème écologique de « croissance économique » il y a, à quoi cela est-il dû? 
  • Enfin, quel est le système social le plus à même d'optimiser les deux aspirations apparemment contradictoires que constituent la hausse du niveau de vie des individus, d'une part, la préservation de l'environnement, d'autre part?
          Cet article se propose de critiquer l'idéologie verte dans ses fondements mêmes et n'abordera donc que les deux premiers points évoqués. Les deux derniers points, de facture plus positive, seront discutés dans des articles ultérieurs. 
 
L'apocalypse pour demain
 
          Il ne peut plus aujourd'hui pleuvoir ni faire chaud sans que cela soit imputé aux déjections de nos industries. Demain, le climat prendra de 2°C à 20°C (la fourchette est assez large mais les inférences également catastrophiques), les océans déborderont, les sauterelles nous envahiront, les énergies fossiles disparaîtront, les épidémies se répandront, les explosions sociales se généraliseront. Bref, à côté des prédictions du Club de Rome (et de ses disciples), la Bible fait figure de conte pour enfants. À quoi ce déluge d'imminentes calamités est-il dû? À notre croissance, pour les uns (ce qui n'est pas bête mais un peu court, on le verra), à la mondialisation libérale, pour les autres (ce qui est inepte). Il convient donc, en toute rigueur scientifique, d'adresser à cet exercice prédictif, les trois objections de principe suivantes:
  
A) D'abord, d'un point de vue épistémologique, précisons que la science des écosystèmes et des climats est une discipline « transversale », faisant appel à moult savoirs et étant de ce point de vue aussi subjective que peuvent l'être les sciences sociales. Que cela signifie-t-il? Que l'écologie n'est pas une science « exacte » (pour peu qu'il y en ait, d'ailleurs) et qu'en conséquence, il n'est nullement surprenant que, sur la question des effets de l'industrialisation sur l'environnement, s'opposent un certain nombre de théoriciens spécialisés. Il convient de le rappeler à une époque où le « paradigme écologiste » fait office de dogme universel, paré de tous les atours d'un scientisme idolâtré par maints intellectuels en manque d'esprit critique. Et puisque la question de la science est indissociable des « conditions sociales de sa production » (pour reprendre une formule marxiste), rappelons cette particularité propre à toutes les idéologies constructivistes: la société qu'elles promeuvent propose toujours une place de choix à ceux qui en défendent et théorisent le principe. Si la corporation des économistes est majoritairement acquise au paradigme « macro-économique » keynésien, n'est-ce pas un peu parce que la théorie économique de Keynes leur donne le pouvoir de « faire l'économie » au détriment des entrepreneurs (et des individus en général)? N'en irait-il pas de même en matière d'écologie? Disons qu'a minima, il n'est pas interdit de le suggérer... 
 
B) En second lieu, toutes les tentatives de prospective socio-économique de facture « planiste » ont été, ces dernières années, démenties par des faits imprévus. On ne voit pas bien pourquoi il n'en irait pas de même pour l'apocalypse que nous promettent les écologistes. Ou plutôt si: il suffit de lire leurs écrits pour y déceler de si criantes lacunes théoriques qu'on comprend très bien pourquoi, aujourd'hui et malgré ce qui était prédit dans les années 1970, le pétrole existe encore à l'état naturel, par exemple. C'est que le postulat d'une « croissance exponentielle » procédant d'une sorte de fuite en avant généralisée bute – heureusement – sur un certain nombre d'effets autorégulateurs totalement mésestimés par nos théoriciens écologistes (j'y reviendrai). Toutefois, la prédiction apocalyptique ne peut, en soi, être rejetée par principe: je ne connais aucun auteur ayant clairement théorisé l'effondrement de l'empire soviétique (avant que celui-ci n'intervienne, cela va sans dire) mais, s'il existe, on ne peut pas dire que l'histoire lui ait donné tort... Cette précision est d'importance si l'on veut bien tenir compte des problèmes structurels de nos économies gangrenées d'étatisme et affectées en conséquence d'effets pervers potentiellement fatals à leur viabilité.  
 
En revanche, ce que l'on sait, c'est que la prospective est caduque, lorsqu'elle se limite à l'extrapolation de tendances antérieures, dans un monde où les individus bénéficient d'un certain degré de liberté (qui peut même être très réduit); ce qui n'est évidemment pas le cas d'une théorisation qui, se basant sur un certain nombre d'attributs psychologiques consubstantiels à l'être humain, peut receler de véritables trésors de prédiction. Ce n'est donc pas sur un travail d'extrapolation statistique qu'il faut prédire l'avenir socio-économique mais sur une réflexion fondamentale (une théorie) portant sur les rapports de l'homme à son... environnement. Si les planistes de tous bords avaient conscience de ce que cela induit, ils sauraient en conséquence que le meilleur parti à tirer de leurs prévisions, c'est 1) d'analyser pourquoi elles s'avéreront presque à tout coup fausses et 2) de renoncer à orchestrer le changement social de manière « constructiviste », puisque la planification centralisée – quelle qu'elle soit – débouche toujours sur des effets déjouant le plan initial (pour des raisons très bien analysées par la théorie économique). Or, bien sûr, l'idéologie écologiste relève de cette fantasmagorie « planiste » dans des proportions proprement sidérantes... 
 
C) Les théoriciens écologistes prennent comme postulat que l'activité de production et de consommation humaines est la cause unique de la dégradation de l'écosystème terrestre. Voilà un présupposé idéologique qui devrait légèrement embarrasser les militants férus d'humanisme: l'écologisme est implicitement malthusien et impute à « l'humain » – sorte de termite massacreuse d'écosystèmes – la responsabilité du drame. L'idée selon laquelle l'activité productive de l'homme influe sur l'écosystème est évidemment recevable. Mais elle appelle un tantinet plus de nuances et d'interrogations qu'un verdict du type « la croissance et/ou la mondialisation libérale sont responsables de la dégradation de l'environnement(1) ». En effet, imputer la pollution à la « croissance », cela suppose que sans intervention humaine, les écosystèmes seraient immuables et la Terre, préservée. Outre qu'à ce que j'en sais, notre petite planète a connu un certain nombre de bouleversements climatiques qui ne doivent rien à notre activité industrielle (la glaciation, une broutille écologique...) et que certaines espèces animales ont disparu sans que cela ne nous affecte notablement (si l'on avait dû inférer de la disparition des dinosaures ce que certains nous promettent à l'évocation de l'extinction de telle ou telle espèce de lépidoptères, à quoi ressemblerions-nous aujourd'hui?...), je m'étonne toujours que les changements « constatés » en matière de climat ne soient pas connectés à ceux dont la structure physique de la Terre semble aussi affectée. Que je sache, les séismes, les éruptions volcaniques et la dérive des continents n'ont pas encore été imputés à la mondialisation libérale (mais cela viendra, sans doute). Mais alors, si la Terre est capable d'autonomie par rapport à l'usage que nous en faisons, pourquoi n'en irait-il pas de même en matière de climat? Et pourquoi – puisque la « science écologiste » se targue d'interconnexions, de transversalité, d'étude de la complexité – ces changements physiques ne seraient-ils pas connectés aux changements de nature climatiques (voire en seraient la « cause »)? 
 
          N'étant pas spécialiste du problème écologique dans sa dimension « physique » (ni, d'ailleurs et je le confesse bien volontiers, de manière générale), il est possible que mes questions sur le sujet soient naïves ou qu'elles soient abondamment traitées dans une littérature spécialisée hors de mon champ « d'expertise ». Il n'en reste pas moins qu'« expertise » n'est pas synonyme de « vérité ». Les questions ci-dessus procèdent donc d'un légitime esprit critique et surtout, quelle que soit la réponse qu'on y apporte, leur teneur ne change rien à la vacuité du paradigme écologiste envisagé dans sa dimension politique. 
 
          En effet, admettons que jusqu'ici, j'aie purement et simplement tort: l'activité économique est seule responsable de la dégradation avérée de l'environnement, elle est irréversible et aucun mécanisme « écosystémique » de régulation compatible avec la vie humaine(2) ne sera susceptible d'en atténuer les conséquences apocalyptiques. 
 
          Pourquoi, dès lors, ne pas tout simplement compter sur l'activité régulatrice de l'homme libre? Parce que l'écologisme ne lui accorde aucune autre place que celle d'une pure et simple nuisance; et qu'en conséquence, s'il est une espèce qui peut dépérir sans préjudice considérable pour la planète, c'est bien la nôtre... Or, la posture écologiste d'un « humain » exogène à l'écosystème est étrange et pour tout dire intenable. Un « pur » écologiste devrait même méditer la réflexion suivante: si l'homme est un animal poussé par sa nature à travailler, produire, consommer et vouloir s'enrichir, au nom de quel principe supérieur de nature, l'écologisme devrait-il l'en empêcher? Autant forcer un lion à manger de l'herbe... L'homme, donc, serait le seul animal à travailler en faveur de sa propre destruction et l'idéologie écologiste serait seule capable de le remettre sur le chemin du bon sens; avatar connu de tous ces intégrismes qui procèdent d'une construction du bien de l'individu malgré lui-même. Posture qui, à l'instar de toutes les idéologies planistes et coercitives, fait de l'écologisme un anti-humanisme radical.
 
          L'homme est, en réalité, partie prenante à l'écosystème et fait preuve, par rapport à ce dernier, de considérables capacités d'adaptation, via une notion fondamentale de sa condition animale: le travail. Dès lors, penser l'homme comme « destructeur d'environnement » est faux. L'homme est un modificateur d'environnement et parfois, d'une manière parfaitement conforme aux aspirations écologistes. C'est ainsi que l'homme est capable de transformer un désert en jardin (voir l'exemple d'Israël), de substituer des matériaux « écologiques » à d'autres, de recréer des espèces disparues, toutes capacités dont l'utilisation est fonction d'une aspiration ou d'un besoin ressentis(3) (par lui...). L'histoire de l'humanité nous enseigne même que l'on peut tout imaginer de lui (donc de nous...). Pourquoi, dès lors, ne pas croire que nous pourrons reboiser les forêts, dessaler les océans, fabriquer de l'eau ou du pétrole, et, de manière générale, trouver une parade technologique aux pénuries qui nous guetteraient prétendument de manière inévitable? Utopie, délire, propos de malade mental? Peut-être. Mais que le lecteur qui m'opposerait ces qualificatifs s'achète une machine à remonter le temps et aille parler du briquet à l'hominien qui attend patiemment l'orage, pour aller cueillir le feu dans les arbres. 
  
     « Si l'homme est un animal poussé par sa nature à travailler, produire, consommer et vouloir s'enrichir, au nom de quel principe supérieur de nature, l'écologisme devrait-il l'en empêcher? Autant forcer un lion à manger de l'herbe... »
 
          Le Club de Rome ne néglige pas cette alternative technologique à la « pénurie programmée » qu'il prédit. Mais il y oppose des arguments, pour tout dire, assez peu convaincants: on oscille ici entre mélancolie naïve (du type: « que deviendrons-nous quand nous dépendrons d'usines pour le dessalement de notre eau potable »?) et pseudo-théorisation axée sur la notion d'un emballement technologique destructeur dont on ne saisit pas bien l'inéluctable dynamique (une sorte d'avatar écologiste de la théorie marxiste de l'accumulation du capital mais en moins clairement justifié). Pourquoi ne pas reconnaître, beaucoup plus modestement, que le pouvoir technologique de l'humain – sa capacité d'invention – lui permet non seulement de parer aux effets de tel ou tel appauvrissement écologique mais d'améliorer l'environnement et de l'enrichir par rapport à son état « stationnaire », lorsque besoin est? Même si, à l'instar des écologistes, on peut tout à fait préférer boire de l'eau de source plutôt que de l'eau de mer dessalée et que justement, il y a beaucoup à espérer de la préférence en question...
 
          Vanité épistémologique, fantasmagorie constructiviste, disqualification de l'humain. Si ces travers philosophiques sont, en soi, suffisamment inquiétants pour être relevés, ils sont assez peu impressionnants par rapport aux monstrueuses lacunes conceptuelles et théoriques qui leur sont liées et, plus encore, au projet de société sur lequel ils débouchent.
 
La dictature écologiste
 
          Il faut lire ce qu'ont écrit les théoriciens du club de Rome pour comprendre la substantifique moelle de l'idéologie écologiste(4). L'idée centrale a été exposée: la croissance économique exponentielle nous conduit au drame planétaire par extinction des ressources vitales de l'humanité. Cette posture – dont certains aspects méritent considération, nous le verrons – bute sur une erreur et une lacune théoriques de fond:
  
A) Tout le présupposé idéologique de l'écologisme, cela a été « démasqué » plus haut, procède d'une construction théorique tendant à lier le sort de l'individu à une nature dominatrice. Or, le raisonnement repose sur une erreur conceptuelle fondamentale, résidant en la notion de « système stable ». À ce propos, en effet, les théoriciens écologistes font une confusion aussi fréquente qu'invalidante: ils confondent stabilité et immobilité. Sans rentrer dans les détails, le fait qu'un système (un noeud de relations d'interdépendance) évolue (donc, croisse, éventuellement), leur échappe pour ainsi dire totalement: pas de chocs extérieurs, pas d'influence perturbatrice, pas de dynamique endogène, rien ne doit – par pur et simple décret idéologique – troubler la quiétude de l'écosystème rêvé par les ayatollahs de la verdure. Position de principe en contradiction avec la vie même, qui amène nos théoriciens écologistes – dans une sorte d'incohérence épistémologique parfaitement assumée – à vouloir construire un système socio-économique parfaitement... artificiel(5)!
 
En somme, nos théoriciens écologistes entendent conformer le monde à la conception « équilibrée » (et statique) qu'ils en ont, un peu comme si un théoricien de la concurrence pure et parfaite proposait une politique de mise en conformité du monde réel aux hypothèses de son modèle! Démarche dont procèdent très exactement tous les totalitarismes et qui consiste à adapter la réalité humaine à un monde rêvé, incarnant une sorte de perfection toute personnelle(6)... En fait, penser écologique, c'est penser libéral. Il suffit de lire Hayek pour comprendre qu'un système stable est basé sur des principes de fonctionnement immuables (et endogènes), offrant au système considéré, un maximum de liberté évolutive. De sorte que la stabilité est le contraire de l'immobilité. 
B) Entre toutes, pourtant, la faiblesse la plus considérable – fatale, pour tout dire... – de la doctrine écologiste du Club de Rome n'est pas dans son incapacité à conceptualiser la notion de système. Elle réside dans son ignorance absolue du mécanisme des prix comme système de régulation de la rareté. De la sorte, nos théoriciens font reposer leur argumentaire apocalyptique sur des notions telles que « l'offre excédentaire » ou « la demande excédentaire » d'énergie(7)! Nulle allusion à un quelconque dysfonctionnement de la coordination marchande, pas même l'évocation d'une théorie permettant d'expliquer pourquoi, dans le cas de l'énergie, par exemple, le mécanisme des prix ne fonctionnerait pas(8). Non, c'est bien d'ignorance qu'il s'agit ici. Constat d'autant plus saisissant que toute la réflexion écologiste repose sur le concept fondamental de « rareté »; un peu comme si quelqu'un écrivait un traité sur l'attraction terrestre sans jamais avoir entendu parler de la loi de la gravitation... Dès lors, il faut apprendre aux théoriciens de l'écologie planiste que le système des prix libres constitue le « truc » le plus efficace jamais découvert par l'espèce humaine pour réguler l'offre et la demande de biens et services rares. Et qu'en conséquence, à condition qu'aucun système politique ne vienne contrarier le libre exercice de la rationalité humaine (nous y reviendrons), il y a de fortes chances pour que la fluctuation des prix constitue un mécanisme efficace d'autorégulation de la consommation d'énergie.  
 
Cette ignorance est d'ailleurs amusante, car, une fois levée, elle devrait convertir tout écologiste sincère au libéralisme. En effet, si les biens gratuits, tels que l'air et l'eau, deviennent des biens rares (du fait de dégâts écologiques, par exemple), pourquoi ne pas leur appliquer le régime économique qui convient si bien à tous leurs pairs? C'est-à-dire le système des prix libres, selon un mode de coordination marchand, dont il resterait bien entendu à inventer les modalités concrètes.
 
          Et si, justement, les théoriciens du Club de Rome avaient tout simplement « manqué » le libéralisme? C'est possible et si tel est le cas, un peu chagrinant. En effet, lorsqu'on lit dans leur ouvrage une remarque aussi pertinente que celle-ci: « en principe, (et conformément à l'étymologie de ces mots), il ne devrait pas y avoir de conflit entre l'écologie et l'économique: il appartient à celle-là de nous fournir le mode d'approche, le cadre conceptuel pour notre compréhension des rapports mutuels entre systèmes sociaux et systèmes de l'environnement », on reste sur l'impression d'un Ali Baba tournant désespérément autour de sa caverne! Faute d'une connaissance (même superficielle) de l'économie libérale et malgré un certain nombre de remarques intéressantes (tout n'est pas « à jeter »), nos théoriciens verts en sont alors réduits à construire un monde de décrets et de postulats qu'il faut lire pour se persuader que cela ait pu être écrit(9)
 
          Le Club de Rome est-il vraiment passé à côté du libéralisme? Peut-être, pour ceux de ses membres qui seraient sincèrement épris de connaissance et de réflexion. Il n'en reste pas moins que l'écologisme procède d'une ambition politique et qu'il a pour but de convertir un certain nombre de disciples à sa religion. Dès lors, son but est-il de comprendre le lien entre l'homme et son environnement? Non. Il s'agit d'inféoder la liberté individuelle aux dieux « effets de serre », « couche d'ozone », « espèces en voie de disparition » et « fromage de chèvre bio » contre toute logique écosystémique incluant l'humain. Le projet de société du Club de Rome relève donc d'une sorte de polythéisme d'un archaïsme insoutenable, fondé sur une véritable doctrine du sacrifice de l'homme et de sa liberté. 
 
          Car le coeur des recommandations écologistes, c'est la « régulation des naissances ». Et oui, nous sommes décidément bien trop nombreux, ce qui, dans la perspective retenue, est parfaitement exact: en considérant l'homme comme une source de dévastations et de gaspillages – et non comme une fin en soi « auto-créatrice » – l'écologisme aspire légitimement à en réguler l'espèce, en en diminuant le nombre d'exemplaires. Pas de manière brutale, bien entendu, il convient d'y mettre les formes. Dès lors, je cite « il faut que les gouvernements se saisissent du problème et prennent l'engagement public de mettre un terme à la croissance démographique – ce qui suppose, en même temps, la fin de l'immigration (sic). Deuxièmement, ils ont à instituer un service national de la population (sic), avec une quadruple vocation: faire connaître [...] l'impérieuse nécessité que les couples n'aient pas plus de deux enfants. Toutes les ressources et les meilleurs talents publicitaires (sic) doivent être mobilisés pour inculquer au public le sens de la responsabilité sociale qu'implique la procréation [...] » (p. 45-46). Passons sur les autres mesures de politique familiale proposées par nos marabouts inspirés (organiser un service public de la contraception et de l'avortement)... Et distrayons-nous lorsque, plus loin, ils réalisent soudainement ce qu'ils sont en train de raconter: « il va de soi que si les couples continuaient d'avoir des familles allant au-delà du taux de remplacement, la liberté de la contraception serait parfaitement vaine. Mais en raison même de notre ignorance (sic), nous ne nous sentons pas en mesure de préconiser aucune de ces contraintes socio-économiques qui, en tant que telles, sembleraient devoir être plus efficaces, avec l'inconvénient majeur de paraître, aux yeux de beaucoup, indûment coercitives (sic) »
 
          Bref, la Chine communiste mais aussi un certain nombre de dictatures afro-marxistes ayant pratiqué intensivement le regroupement/contrôle des populations – dans des conditions de déportation d'une rare efficacité, en termes de « régulation » – tels seraient les paradis de la société écologiste? Quant aux autres recommandations et aspirations des théoriciens du Club de Rome, citons pêle-mêle l'organisation de nos sociétés en petites communautés(10) (bref, transformer un New-Yorkais en Pygmée) et le recours à l'impôt tous azimuts (sur les matières premières, l'énergie et un amusant impôt d'amortissement sur les produits non durables...), seule solution envisagée par nos théoriciens pour réguler l'offre et la demande de biens rares. 
 
          Heureusement, sans doute, la plupart des « propositions » susmentionnées relèvent de la folie furieuse. Récemment, j'ai même entendu que pour préserver la banquise, il fallait que nos sociétés diminuent leur consommation d'énergie de 75%! À ce tarif, il ne nous resterait plus qu'à souhaiter qu'il fasse chaud en hiver... Mais bien sûr, dire « il faut diminuer notre consommation d'énergie de 75% », cela relève d'une pure et simple inconséquence. 
 
          D'autres propositions sont, hélas, abondamment pratiquées, et, en conséquence, autrement plus dangereuses. Nos sociétés semblent habituées à ce que l'impôt et la réglementation constituent d'acceptables remèdes à nos « problèmes » divers et variés. On feint même d'oublier que l'impôt procède d'un parfait asservissement de l'individu. Mais si, encore, il arrivait aux « méthodes » brutales de planification et de réglementation centralisées d'être efficaces, peut-être pourrait-on se consoler. Faisons ici un très bref détour par une faiblesse académique que beaucoup d'économistes devraient méditer: l'économie non libérale (c'est-à-dire la « science normale »?) dédie son programme de recherche aux dysfonctionnements divers et variés du « marché libre ». L'analyse des « faiblesses » du marché me semble, pour tout dire, utile et stimulante. Mais l'erreur – épistémologiquement impardonnable – consiste en la posture axiomatique suivante: lorsque le marché ne « fonctionne pas » (pour qui?), c'est à l'État d'en « corriger les erreurs »... Mais pourquoi? Au nom de quoi les théories économiques non libérales se passeraient-elles d'une analyse sérieuse des faiblesses de l'organisation étatiste de l'économie? 
 
          L'écologisme ne déroge évidemment pas à ce raccourci idéologique, qui est une impasse. Dès lors, c'est entendu, l'impôt serait un remède efficace pour lutter contre la dégradation de l'environnement. Et les coûts bureaucratiques (c'est-à-dire le gaspillage de ressources) que cela induit? Et les faiblesses de la régulation étatique en termes d'information et d'incitations? Et la fraude, et les détournements? Et les considérables effets pervers du prélèvement fiscal sur l'ensemble de l'économie (ne parlons pas de justice individuelle, cela n'a bien sûr aucun intérêt)? Et de manière encore plus fondamentale, quid de l'impossibilité logique qu'il y a, pour quelque administration que ce soit, à peser sur des enchaînements aussi complexes et flous que ceux prétendument modélisés (et soi-disant maîtrisés) par, entre autres, la théorie écologiste (le fameux « en raison même de notre ignorance » que confessent volontiers nos théoriciens...)? 
 
          Le projet politique de l'écologisme doit donc être pris pour ce qu'il est: une pure et simple ambition de dictature, radicalement incompatible avec les principes d'un humanisme ne serait-ce que « modéré ». Est-ce à dire que la problématique écologique ne vaut rien? Absolument pas. Et le lecteur qui, par principe hostile aux idées que je défends, n'en serait pas moins ouvert à la discussion se consolera sans doute au vu des développements proposés dans un prochain article: l'écologie et le libéralisme ne sont pas seulement conciliables, ils sont consubstantiels l'un à l'autre. Et de ce point de vue, il faut rendre au Club de Rome ce qui lui appartient. Outre que nos auteurs ont bien entrevu le lien écologie-économie, la cible qu'ils visent dans leur ouvrage n'est pas explicitement le capitalisme libéral mais plutôt le concept de « croissance » (l'assimilation des deux ne fait toutefois guère de doutes). Cible qui ne manque pas de pertinence mais qui devrait amener tout écologiste sincère à concentrer sa critique sur tout ce que nos économies doivent à l'étatisme, de droite (nationalisme économique) comme de gauche (socialisme). Et à militer en conséquence en faveur d'une libération(11) intégrale de nos économies. 
  
  
1. L'environnement, en l'occurrence, c'est ce qui entoure l'humain, et non l'inverse. Ce que nombre de militants écologistes ont un peu tendance à oublier...  >>
2. Sans insister, ce postulat est en soi ridicule: nul ne peut prévoir les adaptations biologiques « ad hoc » d'une espèce à son environnement (ce qu'on appelle « l'accommodation»)>>
3. Et d'autant mieux assouvi qu'il n'est pas la cible d'un quelconque terrorisme vert.  >>
4. Nous renvoyons ici le lecteur à l'ouvrage suivant: E. Goldsmith et alii, Changer ou disparaître, Fayard, Paris, 1972.  >>
5. En fait, à l'examen du propos écologiste relatif à la notion de système, de deux choses l'une: 1) soit, comme je le dis, la notion même d'évolution leur échappe (disons qu'elle se limite pour eux à l'auto-reproduction); 2) soit les théoriciens écologistes ne réalisent aucunement à quel point leurs recommandations sont en contradiction flagrante avec la construction  d'un système stable (encore que leurs réserves, à l'évocation de certaines de leurs recommandations mêmes, laissent ici poindre la possibilité d'un doute...).  >>
6. Bien entendu, le modèle de la concurrence pure et parfaite a d'immenses vertus pédagogiques et il est dommage que les théoriciens écologistes n'en aient manifestement jamais pris connaissance. Mais c'est peu dire que ses hypothèses de structure économique ne correspondent pas à la réalité de ce que sont la production, la consommation et la décision humaines.  >>
7. Espérons que l'ouvrage de référence étant écrit en 1972, le choc pétrolier de 1973 ait eu, sur leur pensée, de consistantes vertus pédagogiques...  >>
8. De telles théories existent pour d'autres biens et services (peu convaincantes mais ceci est hors de propos, ici). Notons qu'il existe bien entendu un cas où la coordination marchande perd beaucoup de son efficacité: lorsqu'elle est entravée par des réglementations publiques...  >>
9. Je veux dire, dans un livre aux prétentions académiques affirmées. En bande dessinée, cela passerait au contraire très bien.  >>
10. Nous verrons toutefois que lorsqu'elle procède d'une société libre, cette aspiration n'est pas forcément absurde.  >>
11. Le terme de « libéralisation », usuellement employé, est en effet impropre: on ne « libéralise » pas une économie (car la liberté n'est pas dans la politique mais dans la nature de l'homme). On la libère simplement, ce qui signifie qu'on la « désétatise »>>
 
 
Articles précédents de Erwan Quéinnec
 
 
<< retour au sommaire
 PRÉSENT NUMÉRO