Montréal, 25 octobre 2003  /  No 131  
 
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Marc Grunert enseigne les sciences physiques dans un lycée de Strasbourg et anime le Cercle Hayek, consacré à la réflexion et à la diffusion du libéralisme. Il est également éditeur adjoint du QL pour la section européenne.
 
CHRONIQUE DE RÉSISTANCE
 
LE RACKET FISCAL FAIT UN TABAC
 
par Marc Grunert
  
  
          « Un État totalitaire vraiment "efficient" serait celui dans lequel le tout-puissant comité exécutif des chefs politiques et leur armée de directeurs auraient la haute main sur une population d'esclaves qu'il serait inutile de contraindre, parce qu'ils auraient l'amour de leur servitude. La leur faire aimer – telle est la tâche assignée dans les pays totalitaires d'aujourd'hui, aux ministères de la propagande, aux rédacteurs en chef de journaux, et aux maîtres d'école. »  
– Aldous Huxley, Le meilleur des mondes
  
          À quoi j'ajoute que nos démocraties, avec leur fascisme soft, sont les régimes qui, dans l'histoire, répondent le mieux à la cauchemardesque fiction réaliste de Aldous Huxley. 
  
  
 
          « Après avoir augmenté de 8% à 16% en janvier, le prix des cigarettes a grimpé de 18% à 20% le 20  octobre, et une hausse comparable est prévue en janvier 2004. »(1) « Les spécialistes prédisent une "catastrophe sanitaire" liée au tabagisme féminin. »(2) 
  
          Voilà deux phrases extraites d'un quotidien inféodé à la nomenklatura social-démocrate. Elles expriment les deux aspects de la campagne antitabac qui occupe en ce moment le gouvernement et la presse, et qui vise à intimider le « citoyen », comme pour dire: « le fisc et la science se sont mis d'accord, soumettez-vous! »  
  
          Le premier aspect de cette campagne est le racket fiscal de la maffia étatique. Le second pourrait se décrire comme l'activité normale d'un ministère de la Vérité: de la pure et simple propagande. Mais en est-il vraiment besoin quand la presse libre, mais volontairement asservie, assume cette fonction avec autant de zèle? 
  
Racket fiscal 
  
          Suivons le raisonnement de Philippe Simonnot dans L'Invention de l'État: Économie du droit(3): « plus riche sera la population, plus haut sera le prix auquel elle [la maffia qui jouit d'un monopole du crime sur un territoire donné] pourra vendre sa protection à la fois contre les crimes qu'elle pourrait commettre elle-même et contre les crimes qu'elle empêche d'autres bandits de commettre. » (p. 392). Par ailleurs, Simonnot reprend de Olson(4) l'idée que « la maffia, au lieu de dépenser pour elle tous les revenus qu'elle tire de la population qui lui est soumise, va en consacrer une partie à la production des "biens publics" – levées de terres contre les inondations, police pour dissuader du crime, armée contre les envahisseurs, quarantaine contre les contagions, autant de mesures susceptibles d'accroître la productivité du travail. » (p. 394).  
  
          Et pour quelle raison cet argument de l'intérêt général émerge-t-il? Parce que tout le monde ne peut pas faire partie de la classe des bandits « stationnaires » ou itinérants. En effet, « Si l'activité qui consiste à voler est très rentable, elle attire de nouveaux voleurs. Mais du même coup, cette activité, comme toute activité, va encourir la loi des rendements décroissants. Le rendement du voleur marginal baisse et de même le rendement du voleur moyen, d'autant plus vite que plus nombreux sont les voleurs, moins il y a de personnes pour produire des choses à voler, et le gâteau à partager diminue comme peau de chagrin. » (p. 402) 
  
          Mais alors se pose la question: que se passe-t-il dans le cas où les bandits seraient suffisamment nombreux pour qu'ils soient eux-mêmes concernés par le problème de la diminution des richesses? Car, c'est bien là que nous en sommes en France. Les dépenses publiques sont loin de servir uniquement aux besoins que l'on pourrait qualifier d'intérêt général, la lutte contre le crime, la police des droits individuels. Plus rien ne se passe, en France, qui ne soit plus ou moins subventionné, voire complètement financé par de l'argent public. 
  
          Ainsi dès que la croissance économique faiblit, par un effet en retour de l'activisme et de la prédation étatiques, les recettes de l'État sont mises en danger. Dès lors, que faire? Couper dans les dépenses, rendre à chacun ce qui lui appartient (Tiens? le Christ est-il libéral?), libérer la société des taxes et des textes réglementaires qui font de toute personne entreprenante soit un frustré soit un délinquant. Fi de tout cela, il faut constater que la solution imaginée par les politiciens-prédateurs n'est pas de réduire le train de vie de leurs administrations, ni de mettre un frein à leur activisme, ni même de réduire les subventions et autres droits « sociaux » octroyés à leurs électeurs. Non! Elle consiste astucieusement à lancer une campagne d'angélisme « antitabac » pour justifier un nouveau racket fiscal: les fumeurs, c'est-à-dire presque tout le monde, doivent payer... pour avoir le droit d'être libres. Ils doivent payer pour avoir le droit de s'adonner à leur vice privé. Or les vicieux mettent seulement leur vie en péril, ce qui les regarde, mais ils menacent aussi, paraît-il, l'équilibre comptable de la sécurité sociale nationale, soviétique, collectivisée, monopolistique. Vous savez bien, celle que tout le monde nous envie. Faut dire qu'on la paie fort cher. 
  
Fascisme sanitaire 
  
          Un philosophe américain, Lysander Spooner(5) a démontré, au XIXe siècle, que les vices, tant qu'ils ne mettent en péril que leur auteur, n'impliquent aucune agression et donc aucune raison pour que la force publique agisse. Mais c'est oublier que lorsque que la santé est « publique », lorsque la « sécu » est collectivisée, au sens communiste du terme, alors la santé de chacun est du ressort de tout le monde. La « sécu » à la française, obligatoire et monopolistique réalise le rêve communiste: personne n'est propriétaire de lui-même, nos actes engagent la collectivité tout entière, nous nous appartenons tous mutuellement les uns aux autres. Voilà la triste réalité, qu'on l'admette ou pas, de notre système de santé, dont on sait, d'ailleurs, que les communistes d'après-guerre, n'y sont pas pour rien (lire à ce sujet l'excellent livre de Maurice Druon, La France aux ordres d'un cadavre, éditions de Fallois, 2000). 
  
          La logique de tout collectivisme est de s'approprier, de cannibaliser les individus. Comme dans Le meilleur des mondes d'Huxley, les enfants sont conditionnés dès la maternelle, l'école primaire, le collège, en vue d'intégrer le syllogisme suivant: la solidarité (obligatoire) est le Bien, l'État garantit ladite sécurité, l'État est le Bien. Mais l'adolescent est naturellement rebelle et individualiste. Alors que fait-on? On brise cet élan vers soi en lui montrant les bienfaits d'un État solidaire devant lequel il doit faire sa révérence et pour lequel il devra étouffer en lui toute velléité de vivre par et pour lui-même. On lui enseigne l'éthique sacrificielle d'État. Telle est la mission métaphysique de l'Éducation Nationale. J'insiste ici sur le terme « métaphysique » car il renvoie à la nature du genre d'institutions auquel appartient l'Éducation Nationale, sans que pour autant leurs membres et leurs victimes en soient réellement conscients. 
  
     « Malgré tous leurs discours hypocrites sur la santé publique, on voit bien qu'une seule chose intéresse nos politicards: équilibrer les comptes du système soviétique de santé et ramasser le plus de taxes possible. »
 
          Cette appropriation de l'individu par l'État, qui prend le contrôle des individus-citoyens, est précisément la condition de possibilité du chantage de l'État qui fixe arbitrairement le prix des produits les plus courants (carburant, cigarettes, TVA, CSG...). Relent de soviétisme! Évidemment. Les mêmes causes engendrent les mêmes effets. La pseudo-droite au pouvoir ne fait rien d'autre que soviétisme rampant. 
 
          Alors la hausse vertigineuse de la taxe sur la vente des cigarettes. Qu'en penser? Elle s'inscrit évidemment dans cette logique en spirale des finances publiques: plus je dépense, plus mes revenus doivent augmenter. Notez que c'est pas donné à tout le monde! En général on dépense en fonction de son budget. Ben non! Les politiciens font leur budget (« prévisionnel »! Faut-il en rire?) en fonction de leurs dépenses. Mais tout cela pourquoi? N'importe qui le sait: pour demeurer au pouvoir, se pérenniser, acheter des clientèles électorales. C'est ça le boulot d'un vrai démocrate.  
  
          Malgré tous leurs discours hypocrites sur la santé publique, on voit bien qu'une seule chose intéresse nos politicards: équilibrer les comptes du système soviétique de santé et ramasser le plus de taxes possible. Pour preuve, le gouvernement voulait pouvoir avoir accès aux listings des abonnés aux sociétés de distribution télé par câble, tout ça pour faire la chasse aux fraudeurs de la redevance. Mais la commission « informatique et liberté » l'en a empêché, in extremis! Encore heureux! Mais c'est l'intention qui compte, comme on dit... 
  
La boucle médias-État 
 
          Dans cette campagne antitabac qui sévit en France, il ne faut pas oublier le cercle vicieux qui met en boucle les médias et l'État. Pour l'État, l'augmentation des taxes sur le tabac doit engendrer des revenus. Pour les médias, il s'agit de satisfaire la classe politique en menant une campagne sur mesure « antitabac ». Les Hommes de l'État font alliance avec les fanatiques de la lutte contre le tabac. Mais attention à la courbe de Laffer! Trop d'impôt tue l'impôt(6). La nouvelle taxe peut, selon la position sur la courbe de Laffer, produire davantage de recette, mais également faire chuter la consommation de tabac, ce qui serait contre-productif pour la tyrannie fiscale. Pour autant les fascistes verts et les médias complices pourront encore continuer leur croisade. 
  
          Un autre paramètre peut donner espoir à l'État. Il paraît que les soins et donc le coût pour la sécu publique occasionné par les fumeurs vont diminuer si la campagne et le harcèlement antifumeurs sont suivis d'effets... suffisants. Nous y voilà donc. Si l'État n'est pas gagnant à court terme (avec les taxes), il le sera peut-être à moyen terme, avec moins de malades. Calcul tout de même aléatoire car un retraité non productif coûte lui aussi quelque chose à la « collectivité » (c'est malheureux à dire car mes parents sont retraités, mais est-ce ma faute si nous vivons dans un monde socialiste?). En tout cas, cela met en lumière une chose: nous ne sommes plus les propriétaires de nous-mêmes, de notre corps, mais une simple marchandise étatique. Luttons contre la marchandisation politique du monde! 
  
          Il faut retenir une chose: L'État, national ou européen, est en passe de contrôler tous nos comportements, ce que nous mangeons, ce que nous fumons, et j'en passe. Comment appeler un régime, fût-il « démocratique », qui contrôle nos comportements, par idéologie, mais aussi par le plus sordide des moyens: la taxe?  
  
          La réponse s'impose d'elle-même: une pseudo-démocratie fasciste. 
  
          Mais le danger pour la liberté, c'est aussi l'ONU et ses organes fascistoïdes comme l'Organisation mondiale de la santé (OMS)(7). Comme je l'ai écrit, l'ONU est un proto-État mondial (voir L'UNESCO: MACHIAVEL PÉDAGOGUE, le QL, no 113). Des arrivistes politicards comme Chirac veulent même transformer l'ONU en « gouvernance mondial ». À qui profite le crime?, ai-je envie de dire. Bref, ce texte émanant de l'OMS démontre une chose: les normes politiques et même notre conduite au quotidien sont dictées au plus haut niveau, dans les sphères éthérées des conclaves de l'ONU. Et nul doute que nombreux sont nos hommes de l'État à vouloir devenir le pape de l'ONU. 
  
  
1. Nicolas Bastuck (à Metz), Jean-Paul Dufour (à Lille) et Clarisse Fabre (à Paris), « Les buralistes font grève contre la hausse du prix des cigarettes », Le Monde, 21 octobre 2003.  >>
2. Sandrine Blanchard, « Les spécialistes prédisent une "catastrophe sanitaire" liée au tabagisme féminin », Le Monde, 21 octobre 2003.  >>
3. Philippe Simonnot, L'invention de l'État: Économie du droit, Les Belles Lettres, 2003, 432 pages.  >>
4. Mancur Olson, Power and Prosperity, Outgrowing communist and capitalist dictatorships, Basic Books, 2000.  >>
5. Lysander Spooner, Les vices ne sont pas des crimes, Les Belles Lettres, 1993, 109 pages.  >>
6. Voir la courbe de LAFFER: http://psteger.free.fr/courbelaffer.htm>>
7. Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac, Cinquante-Sixième Assemblée mondiale de la Santé, 21 mai 2003.  >>
 
  
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