Montréal, 20 décembre 2003  /  No 135  
 
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André Dorais a étudié en philosophie et en finance et vit à Montréal.
 
 
 
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ÉTHIQUE LIBERTARIENNE
 
RÉSERVES FRACTIONNAIRES
ET CYCLES ÉCONOMIQUES *
 
par André Dorais
  
   « Le premier objectif d'une politique monétaire doit être d'empêcher les gouvernements de créer et l'inflation et les conditions qui encouragent les banques à accroître le crédit. »
 
– Ludwig von Mises
  
          Les réserves fractionnaires sous l'égide de l'étalon-or constituent un système de prêt qui permet aux banques d'émettre plus de reçus qu'il n'existe d'or en réserve. Ce système émet donc des promesses de payer, c'est-à-dire des dettes légales pour les banques, qui ne peuvent être remboursées sur demande. Mises qualifiait ces reçus de « monnaie de crédit » ou de « monnaie fiduciaire ».
 
Un reçu qui vaut de l'or! 
  
          Dans un monde où les reçus légitimes (certificats) sont identiques aux reçus illégitimes (monnaie fiduciaire), une banque émettrice fait face à une opportunité et une menace. L'opportunité est de recevoir quelque chose pour rien, soit un paiement d'intérêt en échange d'une fausse réclamation de monnaie métallique. La menace est que le crime soit dévoilé et que les épargnants courent à leur banque pour y retirer leur or.  
  
          Les banques ont souvent été prises en flagrant délit d'avoir émis plus de dettes qu'elles ont d'actifs. Cependant, dans notre monde merveilleux l'État légifère soit pour empêcher les foules de se précipiter à leurs banques afin d'y retirer leur propriété, soit pour sauvegarder les banques frauduleuses afin d'éviter que la panique s'étende. 
  
          Depuis la création de la Banque d'Angleterre, en 1694, les politiques gouvernementales ont pour objectif de soutirer l'or de leurs propriétaires pour le transférer au cartel bancaire. Cette pratique a été répétée décennie après décennie. D'abord, l'or est échangé contre des reçus, ensuite, plus de reçus sont émis qu'il n'y a d'or en réserve. Lorsque les individus se précipitent à leurs banques pour y retirer leur fric, la plupart du temps à l'approche d'une guerre, le gouvernement légifère pour permettre aux banques de ne pas avoir à remettre l'or à leurs propriétaires. 
  
          La monnaie de crédit trouve son origine dans la suspension de la convertibilité en or de tous les substituts, bien qu'il s'agisse plus souvent de certificats et de billets bancaires. Cette suspension transforme les promesses de payer immédiates en promesses de payer à une date ultérieure. Bien qu'inacceptable cela n'est rien comparé au décret qui empêche à jamais les gens de récupérer leur argent, car cela ne constitue pas qu'une autre promesse non tenue des politiciens, mais un bris de contrat, un vol. Cette violation de propriété reste impunie, car elle est commise par le gouvernement.  
  
          En plus d'avoir brisé leur contrat les gouvernements ont gardé les biens volés à la maison mère du cartel, soit à la banque centrale. La plupart des gouvernements du monde ont agi ainsi. Ces événements se sont généralement déroulés au début de la première guerre mondiale. Les États-Unis ont pris plus de temps. En 1933, le président Franklin Roosevelt a littéralement confisqué tout l'or disponible servant de monnaie qui n'était pas dans les banques. Le 31 janvier 1934 Roosevelt décrétait le prix de l'or à 35$. En 1971, le président Richard Nixon éliminait l'or comme ancrage de la monnaie et demandait aux étrangers d'accorder leur confiance au dollar américain comme réserve mondiale. 
  
          Les divers gouvernements du monde et leurs banques centrales ont donc démonétisé l'or en le retirant progressivement de l'économie. Il s'agit rien de moins que de la plus grande fraude financière de l'histoire humaine. Tout a été fait de manière officielle. Tous les systèmes monétaires basés sur une monnaie métallique et gérés par les gouvernements ont subi le même sort. 
  
          Lorsque les détenteurs de réclamations d'or pouvaient poursuivre les banques qui refusaient d'honorer leurs contrats, le système d'étalon-or limitait les tendances inflationnistes des banques à réserves fractionnaires. Après la Grande Guerre, banques commerciales et banques centrales en collusion avec les gouvernements nationaux ont détruit ce système. Les banques centrales ont gardé l'or en échange de la survie des banques frauduleuses.  
  
          Le système monétaire basé sur l'étalon-or a d'abord été nationalisé puis aboli. Les banques centrales peuvent dévaluer ainsi plus facilement la dette gouvernementale en imprimant constamment des billets. Cette inflation se fait sur le dos de tous les payeurs de taxes, mais particulièrement aux frais des investisseurs d'obligations gouvernementales. Voilà l'évolution de la banque centrale de 1694 à nos jours.  
  
          La seule différence, mais elle est de taille, entre le système des réserves fractionnaires ancré sur l'étalon-or et le même système sans contrepartie métallique est que ce dernier n'a aucune contrainte de profit et de production. Il faut se rappeler que plus l'offre de monnaie est grande plus il y a inflation, redistribution de richesse et cycles économiques prononcés. La monnaie n'est en effet ni un bien de consommation ni un bien de production.  
  
          Une des raisons principales qui expliquent que les gens ne questionnent pas trop ce système est qu'ils ont été leurrés par un avantage que leur octroient les banques. Dans un système où les réserves sont pleines et entières, pour qu'un individu puisse emprunter, un épargnant doit d'abord sacrifier l'usage qu'il pourrait faire de son argent durant une période quelconque. C'est comme si on généralisait les dépôts à terme. S'il n'y a pas de déposant, il ne peut y avoir d'emprunteur. Au contraire, dans un système à réserves fractionnaires l'épargnant n'a rien à sacrifier puisqu'il peut retirer son argent en tout temps. Si les banques vous offrent cette possibilité ce n'est pas parce qu'elles sont généreuses, mais parce qu'elles prêtent plus de réclamations qu'elles ont de monnaie en dépôt. Cependant, ne les blâmez pas, ce sont les gouvernements qui ont légalisé et amplifié la procédure. 
  
          Les tenants des réserves fractionnaires dénoncent l'étalon-or à cause de l'impossibilité d'accroître le crédit à volonté. Au contraire, pour les tenants de l'étalon-or, cette raison n'est pas un vice mais une vertu du système. Dans l'un comme dans l'autre système les banques peuvent continuer à jouer leur rôle d'intermédiaire entre prêteurs et emprunteurs. Cependant, seul le second évite la redistribution massive de richesse et les cycles économiques.  
  
Cycles économiques? 
  
          Un cycle économique réfère à un intervalle de temps pendant lequel une séquence d'événements, récurrents et successifs, est complétée. On parle généralement de périodes d'expansion et de contraction économiques. La plupart des gens y compris les économistes considèrent que les récessions et ce qui les caractérisent (hausse du chômage, des faillites, etc.) sont dues au mauvais fonctionnement du marché. Ils se trompent. 
  
          Lorsqu'on parle de récession on évoque une mauvaise allocation des ressources. Dans une économie libre, l'allocation des ressources varie selon nos préférences. Préférez-vous consommer aujourd'hui ou plus tard? Préférez-vous des biens présents ou des biens futurs? Autrement dit, désirez-vous consommer ou investir dans des biens de production? Les choix que vous faites correspondent à vos préférences temporelles et celles-ci forment la base du taux d'intérêt. Par conséquent, le taux d'intérêt ne peut être confiné à des questions d'ordre monétaire.  
  
     « Les divers gouvernements du monde et leurs banques centrales ont donc démonétisé l'or en le retirant progressivement de l'économie. Il s'agit rien de moins que de la plus grande fraude financière de l'histoire humaine. »
 
          Le taux d'intérêt est indissociable à la théorie monétaire sans en être l'apanage. Puisque les préférences forment la base du taux d'intérêt – Mises parle de taux d'intérêt originaire – celui-ci est donc fondamentalement le résultat d'appréciations subjectives et par conséquent ne peut être mesuré objectivement. Dire que les manitous des banques centrales réduisent ou augmentent le taux d'intérêt est donc absurde. En manipulant le taux d'intérêt officiel (qui se répercute sur les taux du marché), ils essaient d'influencer vos choix, vos préférences. Tous ce qu'ils réussissent à produire, ce sont de mauvais investissements en particulier et un plus grand endettement en général. À l'instar de leur contrôle sur la production de monnaie leurs manipulations du taux d'intérêt engendrent également une redistribution des richesses dont ils ne peuvent prédire qui en seront les bénéficiaires.  
  
          L'homme agit au présent et préfère généralement consommer maintenant que de reporter sa consommation à plus tard. Il s'abstient aujourd'hui dans l'espoir d'obtenir des biens futurs de plus grande valeur. Il escompte ainsi non seulement l'argent mais tous les biens à venir. On parle d'un escompte ou d'un taux d'intérêt « objectif » lorsqu'on réfère au marché, car il varie de moins en moins lorsque tous les vendeurs et tous les acheteurs en arrivent à une entente. Néanmoins, il y a toujours une gamme de taux d'intérêt, car on doit y ajouter les composantes risque et inflation qui varient selon le projet et la production de monnaie. 
  
          Dans un système à réserves pleines et entières il est pratiquement impossible de manipuler le taux d'intérêt, car la quantité d'argent est presque fixe. Ainsi, le banquier doit chercher à faire correspondre crédit et dette (prêteur et emprunteur) à la fois en terme de magnitude et de durée. Au contraire, dans un système à réserves fractionnaires où l'argent coule à flots il est facile de manipuler le taux d'intérêt pour influencer les gens. 
  
          Ainsi, les gens qui ont une forte propension à consommer escomptent beaucoup l'avenir et par conséquent ont un « taux originaire » élevé. Au contraire, ceux qui épargnent beaucoup escomptent peu l'avenir, c'est-à-dire qu'ils préfèrent retarder leur consommation. 
  
          Voilà qu'arrive l'homme de l'État, le maître manipulateur. Il baisse le taux directeur, soit le taux d'intérêt décrété par la banque centrale, car il veut que vous dépensiez pour « relancer » l'économie qu'il croit contrôler. Il ne se préoccupe pas de savoir si vous allez consommer ou investir: pourvu que le PIB monte, à ses yeux, c'est bon signe.  
  
          À ce taux réduit, le coût du crédit diminue, et plusieurs investisseurs se disent qu'il sera rentable d'investir dans de nouveaux projets qui répondront à une consommation future accrue. Ils achètent des biens de production qui subissent une pression à la hausse de leurs prix; du moins, ces investissements augmentent la valeur marchande des entreprises qui fabriquent ces biens. Les manufacturiers sont alors en pleine croissance. Celle-ci sera toutefois de courte durée car la production est due, du moins en partie, à une perception faussée des entrepreneurs qui aurait été différente sans l'intervention de la banque centrale sur le taux d'intérêt. Dans un marché libre, des taux d'intérêt plus bas signifient qu'il existe au sein de la population une propension plus grande à épargner et à reporter à plus tard leur consommation de certains biens. Mais lorsque les taux sont artificiellement réduits, cette information est erronée 
  
          Les travailleurs des secteurs ayant profité des investissements se sont enrichis et consomment maintenant davantage, ce qui a pour effet de hausser les prix des biens de consommation en demande. Lorsque les banques ont baissé le taux d'emprunt certains n'ont pas envisagé investir, mais plutôt consommer davantage à crédit. Ces actions combinées aux autres haussent les prix des biens de consommation, y compris les maisons. Or, cette consommation accrue plus tôt que prévue par les producteurs dérange leurs plans. Ainsi, plusieurs des projets demeurent inachevés. L'équipement laissé en plan devra être utilisé à d'autres fins ou vendu à perte. Les prix de ces biens et entreprises subissent alors une énorme pression à la baisse.  
    
          Avant que la situation s'améliore elle s'empire. N'oublions pas que ces manipulations du taux d'intérêt sont accompagnées d'une augmentation du crédit par les banques. De sorte que lorsque la contraction survient le taux d'intérêt doit augmenter plus que le niveau où il était avant l'expansion de crédit, car les prix des biens ont augmentés et investir est devenu plus risqué. Plus les apprentis sorciers des banques centrales retiennent le taux d'intérêt à un niveau plus bas qu'il le serait sans leurs interventions et qu'ils poursuivent l'expansion de crédit, plus la valeur de la monnaie fondra comme neige au soleil. Alors le taux d'intérêt sur les prêts (taux du marché) variera proportionnellement de façon inverse, c'est-à-dire qu'il augmentera très rapidement. 
  
          La récession est le processus du marché par lequel les prix retournent à des niveaux qui reflètent les préférences réelles des gens. Ce n'est pas la récession qui les appauvrit, mais l'expansion économique due aux manipulations monétaires des sorciers souvent encouragées, malheureusement, par les syndicats et simples consommateurs. 
  
          En somme, le cycle économique n'est pas dû au libre marché, mais au système bancaire. Cependant, avant d'accuser les banquiers qui gèrent en partie ce système il faudrait accuser les politiciens qui l'ont mis en place. Ce sont eux qui fabriquent la fausse monnaie. Ce sont eux qui ont retiré puis confisqué les véritables monnaies qu'étaient l'or et l'argent métallique. Ce sont eux qui ne respectent pas leur contrat. Ce sont eux qui protègent les banques de la faillite en taxant plutôt les payeurs de taxes. Ce sont leurs manipulations qui accentuent les cycles économiques, lesquels réduisent la liberté de tous et la richesse de plusieurs.  
  
          Même si les politiciens sont les principaux coupables de la mise en place de ce système, plusieurs autres en sont complices. En premier lieu, les économistes et autres analystes financiers qui accusent le marché et particulièrement les entrepreneurs d'être coupables d'imperfections et de défaillances, tout en étant incapables d'identifier la moindre faute commise par le gouvernement. Il est vrai que plusieurs y travaillent... Que certains entrepreneurs soient avares et malfaisants est une chose, que le mal soit érigé en système en est une autre. L'incapacité d'établir cette différence distingue celui qui fait de la science de celui qui fait de la démagogie. 
  
L'effondrement de la monnaie fiduciaire 
  
          « Ce serait une erreur de croire que l'organisation moderne de l'échange peut continuer ainsi. Elle porte en elle le germe de sa propre destruction; le développement de la monnaie fiduciaire doit nécessairement mener à son effondrement. » (The Theory of Money and Credit, p. 409, traduction libre) Mises écrivait ces mots en 1912. Je crains qu'ils ne se concrétisent dans un avenir rapproché. L'Argentine, le pays le plus riche d'Amérique du Sud il y a 50 ans, en est aujourd'hui au troc. Si le château de carte construit par la Fed s'effondre et entraîne d'autres monnaies importantes dans sa chute, c'est une réduction draconienne de la division du travail à l'échelle mondiale qui risque de s'ensuivre.  
  
          En attendant un système bancaire entièrement libre de toute intervention gouvernementale Mises faisait les recommandations suivantes: cesser de créer de la monnaie, et donc abolir la banque centrale et laisser les banques ayant octroyé trop de crédit faire faillite. Ce qui implique, d'une part, l'abolition de l'assurance dépôt, qui ne fait qu'inciter les banques à prêter plus d'argent qu'elles n'en possèdent en réalité et, d'autre part, permettre aux gens de retirer leur argent des banques en tout temps, c'est-à-dire de respecter leur propriété. Ensuite ou en parallèle on devrait retourner à l'étalon-or, du moins à une monnaie métallique, sans que le gouvernement se mêle de près ou de loin des questions de monnaie.  
  
          Le système monétaire, à l'instar des autres divisions d'une économie de marché, fait partie d'un système qui s'ajuste et se règle par lui-même. Cela se fait par l'entremise des « sanctions » que sont les profits et pertes. La monnaie a été générée par le marché et elle s'ajuste par lui. La monnaie et le système bancaire ne sont pas indépendants du marché, ils en sont une extension. Le gouvernement doit donc débarrasser le plancher. 
  
  
* Il s'agit d'un résumé personnalisé des 4e, 5e et 6e parties de Mises on Money de Gary North. La citation en épigraphe est une traduction libre de Human Action p. 224.
  
 
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