Montréal, 20 décembre 2003  /  No 135  
 
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Daniel Vignola est originaire du Québec et vit à Calgary depuis plusieurs années.
 
 
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OPINION
  
PIE XI, LE CORPORATISME ET LE FASCISME
 
par Daniel Vignola
  
  
          À la faveur de quelques clics dans les archives du Québécois Libre, je suis récemment tombé sur un texte d'Edward W.Younkins commentant un ouvrage du penseur catholique américain Michael Novak intitulé The Catholic Ethic and the Spirit of Capitalism. Dans ce compte-rendu (voir MICHAEL NOVAK'S VISION OF DEMOCRATIC CAPITALISM, le QL, no 76), le collaborateur du QL expose les idées de M. Novak, notamment une interprétation de la doctrine sociale de l'Église pendant l'entre-deux-guerres avec laquelle il y a lieu d'être en désaccord.  
 
          M. Younkins écrit (je traduis): 
              La vieille conception de la justice sociale [...] donne à l'État l'autorité et le pouvoir d'instaurer un ordre social et légal. Voilà le genre de justice sociale que Hayek condamne comme étant un idéal aride et abstrait promu par un État tout-puissant qui encourage la dépendance et la soumission. Ce n'est pas le concept de justice sociale que Pie XI rendit canonique en 1931 dans son encyclique Quadragesimo Anno. Ce que Pie XI promut, ce n'était pas l'État corporatiste dirigé du haut vers le bas mais plutôt la revitalisation de la société civile fondée sur le « principe d'association ».
          Le concept de justice sociale condamné par F.A. Hayek est pourtant bel et bien celui que Pie XI promut dans ses encycliques Quadragesimo Anno (1931) et Divini Redemptoris (1937), contrairement à ce que M. Novak laisse entendre. Dans son ouvrage The Mirage of Social Justice, Hayek écrit:  
              Il semble que la justice sociale ait été embrassée par une large partie du clergé de toutes les dénominations chrétiennes qui, perdant de plus en plus la foi en une révélation surnaturelle, paraisse avoir cherché refuge et consolation dans une nouvelle religion « sociale » qui substitue une promesse de justice temporelle à la promesse de justice céleste. L'Église catholique, en particulier, a incorporé l'objectif de «justice sociale» à sa doctrine officielle.
          À la note explicative # 7 suivant ce passage, Hayek identifie spécifiquement les encycliques Quadragesimo Anno et Divini Redemptoris de Pie XI comme exemples de « mirage de la justice sociale ». Dans les circonstances, prétendre que Hayek ne condamnait pas la version Pie XI de la justice sociale n'est tout simplement pas conforme à la réalité. Hayek ajoute: « Ce à quoi nous avons affaire dans le cas de la "justice sociale" c'est tout simplement à une superstition quasi-religieuse que nous devrions laisser tranquille tant qu'elle ne fait que rendre heureux ceux qui y croient mais que nous devons combattre lorsqu'elle devient un prétexte à la coercition d'autres hommes. »(1) 
 
          Les tenants de la justice sociale considèrent qu'une inégalité, même lorsqu'elle résulte de décisions prises sans coercition, est le symptôme d'une injustice que l'État doit corriger alors que Hayek explique que la justice, c'est un attribut de la conduite humaine et rien d'autre. Si, au meilleur de leurs connaissances et sans coercition, deux personnes prennent des décisions qui en amènent une à la faillite et l'autre à la prospérité, l'inégalité qui en résulte n'est pas une injustice. « C'est la façon dont la compétition est menée qui compte et non le résultat de cette compétition. »(2) La redistribution systématique par l'État au nom de la justice sociale punit ceux qui par leur inventivité et leurs efforts réussissent et récompense ceux qui échouent. 
 
          Quelques extraits des deux encycliques mentionnées ci-haut illustrent combien les principes de Pie XI conduisent à une redistribution à grande échelle organisée par un État coercitif et omniprésent. 
 
          De Divini Redemptoris(3): 
 
51. C'est précisément la fonction de la justice sociale d'imposer aux membres de la communauté tout ce qui est nécessaire au bien commun. 
 
          De Quadragesimo Anno: 
 
25. L'État n'est pas seulement le gardien de l'ordre et du droit, mais [...] il doit travailler énergiquement à ce que, par tout l'ensemble des lois et des institutions, la constitution et l'administration de la société fassent fleurir naturellement la prospérité tant publique que privée. 
 
49. L'autorité publique peut donc, s'inspirant des véritables nécessités du bien commun, déterminer, à la lumière de la loi naturelle et divine, l'usage que les propriétaires pourront ou ne pourront pas faire de leurs biens.
Pie XI
 
50. L'homme n'est pas non plus autorisé à disposer au gré de son caprice de ses revenus disponibles. 
 
57. Les ressources que ne cessent d'accumuler les progrès de l'économie sociale doivent donc être réparties de telle manière entre les individus et les diverses classes de la société [...] que soit respecté le bien commun de la société tout entière. 
 
Utopie corporatiste 
  
          Contrairement à une autre affirmation de M. Novak, c'est bel et bien dans le corporatisme que Pie XI fonda l'espoir de réaliser son utopie. À la section 32 de son encyclique Divini Redemptoris, le pape l'affirme sans équivoque: 
              Les moyens de sauver le monde actuel de la ruine dans laquelle le libéralisme amoral nous a plongés [résident] dans l'instauration d'un ordre économique inspiré par la justice sociale et les sentiments de la charité chrétienne. [...] Une saine prospérité doit se baser sur les vrais principes d'un corporatisme sain qui respecte la hiérarchie sociale nécessaire. [...] Toutes les corporations doivent s'organiser dans une harmonieuse unité, en s'inspirant du bien commun de la société.
          Faisant écho aux directives de Pie XI, le cardinal J.-M.-Rodrique Villeneuve, primat de l'Église catholique canadienne durant l'entre-deux-guerres, prononça plusieurs discours favorables au corporatisme. Dans celui du 17 avril 1937, il déclara: « Nous avons ici et là quelques bribes de justice sociale, mais ces semblants de correctifs ne suffisent pas. C'est plus que cela qu'il nous faut, c'est du corporatisme à plein. » (Le Devoir, 19 avril 1937, p.7) 
 
          Afin de favoriser la dissémination des principes du corporatisme dans le grand public, le cardinal encouragea la mise sur pied du magazine L'Ordre Nouveau. Publiée sous ce nom de 1936 à 1939, la publication comptait parmi ses principaux collaborateurs François-Albert Angers et Esdras Minville, économistes et professeurs aux HEC, Alfred Charpentier, président de la Confédération des travailleurs catholiques canadiens, l'ancêtre de l'actuelle CSN, ainsi que Gérard Filion qui allait devenir directeur du Devoir en 1947. En 1939, lorsque la rédaction largement assumée par les Jésuites décida d'élargir son champ d'étude à l'ensemble des questions politiques, sociales et culturelles, elle profita de la transition pour rebaptiser la publication de son nom actuel, Relations. 
 
          La philosophie du corporatisme conçoit la société non comme une cohabitation d'individus responsables de veiller à leur bien-être personnel mais plutôt comme un regroupement de corps intermédiaires, syndicats et corporations, auquel l'individu est obligatoirement rattaché. Les représentants des corps intermédiaires sont responsables d'appliquer dans leur organisation respective les grands principes décidés en haut lieu par les responsables de l'État en vue du « bien commun ». 
 
          Quadragesimo Anno désigne le syndicat d'employés ou d'employeurs comme étant la courroie de transmission de l'État qui soit la plus proche de l'individu. Tout en présentant l'adhésion au syndicat comme facultative, l'article 92 de l'encyclique spécifie que « la cotisation syndicale et d'autres contributions spéciales sont obligatoires pour tous ceux qui appartiennent à une catégorie déterminée, ouvriers aussi bien que patrons, comme sont aussi obligatoires les conventions collectives de travail conclues par le syndicat légal ». Libre d'adhérer, obligé de payer, obligé d'accepter les conditions négociées en son nom. Précisément la définition du racket de protection. 
 
          Celui qui, dans le Canada actuel, n'accepte pas qu'on lui extorque des cotisations syndicales pour financer l'érection d'une statue en l'honneur d'un leader syndical qu'il réprouve ou pour supporter quelqu'autre cause, peut toujours décider de ne pas travailler dans une entreprise syndiquée. Dans la société idéale de Pie XI, toutes les entreprises étant syndiquées, même cette option n'existe plus. L'alternative présentée par Pie XI, c'est financer des activités hostiles à la liberté par ses cotisations syndicales obligatoires ou crever de faim. 
 
          L'article 93 de Quadragesimo Anno précise que les représentants des syndicats ouvriers et patronaux d'un même secteur d'activités professionnelles sont regroupés au sein de corporations qui sont, aux dires mêmes de l'article, « de vrais et propres organes ou institutions d'État [qui] dirigent et coordonnent l'activité des syndicats ». 
 
          Dans un article qu'il consacrait au corporatisme en 1940, le magazine catholique américain The Catholic Mind précisait le rôle de la corporation: 
              [La corporation], c'est plus qu'une association volontaire puisqu'elle détient sa propre autorité de l'État tout en étant toujours subordonnée à celui-ci. [...] La corporation a le droit d'imposer des obligations à ses membres ainsi que de les représenter devant les instances supérieures de l'État. Par ailleurs, elle gère la vie économique en adaptant les produits et services aux besoins des consommateurs, en ouvrant de nouveaux marchés et en assurant la distribution, ce qui libère l'État de plusieurs problèmes secondaires souvent de nature technique. C'est plus qu'une organisation sociale puisque ce sont les principes de charité chrétienne et de justice sociale qui la guide dans ses activités.(4) 
          Toute une série de prérogatives confiées à l'État dans un système socialiste sont donc transférées aux corporations dans un système corporatiste. C'est la mise en pratique du principe de subsidiarité développé aux articles 79 et 80 de Quadragesimo Anno. Il s'agit de laisser aux groupements d'ordre inférieur, qui sont des organes de l'État rappelons-le, le soin de s'occuper des « affaires de moindre importance » (sic) afin que l'État lui-même puisse « plus librement, plus puissamment [...] diriger, surveiller, stimuler, contenir ». Faire passer cette délégation de responsabilités entre deux instances de l'État pour une promotion de l'initiative individuelle, c'est tout simplement jeter de la poudre aux yeux. 
 
Violences fascistes 
  
          Dans son ouvrage The Catholic Ethic and the Spirit of Capitalism, Michael Novak fait grand cas du fait qu'au printemps 1931, peu de temps après la publication de Quadragesimo Anno, les Chemises noires de Mussolini commencèrent à harceler et à violenter les membres de l'Action catholique italienne, une organisation vouée à la promotion des enseignements de l'Église auprès de la jeunesse. 
 
          M. Novak attribue cette violence envers l'Action catholique au fait que « les paroles [de Pie XI] soulevèrent l'ire de Mussolini et ses supporteurs beuglèrent leur aigreur envers Quadragesimo Anno »(5). En présentant les violences fascistes envers l'Action catholique comme une conséquence de la publication de Quadragesimo Anno, Michael Novak espère accréditer la thèse d'un Pie XI antifasciste. 
 
          Nulle part, cependant, Quadragesimo Anno ne dénonce le fascisme. L'objet de l'encyclique consiste à condamner le libéralisme, le socialisme et le communisme ainsi qu'à présenter un type d'organisation sociale conforme à la doctrine de l'Église. « Qu'ils se souviennent tous que ce socialisme éducateur a pour père le libéralisme et pour héritier le bolchevisme » (section 122). 
 
          Plutôt que d'avoir été des vengeances de Mussolini à l'encontre d'un prétendu antifascisme de Pie XI, les agressions fascistes du printemps 1931 contre l'Action catholique s'expliquent par le principe guidant l'État fasciste: « Tout dans l'État, rien contre l'État, rien hors de l'État ». Le régime Mussolini désirait s'assurer d'un monopole sur les activités de la jeunesse, incluant celles de l'Action catholique. Alors que le fascisme considérait la religion comme un instrument de gouvernement, le Vatican considérait plutôt que c'est l'État qui devait lui servir de bras séculier pour imposer ses préceptes. Voilà où logeait la source de la discorde. 
 
          Dans son encyclique Non Abbiamo Bisogno rendue publique le 29 juin 1931, Pie XI confirma n'avoir aucune velléité antifasciste. Après avoir reconnu à la section 20 l'apport du fascisme à la religion, le pape déclarait à la section 50: 
              Vous savez, Vénérables Frères, évêques d'Italie, par votre expérience pastorale, quelle grave, quelle funeste erreur c'est de croire et de faire croire que l'oeuvre accomplie par l'Église dans l'Action catholique et par le moyen de l'Action catholique a été remplacée et rendue superflue par l'instruction religieuse dans les écoles et par la présence d'aumôniers dans les Associations de Jeunesse du parti [fasciste] et du régime. L'une et l'autre sont très certainement nécessaires; sans elles, l'école et les Associations en question deviendraient inévitablement, et bien vite, par fatale nécessité logique et psychologique, des choses païennes.
          Enjoindre le régime fasciste de permettre le travail de l'Action catholique auprès de la jeunesse en parallèle à celui des organisations fascistes cautionnées par des aumôniers de l'Église: voilà l'essence du message papal. Cela n'a rien à voir avec la thèse de M. Novak présentant Pie XI comme un opposant au fascisme. 
 
     « L'alternative présentée par Pie XI, c'est financer des activités hostiles à la liberté par ses cotisations syndicales obligatoires ou crever de faim. »
 
          D'ailleurs, durant la brève controverse entourant l'Action catholique italienne, Pie XI témoigna de sa bonne foi envers le fascisme en révélant s'être inspiré de la Charte du travail de l'Italie fasciste de Mussolini pour élaborer les modalités de l'organisation syndicale et corporative de la société qu'il avait présentée dans son encyclique. Dans un exposé qu'il fit le 31 mai 1931, Pie XI déclarait: « Dans l'encyclique Quadragesimo Anno, tous ont facilement remarqué une note attentivement bienveillante pour les organisations syndicales et corporatives d'Italie. » (Le Devoir, 20 juin 1931, p. 2) Pourquoi Mussolini se serait-il offusqué que le chef de l'Église cautionne le système corporatiste dont il avait été l'instigateur? 
 
          Jamais les conflits entre le régime de Mussolini et le Vatican ne portèrent sur la légitimité ou le bien-fondé de l'organisation sociale du fascisme. Plusieurs autres déclarations de Pie XI l'illustrent de façon limpide. En voici quelques-unes: 
              « État catholique », dit-on et répète-t-on, mais « État fasciste »; Nous en prenons acte sans spéciales difficultés, volontiers même, car cela veut dire sans aucun doute que l'État fasciste, tant dans l'ordre des idées et des doctrines que dans l'ordre de l'action pratique, ne veut rien admettre qui ne s'accorde avec la doctrine et la pratique catholiques. (« Lettre de Pie XI au cardinal Gasparri », Le Devoir, 22 juin 1929, p.1) 
     
              Il Nous reste à voir si [des] difficultés peuvent dériver du caractère corporatif de l'État [fasciste italien]. [...] En vérité, on ne voit pas quelles peuvent être ces difficultés et comment elles peuvent surgir. [...] Le caractère corporatif résulte, en définitive, d'une spéciale, pacifique organisation des différentes classes de citoyens, avec une ingérence plus ou moins accentuée de l'État, de la loi, de la magistrature, en ce qui concerne le travail, la production, etc., toujours, bien entendu, dans l'ordre naturel et civil, tandis que l'Action catholique, comme on l'a dit, reste sur le terrain spirituel et surnaturel. 
     
              Activité corporative [fasciste] et Action catholique ne pourront manquer de se rencontrer étant donné l'identité du sujet humain, individuel et collectif; mais, moyennant la sincère bonne volonté et le sincère désir du bien de part et d'autre, la rencontre des deux activités ne pourra que produire un très heureux effet: celui de se coordonner pour le plus grand bien, pour le bien complet, s'il se peut, des individus, des classes, de la société. (« Lettre de Pie XI au cardinal Schuster de Milan », Le Devoir, 22 mai 1931, p.6) 
          Le 28 mai 1931, Le Devoir (p.10) rapportait par ailleurs que l'Osservatore Romano, l'organe de presse du Vatican, avait fermement nié l'assertion voulant que l'Action catholique soit antifasciste. 
 
          Les autorités fascistes italiennes avaient déclaré essentielle la prestation d'un serment d'allégeance au régime pour joindre les organisations du parti ainsi que pour exercer certains emplois (professeurs d'université, etc.). Selon la section 56 de l'encyclique Non Abbiamo Bisogno, même les membres des organisations de la jeunesse fasciste Balilla devaient prêter le serment d'exécuter sans discuter, jusqu'au sang, les ordres que leurs donneraient leurs supérieurs. Rappelons que des aumôniers catholiques cautionnaient le travail des Balilla. 
 
          Bien que Pie XI ait critiqué cette pratique, il n'en accepta pas moins le principe. À la section 59 de Non Abbiamo Bisogno, au lieu de dénoncer l'existence même d'un tel serment, le pape suggéra à ses ouailles qui avaient déjà prêté le serment d'allégeance d'ajouter « devant Dieu et devant leur propre conscience » que leur serment tenait en autant qu'il ne contrevenait pas « [aux] lois de Dieu et de l'Église ». Selon Pie XI donc, il était légitime que l'individu ne soit qu'un pion de l'État en autant que celui-ci invoquât les lois de l'Église. Voilà ce qu'il faut retenir. 
 
La servilité de l'Église 
  
          Si M. Novak mentionne le début de la campagne fasciste du printemps 1931 contre l'Action catholique italienne, jamais il n'en souligne la fin survenue en septembre 1931. Jamais, il ne fait état des nombreuses manifestations de servilité de l'Église envers le fascisme, au nom de l'unité organique de la société. 
 
          Une fois la paix conclue entre le Vatican et les autorités fascistes, Pie XI accepta le serment d'allégeance au régime fasciste sans aucune réserve. Le New York Times du 4 décembre 1931 (p.10) rapporta une déclaration de l'Osservatore Romano qui allait dans ce sens. À peine le Vatican eut-il donné son aval complet au serment fasciste que le New York Times révélait qu'onze professeurs d'université venaient de perdre leur emploi pour avoir refusé de prêter le dit serment (19 décembre 1931, p.10). 
 
          Le 9 janvier 1932, Pie XI honora Mussolini en le consacrant membre de l'Ordre papal de l'Éperon d'or (New York Times, 10 janvier 1932, p.9). Le 11 février 1932, Pie XI reçut le Duce pour un long entretien ainsi que pour lui accorder sa bénédiction (New York Times, 12 février 1932, p.1). 
 
          Le clergé italien bénit d'innombrables ralliements fascistes. Pie XI accorda des audiences à de jeunes fascistes provenant de différents pays du monde alors qu'ils visitaient l'Italie (New York Times, 8 septembre 1934, p.17); des évêques italiens rendirent publics leurs dons de bijoux au régime fasciste afin de renflouer les réserves d'or de l'Italie grandement mises à contribution pour financer l'invasion de l'Éthiopie (New York Times, 29 novembre 1935, p.11); le cardinal Schuster de Milan, référant aux Italiens morts lors de l'invasion de l'Éthiopie, confia aux fascistes rassemblés lors d'une messe spéciale en leur honneur que « leur sang avait ouvert les portes de l'Éthiopie à la religion catholique et à la civilisation de Rome ». Il ajouta que le fascisme offrait la « promesse de moralité nationale souhaitée par l'Église catholique » (New York Times, 29 octobre 1935, p.11). Le 12 mai 1996, Jean-Paul II béatifia le cardinal Schuster. Un homme de prières, nous assura-t-on... 
 
          Quelques années après que Pie XI eût expliqué au monde que sa rencontre avec Mussolini avait été voulue par la Providence, que c'était le dédain de Mussolini pour les « fétiches de l'école libérale » qui avait rendu possible la signature d'un concordat entre le Vatican et l'Italie fasciste, le pape chercha à répéter l'expérience avec Hitler, un autre qui, assurément, « n'avait pas les préoccupations des hommes de l'école libérale » (Le Devoir, 4 mars 1929, p.1). 
 
          Le signal fut donné en 1933 dans une Lettre collective de l'épiscopat catholique allemand qui proclama haut et fort son allégeance au régime nazi: 
              Notre époque se distingue par une affirmation singulièrement énergique de l'autorité et par l'inflexible volonté d'enchaîner organiquement les citoyens et les corporations au grand Tout figuré par l'État. Elle part ainsi d'un principe du droit naturel: il n'est pas, en effet, de vie sociale qui puisse prospérer sans une autorité suprême, et seuls l'entrée volontaire dans les rangs de la nation, de même que l'assujettissement et l'obéissance aux ordres d'une direction nationale légitime sont en mesure de renforcer la puissance et la grandeur nationales. 
     
              Si l'individu cesse de considérer le Tout national ou s'il se flatte de posséder en lui-même l'étalon qui permet de le juger, il peut bien se former un groupement d'hommes intéressés, mais il n'en sortira jamais une famille et une prospérité nationales véritables. 
     
              C'est seulement quand l'individu se considère comme le membre d'un organisme et place le bien général au dessus de son propre intérêt qu'il redevient capable d'une humble obéissance et qu'il sait joyeusement mettre sa vie au service de son pays, ainsi que le réclame la foi chrétienne. 
     
              [...] À nous, catholiques, il ne semble nullement difficile d'admettre et d'apprécier cette énergique réaffirmation de l'autorité dans la vie organique de l'État allemand et de nous y soumettre avec cette bonne volonté qui est non seulement une vertu naturelle, mais encore, une vertu surnaturelle; car dans l'autorité humaine nous voyons comme un reflet de l'autorité divine, comme une participation à l'éternelle autorité de Dieu. 
     
              D'autre part, nous pouvons nous attendre à ce que l'autorité de l'État, de même que celle de l'Église catholique, ne restreindra la liberté individuelle qu'en la mesure exigée par le bien commun. (Le Devoir, 6 juillet 1933, p.1) 
          Obéissant au principe de l'unité organique de la société, l'Église prôna la dissolution du Parti catholique allemand Zentrum afin que ses membres joignent le Parti national-socialiste dirigé par Hitler et ses acolytes. Le 6 juillet 1933, Le Devoir (p.4) annonçait que la dissolution du parti catholique était chose faite. À cette occasion, le leader du Zentrum M. Brüning déclara que « la mesure permet aux députés [catholiques] de mettre leurs forces et leur expérience à la disposition du front national constitué par M. Hitler ». 
 
          C'était la répétition de ce que Pie XI avait fait en Italie quelques années plus tôt: lâcher le Parti populaire italien d'allégeance chrétienne, contraindre à l'exil les dirigeants catholiques hostiles à leur absorption par le parti fasciste et espérer que la nouvelle alliance avec le fascisme conduirait au renouveau chrétien de la société. 
 
          Parmi les catholiques qui acceptèrent de joindre Hitler, on comptait Franz von Papen qui devint vice-chancelier du régime nazi. Dans ses mémoires, voici ce qu'il écrivit au sujet des affinités entre la Loi du travail nazie proclamée en 1934 et les principes de Quadragesimo Anno: 
              La conception nationale-socialiste va dans le même sens que celle, familière aux catholiques, qui est développée dans l'encyclique Quadragesimo Anno. Dans un important discours prononcé devant le Front des travailleurs allemands le 10 mai 1933, Hitler déclara: « Le nouvel État ne représentera plus les intérêts particuliers d'un groupe ou d'une classe, il sera le mandataire de la nation dans son ensemble ». Voilà le sentiment qui nous animait à ce moment-là et notre appui à la nouvelle Loi du travail, promulguée le 29 janvier 1934, fut donné avec les meilleures intentions.(6) 
          Voilà où conduisit la conception de l'unité organique de la société. Encore une fois, la poursuite de l'utopie pavait la voie à l'horreur! 
 
          Que par la suite les espoirs de Pie XI envers Hitler aient été déçus ne doit pas nous faire oublier les motifs qui incitèrent l'Église de Pie XI à conclure alliances et concordats avec les régimes corporatistes de Mussolini et Hitler et par la suite avec ceux de Salazar, Franco et Pétain. Ce que Pie XI partageait avec ces potentats, c'était la même conception de l'unité organique de la société qui déresponsabilise l'individu au point de faire passer chaque décision le concernant par les filtres du syndicat, de la corporation et de l'État. Là où Pie XI et les leaders fascistes divergèrent d'opinion à l'occasion, ce ne fut que dans la définition du « bien commun » devant guider l'action de l'État totalitaire. 
 
          Voilà ce qui en est véritablement du « principe d'association » de Pie XI. 
 
 
1. Friedrich A. Hayek, Law, Legislation and liberty, Volume 2: The Mirage of Social Justice, London and Henley, Routledge & Kegan Paul, 1976, p.66 et p.176.  >>
2. Ibid., p.38.  >>
3. Les encycliques de Pie XI Divini Redemptoris, Quadragesimo Anno et Non Abbiamo Bisogno citées dans ce texte sont disponibles à www.vatican.va en anglais et à http://membres.lycos.fr/lesbonstextes/magistere.htm en français.  >>
4. « The Corporative Idea », The Catholic Mind, 22 juillet 1940, pp.277-278.  >>
5. Michael Novak, The Catholic Ethic and the Spirit of Capitalism, New York, The Free Press, 1993, p.75 et p.259 note 30.  >>
6. Franz von Papen, Memoirs, London, A. Deutsch, 1952, p.284.  >>
 
 
 
 
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