Montréal, 11 octobre 2003  /  No 130  
 
<< page précédente 
  
  
 
Erwan Quéinnec est maître de conférences en sciences de gestion à l'Université Paris XIII.
 
FONDEMENT DU LIBÉRALISME
  
SEUL LE LIBÉRALISME ASSURE 
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
 
par Erwan Quéinnec
  
  
          Il existe schématiquement deux sortes de doctrine écologique: en premier lieu, l'écologisme du Club de Rome – assez bien représenté par les partis verts et autres sectes altermondialistes –, qui recommande la subordination de l'économie humaine au maintien en l'état de la biosphère et des écosystèmes terrestres, par des moyens oscillant entre pure chimère et authentique dictature, sur la base d'un diagnostic douteux; en second lieu, une écologie libérale – qui est parfois représentée, sur le plan politique(1) – dont il n'est nul besoin de théoriser la moindre spécificité. L'écologie est en effet encastrée dans le libéralisme, le vrai et le seul, celui dont le « programme » se limite à l'appropriation privée de la totalité des actifs de production (appropriation progressive, tâtonnante, incrémentale mais potentiellement illimitée), à la liberté absolue des prix et à la souveraineté des contrats interindividuels sur toute autre institution politique. 
 
          Cet ordre libéral ne recommande nullement que l'on arrête de consommer de l'énergie, de produire des biens et des services et de rejeter en conséquence des déchets. Ce qui signifie que les croisés de la chlorophylle toute puissante n'y trouveront pas leur bonheur (comme je suis libéral et donc soucieux de l'intérêt de mes lecteurs, je préfère couper court à leur éventuelle souffrance). Le libéralisme est en revanche sans concurrent doctrinal sérieux s'il s'agit d'optimiser préservation de l'environnement, croissance économique et liberté individuelle (avec ce que cela implique de responsabilité de chacun envers autrui, il convient de ne pas l'oublier). 
 
          Pourquoi libéralisme et écologie sont-ils consubstantiels l'un à l'autre? Pour deux raisons essentielles et interdépendantes: 1) l'économie libre tend à valoriser les solutions de production les plus efficientes (via la propriété privée des moyens de production) et 2) elle laisse les préférences individuelles orienter l'allocation des ressources rares (via le système des prix, en particulier). 
 
Le capitalisme pollueur?  
 
          Il est intéressant d'entendre souvent affirmer que la pollution est due au capitalisme ou à la mondialisation libérale. Parfois et plus rigoureusement, c'est à la seule croissance qu'elle est attribuée. En effet, si le capitalisme est particulièrement pollueur, on devrait pouvoir en inférer que les économies les plus capitalistes (ou les moins socialistes...) sont relativement plus polluantes que les autres.
 
          N'ayant pas lu d'études ou de rapports sur le sujet, je prends donc le risque de soutenir que ce n'est pas le cas. Il est évidemment difficile d'établir un classement des pays pollueurs car cela requiert des indicateurs sophistiqués et fiables: inutile, par exemple, de m'apprendre que les pays les plus riches sont aussi ceux qui consomment le plus d'énergie en termes absolus. Mon propos ne déniant nullement le droit de l'humanité à s'enrichir(2), c'est sur un indicateur de pollution relative que porte mon pronostic; une sorte de ratio pollution produite / richesses créées. Je formule donc l'hypothèse que ce type de ratio est plus bas dans les économies capitalistes développées que partout ailleurs et surtout, plus élevé dans les économies socialistes que partout ailleurs. 
 
          Si mon pronostic est avéré, il ne met en exergue, dans le cas des pays en développement, qu'un retard de maturité technologique éventuellement provisoire: faire l'apprentissage de la productivité, c'est aussi faire celui de l'écologie et une économie pauvre munie d'institutions performantes (une liberté maximale de produire, investir, consommer, posséder, etc.) est calibrée pour rattraper son retard en la matière. Bref, comparer les performances environnementales des pays « riches » et des pays « pauvres » n'est pas forcément très probant. Il est plus intéressant de mettre ces performances en relation avec un système économique donné. 
 
          Il y a schématiquement deux manières d'augmenter la production d'un pays donné (donc, de croître au sens économique du terme): les pays capitalistes relativement libéraux fondent prioritairement leur croissance sur la notion de gains de productivité, requérant une utilisation de plus en plus efficiente des facteurs de production (produire plus avec moins, pour simplifier); c'est la croissance de « l'inspiration », pour reprendre une formule de Paul Krugman(3). Il existe une sorte de croissance plus laborieuse – celle de la « transpiration » – qui implique une augmentation continue des capacités de production. Bref, on peut croître en travaillant plus ou croître en travaillant mieux. Il convient ici de ne pas condamner tel type de croissance par rapport à tel autre: travailler mieux suppose bien souvent que l'on ait préalablement travaillé plus (l'inverse peut être aussi vrai), de manière à dégager l'épargne de base nécessaire au développement économique. Ce ne sont donc pas tant les modalités respectives de la croissance capitaliste et de la croissance socialiste qui distinguent ces deux systèmes que les finalités que leur développement poursuit: dans le cas du capitalisme, la croissance vise à augmenter la richesse des individus. Dans le cas du socialisme, il s'agit d'augmenter la puissance de l'État (et en conséquence, la richesse des caciques du parti communiste, la fameuse nomenklatura). 
 
          Le socialisme peut donc faire une utilisation forcenée des facteurs de production sans jamais veiller à les utiliser de manière efficiente (donc à les économiser). Car pour témoigner d'une telle préoccupation d'économie, il faut être confronté à l'aspiration des individus à l'augmentation de leur pouvoir d'achat et être soi-même limité dans le « droit de tirage » dont on dispose sur les actifs. Dans des pays où le travail est obligatoire – ce qui confine à l'esclavagisme –, où la production physique est érigée en fin en soi, où l'aspiration des individus à la consommation est déniée, la croissance économique peut faire fi de tout souci de productivité, du moins jusqu'à l'implosion du système via l'épuisement des facteurs de production et l'effet d'un certain nombre de lois incontournables, notamment celle des rendements décroissants. Une telle croissance enrichit les puissants (par confiscation pure et simple de la richesse créée) et maintient la masse laborieuse dans la pauvreté, jusqu'à implosion révolutionnaire (Marx eût été un remarquable prophète s'il avait réservé son analyse au système que sa théorie a inspiré). Accessoirement, elle n'a évidemment que faire de la préservation des ressources naturelles et de l'économie des facteurs de production.
 
          Le libéralisme fonctionne bien évidemment sur tout autre chose: d'abord, en régime de liberté, pour s'enrichir, il faut l'accord d'autrui. Ensuite, la liberté oblige chacun à se conformer aux lois immuables de l'économie depuis la nuit des temps: on s'enrichit en maximisant la différence entre ce qu'on gagne et ce qu'on dépense, donc, simultanément, en faisant preuve de créativité et de parcimonie. Et l'on reste riche en prenant soin de son patrimoine (donc, de ses actifs). C'est sans doute parce que l'économie libre fonctionne sur cette vérité de bon sens qu'elle est honnie de tant d'économistes, peut-être parce que ceux-ci y voient une menace pour leur monopole conceptuel...
 
S'enrichir en économisant  
 
          Qui est habitué au débat socio-économique – à sa forte teneur en ignorance et mauvaise foi, surtout – ne s'étonnera sûrement pas qu'entre autres fléaux reprochés au capitalisme, figurent les abus de la société de consommation, l'incitation au gaspillage ou la logique court-termiste de son mode de production. Et pourtant, ces critiques sont stupéfiantes. Car le capitalisme libéral donne corps à des valeurs qui sont celles des écologistes: souci de la descendance, épargne, horizon décisionnel long. Il est en effet le système le plus apte à favoriser un certain nombre d'arbitrages complexes entre aspirations contradictoires, et ce parce qu'il incite à: 
 
          Produire le plus et le mieux possible en économisant le plus et le mieux possible les facteurs de production; bref, maximiser les produits et minimiser les charges, ce qui constitue la condition sine qua non du profit recherché par le « capitaliste ».  
  
          Cette quête du profit se propageant tout au long d'une vaste chaîne contractuelle, elle contamine de manière positive l'ensemble de l'économie, comme l'atteste l'augmentation générale du niveau de vie des individus bénéficiant de ce système (la fameuse main invisible). Fondée sur la liberté des prix, cette logique d'économie aboutit à ce que les facteurs de production les plus rares sont progressivement retirés du système de production au profit d'inputs plus abondants. C'est pourquoi les entreprises privées cherchent de manière systématique à consommer le moins possible, à trouver les technologies les plus efficaces, à substituer les énergies bon marché aux énergies chères, etc.; stratégies de réduction des coûts qu'au demeurant, on leur reproche systématiquement quand on constate qu'elles ont un effet récessif sur certaines branches industrielles, pourvoyeuses d'emplois « nobles » (c'est à dire fortement syndiqués?) et, accessoirement, très polluantes. Il ne s'agit sans doute pas, pour les entreprises, d'économiser les queues de cerise (pas plus que le particulier, même écologiste, ne pense toujours à éteindre la lumière de sa chambre). Ce que recherchent les capitalistes (et les individus), ce sont les grosses économies d'inputs; recherche qui stimule entre autres le progrès technologique « vert », éventuellement rentable lorsqu'on veut bien ne pas l'imposer à marche forcée et respecter la temporalité du développement économique orchestré par une économie libre (c'est à dire la temporalité longue du développement durable...)!
 
          Il convient ici d'insister sur un effet fréquemment oublié de ce système de création de richesses. On sait que les gains de productivité obtenus dans les secteurs primaire et secondaire de l'économie aboutissent à la tertiarisation de cette dernière (le secteur des services). En gros et pour simplifier, plus une économie se développe, mieux elle assure le nécessaire et permet aux individus de se concentrer sur le « superflu » (les loisirs, la culture, etc.). En augmentant le niveau de vie des gens, les gains de productivité générés par l'économie libre permettent ainsi aux individus de focaliser leur attention sur des problèmes que, sans eux, il eût été complètement incongru d'entrevoir. J. Schumpeter a bien mis en exergue ce prodige paradoxal du capitalisme, lequel permet de libérer des énergies intellectuelles qui, souvent, se retournent contre lui (mais lui permettent aussi, heureusement, de couper court à toutes les prophéties de « fin de l'économie » qui caractérisent de manière obsessionnelle les idéologies non libérales). L'écologie n'est objet de débat que parce que notre aisance nous permet de l'élire à une fonction de problème social. Quiconque a voyagé dans les pays du tiers-monde aura constaté à quel point, d'ailleurs, la conscience écologique y est peu développée. Cela est vrai de bien des problèmes de société: sans remettre en cause la légitimité d'un certain nombre de revendications féministes (toutes celles ayant trait à l'égalité des droits), je ne suis pas certain que l'émancipation des femmes leur doive plus qu'à l'invention de la couche-culotte ou de la machine à laver, par exemple(4)...
 
          Ménager les actifs dont on est propriétaire.  
  
          Cette caractéristique incitative de la propriété privée des moyens de production est évidemment inséparable de la précédente mais elle impose des arbitrages entre maximisation du rendement et préservation de l'actif (charger le mulet sans le tuer). Les propriétaires prennent généralement un soin tout particulier de leurs actifs, qu'il s'agisse d'animaux, de bâtiments, de champs, de forêts ou de mines. Tout simplement parce que la valeur marchande de leur bien dépend de ce soin-là. On peut tout à fait imaginer un propriétaire forestier déboisant sa propriété pour y cultiver des légumes, dès lors que le bois, de par son abondance, aurait moins de valeur économique que les légumes en question. Mais ce type de comportement ne pourra être que marginal dans un système économique régulé par les prix libres, sauf à ce que le bois n'ait plus de valeur du tout, ce qui est extrêmement douteux (d'autant qu'il existe toutes sortes et qualités de bois). Et ce raisonnement s'applique à absolument toutes les richesses « naturelles » de la planète! 
  
     « Le capitalisme libéral donne corps à des valeurs qui sont celles des écologistes: souci de la descendance, épargne, horizon décisionnel long. Il est en effet le système le plus apte à favoriser un certain nombre d'arbitrages complexes entre aspirations contradictoires. »
 
          La privatisation de la mer pourrait, dans cet ordre d'idées, devenir un enjeu socio-économique important. Dans les pays du Sud, nombreuses sont les côtes maritimes qui fournissent l'essentiel de leurs ressources aux populations. J'ai personnellement vécu dans un pays très dépendant des ressources de la pêche, les Philippines. J'y ai constaté les dégâts causés par un mode de prélèvement du poisson dont il n'est guère besoin d'argumenter les effets néfastes sur l'écosystème marin: la pêche à la dynamite (ou au cyanure). Ce mode d'exploitation de l'actif de production « mer » est plutôt rationnel lorsque l'actif(5) en question n'appartient à personne (et n'a donc pas de valeur marchande). Il s'agit donc ici, d'en retirer le maximum de ressources avant tout le monde, jusqu'à épuisement complet. Si la mer appartenait à une communauté de pêcheurs, par exemple (imaginons ici un type de propriété coopérative circonscrit à une bande côtière bien que, par principe, on ne puisse présumer des formes de coordination imaginées par les individus libres de s'approprier les fruits de leur travail), ces derniers pourraient l'exploiter de manière à en préserver la richesse biologique, voire aménageraient l'environnement marin de manière à ce que telle espèce marine y abonde ou encore, transformeraient leur côte en site de plongée. Gageons en outre que nos pêcheurs-propriétaires trouveraient d'efficaces solutions de police pour préserver leur bien contre l'avidité des contrebandiers. Cet exemple illustre à quel point l'appropriation privée des actifs nécessaires à l'activité humaine constitue un chantier socio-économique riche de perspectives sainement régulatrices(6), ce qui suppose bien entendu un système judiciaire respectueux des droits conférés aux individus, qu'ils soient pêcheurs aux Philippines, Indiens en Amazonie ou actionnaires de General Motors. 
 
          Arbitrer entre épargne et investissement.  
  
          Le capitalisme serait obsédé de consommation et conditionnerait les gens à acheter tout et n'importe quoi, au moyen d'une publicité assimilée à une sorte de puissant neurotoxique (ce que dément la recherche en marketing, mais passons...). Cette croyance est amusante quand on sait que le capitalisme libéral est, entre tous, le système économique du « détour de production ». C'est à dire celui de l'épargne, employé par les capitalistes à des fins productives. Elle est stupéfiante lorsqu'on connaît l'ascèse proverbiale de maintes figures du capitalisme libéral(7) et la motivation qui stimule tant d'entrepreneurs: léguer un patrimoine à leurs enfants. Bien sûr, certains actionnaires ont fait l'expérience des affres d'une gestion excessivement déléguée ou d'une course effrénée au chiffre d'affaires, au point que certains analystes y voient le symptôme d'un nouveau capitalisme, soudain devenu dispendieux et abusivement spéculatif, loin de son souci industrieux d'autrefois. Il existe bel et bien, dans nos économies, une pernicieuse tendance à privilégier le court terme, la consommation à outrance, l'affichage d'une croissance maximale du PIB (lequel – et là, les écologistes ont raison – intègre de manière positive tout un tas de gaspillages). Ce n'est pas au capitalisme libéral qu'on doit ces disfonctionnements mais à la politique économique qui, nous dit-on, a permis de le sauver et qui porte un nom idolâtré de tous les partis sociaux-démocrates: le keynésianisme. Nous y reviendrons (dans un article ultérieur) mais avant cela, continuons notre inventaire des vertus systémiques du libéralisme. 
 
Préserver l’environnement en s’enrichissant  
 
          Seule la logique endogène du capitalisme permet d'investir dans des technologies propres et économes en ressources. Seule la logique endogène du capitalisme incite les individus à maintenir et améliorer les actifs dont ils sont propriétaires. Voilà pour la composante « amont » de la problématique écologique telle que « traitée » (sans volontarisme aucun, bien entendu) par le libéralisme.
 
          Mais il existe aussi une régulation « aval » de l'environnement, par l'économie libre. En effet, si la dégradation de l'environnement est un problème, ce n'est pas parce que quelques hiérarques nous auront « démontré » que la préservation de la planète nécessite que nous retournions vivre dans les grottes. C'est parce que les individus attachent de la valeur aux environnements « verts »: valeur touristique, valeur productive, valeur heuristique, etc. 
 
          Autrement dit, l'écologie est un bon produit commercial: une réserve animalière au Kenya, une forêt tropicale aménagée pour pouvoir s'y promener, une côte maritime sauvage ont une valeur d'actif sans doute considérable. Que telle association écologiste informe l'opinion publique de l'imminente disparition des pandas et la protection de ces derniers a toutes les chances de devenir un projet d'entreprise prospère! Cette remarque infère qu'en soi, les discours prônant la solidarité ou l'écologie sont loin d'être inutiles (cela dépend de leur teneur, bien entendu), à condition de ne pas chercher à imposer leur cause au moyen de la violence légale (la politique). L'un des effets du libéralisme est de permettre l'expression de toutes les opinions et de favoriser une véritable profusion d'analyses et de réflexions sur tous sujets. Comme il en va des produits intellectuels comme des autres, la qualité de ces analyses et réflexions est variable mais il appartient à chacun, ici, de faire son marché. Dans un monde vraiment libre, débarrassé de la possibilité qu'aurait une institution politique de mutiler la liberté sur la foi de telle ou telle justification « d'intérêt général » – bref, dans un monde où le pouvoir politique serait impitoyablement contenu et les lobbies, sans objet – toutes ces idées et réflexions auraient valeur d'argument publicitaire au sens noble du terme. Elles engageraient leur émetteur et obligeraient surtout chacun à convaincre plutôt qu'à commander.
 
          Bref, il ne me pose aucunement problème (au contraire!) que dans un monde débarrassé de la menace politique, des syndicats libres, des ONG libres, des associations consuméristes libres défendent ou promeuvent tel point de vue, cherchent à orienter les comportements dans telle direction, suscitent telle ou telle initiative (à charge de critique éventuelle, bien entendu).
 
          Dans ce monde de liberté, il existe forcément un seuil où le système des prix donne plus de valeur aux environnements écologiques (à condition qu'ils fassent l'objet d'une exploitation économique) qu'à leur destruction. Ce constat infère, en passant, que s'il est une politique d'une totale inutilité, c'est bien celle qui prétend aménager le territoire pour prétendument éviter la disparition de tout un tas de communes rurales: compte tenu du nombre de gens aspirant à la campagne, il ne fait guère de doute qu'il suffirait de restaurer la liberté d'entreprendre pour que, par exemple, se développe tout un secteur de services aux personnes âgées localisés en zone rurale!
 
          Les écologistes sincères – soucieux d'humanisme – devraient donc renoncer à leurs fantasmes planistes et travailler à réhabiliter propriété privée et liberté des prix. Nos économies subissent en effet certaines atténuations de la rationalité qui sont presque toutes dues à une altération de la propriété privée et au lien unique qu'elle permet de fonder entre liberté et responsabilité. Penser que l'intervention étatique pourra, d'un coup de baguette magique, améliorer cet état de fait n'est que pure chimère.
 
Laisser aux individus le soin de trouver les solutions à leurs problèmes  
 
          C'est en expérimentant des solutions de production et de coordination diverses que les individus laissés à leur liberté créatrice règlent progressivement leurs problèmes. Cela ne va jamais assez vite pour certains car, nous l'avons dit, le capitalisme a ceci de prodigieux qu'il réveille de folles aspirations à la perfection socio-économique, et donne parfois l'impression que tout est permis – le socialisme naïf raisonne toujours de manière « abondanciste », c'est à dire comme si les ressources économiques n'étaient pas rares – en passant allègrement par dessus toutes les aspirations contradictoires que seul le libre jeu des accords interindividuels permet de coordonner de juste manière.
 
          Si, donc, propriété privée et marché libre ne suffisent pas à régler le problème environnemental d'une façon qui satisfasse les individus concernés, on peut tout à fait espérer de la liberté d'autres effets ou influences. De ce point de vue, les réflexions des économistes de l'environnement portant sur « l'internalisation des externalités » sont intéressantes. Hélas, leurs recommandations sont trop souvent axées sur des solutions fiscales (taxation de pollueurs). Dans un système social de nature individualiste, c'est plutôt à des solutions de type judiciaire / assurantiel qu'il conviendrait de songer pour régler tel ou tel problème environnemental. Je ne vois en effet nulle raison de séparer la fumée des usines ou les nuisances sonores diverses et variées de tout ce qui compose les conflits de voisinage (lesquels sont évidemment susceptibles d'être réglés selon des formes variées). Pour ma part, je ne trouverais nullement choquant qu'un système judiciaire clairement individualiste accorde des dommages et intérêts aux riverains victimes de pollutions sonores ou atmosphériques, du fait de la proximité d'un aéroport ou d'une usine chimique, par exemple; il convient cependant qu'un tel jugement s'appuie sur des arguments raisonnables, relevant de la juste défense de l'intérêt individuel (ce qui suppose un système de justice privée, au moins – ou plutôt, dans un premier temps – pour tout ce qui ressortit aux affaires civiles(8)). 
 
          Enfin, il convient de ne pas mésestimer l'influence des discours normatifs sur la « conscience écologique » des individus: trop de jérémiades simplistes insistent sur la perte de civisme de nos contemporains et en déduisent une kyrielle de recommandations basées sur de lénifiants « il faut que » ou « il n'y a qu'à » (généralement, il faut d'ailleurs que nous changions de mentalité. Tout un programme, en somme...). Je doute pour ma part que les gens soient plus méchants, vils ou irrespectueux qu'ils n'ont jamais été, tout en m'abstenant de confondre humanisme et philanthropie. Il reste évidemment que la morale est utile, lorsqu'elle est intériorisée. Enseigner à ses enfants le respect de son prochain, de l'environnement, des règles communes, tout ça procède d'un civisme de bon aloi. 
 
          Ce civisme n'est néanmoins viable que lorsqu'il porte sur les règles de juste conduite permettant de réguler harmonieusement la vie sociale. Le désolant spectacle offert par les rentes de situation des uns, les privilèges éhontés des autres, l'irresponsabilité subventionnée des systèmes sociaux et autres services publics divers et variés, l'insécurité fiscale, tout ceci est évidemment de nature à favoriser le chacun pour soi au détriment des autres. C'est pourquoi il n'est pas de système plus moral que celui qui ne donne à l'individu aucun prétexte de se mal conduire, donc celui qui respecte de manière absolue sa liberté et son intégrité d'individu. Et il n'est pas de système plus juste que celui qui condamne impitoyablement les comportements délictuels ou criminels, c'est à dire l'atteinte illégitime à la sécurité et aux biens d'autrui (que le lecteur écologiste ne doute pas une seconde de la sévérité d'une cour de justice « libérale » à l'endroit du pyromane qui s'amuse, l'été, à incendier les forêts!).
 
          La liberté fait donc système, un système où l'humain est incité à se comporter du mieux possible vis à vis de ses congénères comme de son environnement naturel. Bref, la notion de développement durable – curieux pléonasme, soit dit en passant – n'a nul besoin de je ne sais quelle théorisation technocratique abreuvée aux sources d'une planification maladive.  Le développement durable a besoin qu'on laisse les individus prospérer sur la base d'institutions aussi simples qu'efficaces, de manière à ce que chacun puisse s'enrichir sans dénier à quiconque le droit d'en faire autant. 
 
          Hélas, nous n'en sommes plus là. Il faut bien prendre conscience que, dans les pays développés, le vingtième siècle est beaucoup moins celui de la mondialisation libérale que celui de l'étatisation à outrance des sociétés et des économies. Plus exactement, l'intensification des échanges internationaux est, en quelque sorte, le prolongement d'une tendance socio-économique probablement amorcée depuis la Renaissance (voire depuis l'aube de l'humanité...). En revanche, l'État-providence constitue indéniablement une innovation du vingtième siècle, du moins par rapport à celui qui l'a précédé. 
 
          Le magazine mensuel français Capital a consacré son numéro du mois d'août 2003 à un remarquable dossier sur la « fabuleuse histoire de l'économie » du monde, des origines de l'humanité jusqu'à nos jours. On y découvre, pour la France, que le pourcentage des dépenses publiques dans le PIB est de 9% environ en 1913. Le même chiffre est aujourd'hui de 52%. Même s'il faut envisager ces comparaisons inter temporelles avec précaution (notamment pour des raisons tenant à la fiabilité du matériau comptable et statistique), une telle évolution m'interdit évidemment de qualifier la France de « pays libéral ». Nous vivons stricto sensu dans une société d'économie mixte, métissée de capitalisme (pas toujours libéral, d'ailleurs) et de socialisme. Or, nous verrons dans un article ultérieur en quoi notre socialisme « démocratique » cultive une logique de l'économie dont tous les militants écologistes sincères feraient bien de s'inquiéter. 
  
  
1. En France, ce courant est évidemment mal connu – sa confidentialité électorale l'atteste – mais il existe sous la dénomination d'écologie bleue. Un mélange intéressant d'écologie et de libéralisme (dans les limites du « raisonnable », bien entendu mais c'est déjà bien), dont la figure de proue politique est Brice Lalonde.  >>
2. Précisons d'ailleurs que les théoriciens du Club de Rome eux-mêmes n'entendent pas renoncer au développement économique…  >>
3. Paul R. Krugman, La mondialisation n'est pas coupable, La Découverte & Syros, Paris, 2000.  >>
4. Ce qui démontre si besoin en était que le capitalisme n'est pas sexiste.  >>
5. Un actif est un bien ou un droit générateur de revenus; il s'agit de la terminologie comptable de ce qu'en économie, on appelle plus souvent, le « capital ».  >>
6. Dans le même ordre d'idées, de nombreux savants écologistes s'inquiètent de l'extinction d'espèces végétales pourtant riches de potentialités pharmacologiques. Mais si tel est le cas – et l'expertise des savants peut ici être utile – pourquoi les laboratoires pharmaceutiques ne se porteraient-ils pas acquéreurs de réserves naturelles riches en végétaux rares? Notons que cette incitation serait maximale si nos généreux systèmes de protection sociale daignaient considérer les médicaments pour ce qu'ils sont, soit des biens rares.  >>
7. Voir Max Weber, L'éthique protestante et l'esprit du capitalisme, Plon, Paris, 1964.  >>
8. Ces affaires civiles sont en effet d'une grande complexité et peuvent avoir des conséquences cruciales pour de nombreux individus, de sorte qu'il convient de leur appliquer une justice à la fois spécialisée, rationnelle et fortement adaptative.  >>
 
 
Articles précédents de Erwan Quéinnec
 
 
<< retour au sommaire
 PRÉSENT NUMÉRO