Montréal, 17 janvier 2004  /  No 136  
 
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Yvon Dionne est retraité. Économiste de formation (Université de Montréal), il a travaillé à la Banque du Canada (11 ans) puis pour « notre » État du Québec (beaucoup trop longtemps: 20 ans). On peut lire ses textes sur sa page personnelle.
 
 
CE QUE J'EN PENSE
 
DEUX PETITS EXEMPLES
DE CONDITIONNEMENT ÉTATISTE
 
par Yvon Dionne
  
 
          Le mécanisme du conditionnement psychologique a été compris par Pavlov dès 1903, dans une conférence prononcée à Madrid. Ivan Pavlov est mort sous Staline, en 1936. Sa théorie des réflexes conditionnés a été grandement utilisée par les régimes communistes et tous les États s'en sont servie. Elle est appliquée couramment en publicité commerciale et en progagande gouvernementale (dite information ou communication).
 
          Là où il y a un cerveau, il peut y avoir conditionnement jusqu'au point d'absence totale de jugement libre et réfléchi. Les animaux et les humains peuvent être manipulés par l'association d'idées, de plaisirs, de sensations en général, par la maîtrise des relations entre les réflexes innés et ceux qui sont acquis. Ce conditionnement est obtenu par la propagande, c'est-à-dire une publicité visant à modifier les comportements (contre le tabac par exemple). Nos étatistes et collectivistes parlent plutôt de «sensibilisation», un terme utilisé fréquemment dans la novlangue (newspeak). Quand la propagande ne suffit pas, ils utilisent les lois et leurs pénalités, ou les taxes pour modifier les prix. Tous doivent entrer dans le moule, de gré ou de force. Pour notre protection, le casque deviendra nécessaire en tout temps, même pour dormir! 
  
          Le «constructivisme social» ou «ingénierie sociale» sont dénoncés par tous ceux qui chérissent la liberté. Les prix et les coûts sont de meilleurs critères pour effectuer les choix individuels (et par le fait même les choix sociaux). Le choix collectif se traduit par l'absence de choix; il est politique et décidé par les bureaucrates, politiciens et certains groupes d'intérêt, selon leurs préférences. Une société de gens qui obéissent aux ordres, à la loi, ne peut qu'être inférieure à celle de gens responsables. Le risque de l'erreur individuelle est préférable à celui de l'erreur collective, laquelle conduit plus efficacement à la catastrophe comme l'histoire le démontre. 
  
          Les deux exemples qui suivent appartiennent au volet «bâton» du conditionnement. A priori, ils paraissent fort sensés. Ils doivent avoir un certain sens car ils ont été salués par quelques maîtres et maîtresses à penser des ondes et du papier de «notre collectif québécois». Je veux seulement illustrer comment le raisonnement collectiviste s'ingère dans la vie courante et devient un mal généralisé. 
  
          Donc, amusons-nous un peu. 
  
1. Kyoto rend-il fou? 
  
          La très grande ville (post-fusion) du maire Jean-Paul L'Allier(1), la ville de Québec, prévoit imposer des amendes à compter du 1er juin 2004 à quiconque (il y aura des exceptions bien sûr, dont les policiers chargés de l'application du règlement) laisse tourner son moteur au ralenti pendant plus de 3 minutes. A priori, l'idée est bonne car c'est pour notre bien, l'environnement, Kyoto et l'ego du maire L'Allier. Que ne ferait-on pas pour notre bien, pourvu que les autres paient et que l'État s'en charge? 
 
          Mais réfléchissons. 
  • Les policiers de la ville de Québec, déjà très occupés à la surveillance de l'âge des partenaires sexuels (i.e., la prostitution juvénile), vont-ils devoir s'équiper de chronomètres? Comment va-t-on établir que le 3 minutes a été dépassé, à moins que la police ait toute la discrétion de la preuve? Des puces jumelées à un GPS pourraient être installées sur chaque véhicule et transmettraient l'information à un ordinateur central; celui-ci sonnerait l'alarme au policier le plus près en cas d'infraction, en donnant au policier l'identification du véhicule et du propriétaire (information que la ville de Québec n'a pas, du moins pas encore). Imaginons un instant les coûts d'un tel système...

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  • La police va-t-elle donner la priorité à la surveillance de l'opposition au maire L'Allier? Va-t-elle surveiller les véhicules des ministres? Combien faudra-t-il de nouveaux policiers pour assurer une application... équitable du règlement? Par équitable, j'entends que tous doivent avoir une probabilité égale d'être pris sur le fait. Ceci est important car en ce sens aucune loi ne peut être appliquée équitablement.

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  • Pour être équitables, est-ce que les amendes seront modulées en fonction du degré de pollution? A-t-on mesuré la pollution générée par le type et la force de moteur, selon le temps de 3 minutes?

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  • La police de la ville de Québec va-t-elle imposer l'amende à tous les véhicules, même à ceux dont le propriétaire réside à l'extérieur du territoire de la ville?

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  • La police pourra-t-elle imposer l'amende quand vous démarrez le véhicule sur votre propriété privée? Combien de policiers iront se faire geler pour surveiller toutes les automobiles qui démarrent le matin, par temps froid?

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  • La ville de Québec sera-t-elle tenue responsable des accidents qu'elle aura causés par son règlement quand on sait, par exemple, qu'à 20 degrés sous zéro, l'air d'une chaufferette n'a pas le temps de se réchauffer en-dedans de 3 minutes, que l'humidité de l'air se condense alors sur le pare-brise, que l'on ne voit plus rien, que l'on risque donc de se casser la gueule en face de l'hôtel de ville du maire L'Allier pour avoir l'honneur syndical d'être ramassé par ses cols bleus qui viennent d'avoir six pour cent d'augmentation de salaire?
2. La Sûreté du Québec veut retirer de la route les gens fatigués 
 
          Non satisfaite d'avoir éliminé presque tous les corps policiers municipaux par des règlements coûteux et excessifs, la Sûreté de Québec (que j'appelle SSQ à l'occasion, pour sans sécurité au Québec) voudrait maintenant pouvoir arrêter tout le monde sur la route pour le motif de fatigue au volant. Le quotidien de Québec, Le Soleil, titrait à la une le 8 décembre que la SQ veut un pouvoir de suspension préventive du permis de conduire des chauffeurs qu'elle jugerait «épuisés». Encore une fois, a priori l'idée a du sens: un chauffeur épuisé devrait aller faire dodo ailleurs qu'au volant. Mais l'interprétation de la fatigue au volant est complexe et ouvre la porte à des abus. C'était un sujet de discussion pour Loft Story (malheureusement – ? – retiré des ondes) et le Dr Mailloux, pas pour la SQ. 
 
     «Une société de gens qui obéissent aux ordres, à la loi, ne peut qu'être inférieure à celle de gens responsables. Le risque de l'erreur individuelle est préférable à celui de l'erreur collective, laquelle conduit plus efficacement à la catastrophe comme l'histoire le démontre.»
 
          La SQ a déjà un pouvoir discrétionnaire considérable dans l'application des lois et les recours contre elle sont restreints et très contrôlés et bureaucratisés. Ce pouvoir de discrétion des policiers démontre, ou bien que les lois sont mal faites, ou bien que nous vivons dans un régime où la police devient de plus en plus le vrai pouvoir. Dans l'application de la Loi sur les armes à feu par exemple, la SQ confisque des fusils de chasse sans porter d'accusation suite à une présumée infraction. Or, s'il n'y a pas d'accusation, il s'agit bien là d'un vol étatisé. Ou les accusations viennent plusieurs mois plus tard. Le règne de l'arbitraire en somme. Ce nouveau pouvoir que la SQ demande doit donc être examiné de très près... 
 
          Voici mes questions ou commentaires afin qu'ils perfectionnent leur projet. 
  • Comment peut-on attendre des policiers qu'ils jugent de quelque chose mieux que nous à moins de croire qu'en moyenne ils ont plus de jugement que la moyenne de la population? Et là nous parlons de moyenne. En matière de justice l'exception est inacceptable. Le moins qu'on puisse dire, c'est que les corps de police n'ont pas la réputation de regorger d'esprits brillants. D'un extrême à l'autre, il y a chez les policiers à la fois des criminels et des zélés, qui peuvent vous arrêter quand vous dépassez de 5 km la limite de vitesse ou quand vous les regardez fixement dans les yeux ou en vous esclaffant. Les fixer du regard, s'il s'agit d'un policier, c'est de la provocation et s'il s'agit d'une policière, c'est du harcèlement. 

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  • Comment peut-on déterminer objectivement qu'une personne est épuisée? On peut mesurer le taux d'alcool dans le sang, mais la fatigue? Selon le nombre d'heures sans sommeil? Selon le nombre d'heures de conduite? Ceci ne peut être un critère, sauf dans les cas extrêmes. Comment le policier va-t-il pouvoir le savoir, à moins que la personne le lui dise (ce qu'elle ne fera pas)? 

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  • Comment le policier va-t-il s'apercevoir qu'un chauffeur est épuisé? Si la personne dort au volant, il est bien évident qu'il y a épuisement et qu'il est trop tard pour faire quoi que ce soit, sauf de klaxonner pour le réveiller... Mais le klaxonnement est-il dans la description des tâches des policiers? 

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  • Comment le policier pourra-t-il distinguer l'erreur due à l'inattention de celle due à l'épuisement, de celle proprement accidentelle? Par exemple, si je signale à droite mais que je tourne à gauche, est-ce que cette erreur est due à l'épuisement ou simplement due au fait que la présence derrière moi d'un véhicule de police m'énervait? Évidemment, il ne faut jamais dire à un policier qu'il vous énerve; ça risque de coûter cher et vous n'avez pas le droit de vous défendre si un policier met votre vie en danger. 

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  • Un policier pourra-t-il suspendre le permis d'un autre policier qui dort au volant? 

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  • Combien de nouveaux policiers faudra-t-il sur nos routes pour vérifier si tous les conducteurs ont suffisamment dormi, quand on sait que les policiers sont déjà eux-mêmes épuisés (c'est du moins leur syndicat qui le dit) par la surveillance des routes, des vols, des voies de fait, des homicides, de la drogue, du sexe, des armes à feu, des ministres, des permis de toutes sortes, qu'ils ont déjà de la difficulté à faire tout ce travail et qu'ils ne pourront même pas se surveiller eux-mêmes? 
          Le nombre de policiers par tête de pipe n'étant pas un indice d'une société civilisée, il serait préférable, pour notre bien à tous, d'alléger les tâches des policiers. L'«allégement» pourrait se faire de deux façons: 1) par l'allégement des lois et règlements qu'ils ont à appliquer, 2) la plupart de leurs fonctions peuvent être transférées à autant d'agences privées, à moindre coût. 
  
  
1. Le maire L'Allier est un de ceux qui s'attaquent à la «droite violente» parce qu'elle propose... des partenariats public-privé afin de diminuer les coûts des services publics, dans le transport en commun par exemple (quotidien Le Soleil, 6 janvier 2004). C'est le même maire qui, par la voie des fusions municipales, a éliminé un transport en commun, privé, qui était efficace et satisfaisant pour la clientèle, celui de l'ex-ville de Saint-Augustin.  >>
 
  
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