Montréal, 7 février 2004  /  No 137  
 
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François-René Rideau est informaticien et vit à Paris. Il anime le site Bastiat.org, consacré à l'oeuvre de l'économiste libéral Frédéric Bastiat, ainsi que Le Libéralisme, le vrai.
 
OPINION
 
QUAND LES NÉVROSÉS SOCIALISTES PROJETTENT LEURS DÉMONS SUR LE LIBÉRALISME...
 
par François-René Rideau
  
  
          Dans notre Espace de Francitude Génial, tout le monde apprend à l'école et dans les médias à haïr le libéralisme, cette bête immonde qui dévore nos vies, dixit la religion officielle. Cependant, les idées libérales sont systématiquement censurées, et le peu qui échappe à la censure est systématiquement déformé. Aussi, chacun apprend à mettre sous l'étiquette «libéral» tout ce qu'il déteste, avec pour seule contrainte de ne jamais s'en prendre directement aux valeurs de la religion officielle, le socialisme.  
  
          Mais comme tout ce que connaît l'Homo Collectivus Gallus est socialisme, ce qu'il déteste se trouve n'être que sous-produit de ce socialisme! Ainsi, l'image du libéral honni est en fait la projection des névroses du socialiste. C'est pourquoi les omniprésentes vociférations de haine à l'encontre du libéralisme, dont le principe rappelle les deux minutes de la haine quotidiennes de 1984, ont pour résultat assez cocasse de révéler les démons qui hantent des esprits corrompus par le socialisme. 
 
Le marché, plus proche de l'oral et de l'anal que du génital 
  
          Prenons comme exemple cet ouvrage récent: Le complexe d'Ubu ou la névrose libérale (Paris, Fayard, 2004, 324 pages). L'éminent psychanalyste et psychosociologue Jean-Claude Liaudet y diagnostique divers symptômes comme suit: 
              Le Marché nous porte, il suffit de l'écouter en nous pour trouver l'harmonie. À rapprocher de la conception antique du cosmos: le bon et le juste consistent à être en accord avec lui. Le Marché présente tous les caractères de la mère du stade oral: il suffit de s'en remettre à lui pour ne manquer de rien, il est pourvoyeur de satiété. Il est un sein nourrissant, plus proche de l'oral et de l'anal que du génital. Tout ce qui nous éloigne de la mère orale est mauvais. Exit ce qui peut faire penser au père sexué et porteur de loi, de près ou de loin. Rien ne doit nous empêcher de jouir d'elle en paix.
          Voilà une excellente critique... du socialisme! Loin que les libéraux prétendent que le Marché soit une entité extérieure et supérieure, source de bienfaits devant laquelle on doit avoir une attitude passive, ils affirment au contraire que ce marché n'est rien d'autre que la résultante des interactions libres entre les hommes, qui n'offre rien, mais laisse chacun exprimer son potentiel créatif. L'attitude de chacun devant donc être une activité créatrice source des bienfaits dont bénéficiera son auteur.  
  
          Au contraire, ce sont bien les socialistes qui adorent une entité extérieure et supérieure, l'État, auquel il suffit de s'en remettre pour peu qu'il débloque les fonds; cet État est la source de toute harmonie et régulation sur terre, et le bon est d'obéir à ses lois, volonté populaire, version moderne de la volonté divine; l'État dispense des bienfaits, il suffit de demander, et surtout, ce n'est jamais la peine d'assumer sa responsabilité, concept bourgeois démenti par les déterminismes dont les sociologues normaux (donc de gauche) sont si friands. Je suis du reste ravi d'apprendre que les psychanalystes appellent stade oral ce que j'avais baptisé la magie noire. Continuons: 
              Le libéralisme n'est donc pas neutre, il a des dessous: une certaine mégalomanie individualiste, un refus des lois, un goût pour les matières...
          Mégalomanie? Voilà qui me rappelle plutôt nos chers petits socialistes, qui se veulent législateurs, gestionnaires, expérimentateurs des vies des simples mortels qui n'auront plus qu'à se plier au plan conçu par en haut pour jouir des bienfaits de la vie. Les libéraux au contraire prônent que chacun cultive son jardin en paix. Refus des lois?, alors que le libéralisme est précisément une théorie du Droit, et une exploration humble des lois de la nature! C'est bien le socialisme qui rejette les lois de la nature, qui cherche une liberté objective qui ne soit pas soumise aux déterminismes, qui fait l'apologie de la subversion et de la révolution en soi, qui se met systématiquement du côté des contestataires. Matérialisme? Mais qui donc soutient le matérialisme dialectique? Qui donc prône l'établissement de plans sur des critères matériels, et une macroéconomie avec des objectifs statistiques? Les socialistes et étatistes de tout poil. Les libéraux au contraire rejettent la dualité esprit-matière, et constatent que les soucis de l'homme sont d'autant plus élevés que ses besoins élémentaires sont mieux remplis, et qu'il n'y a donc pas d'opposition entre ces soucis de divers ordres. 
              Il apparaît aujourd'hui normal: que nous recherchions avant tout notre intérêt personnel, comme le font les entreprises avec la plus-value; que nous valions ce que nous gagnons; que des PDG déguisent la réalité pour maintenir le cours de la Bourse; que les politiques fassent des promesses fallacieuses pour être élus; que les jeunes n'aient rien à faire de leur père et de toute figure d'autorité; que nous refusions tout ce qui limite notre pouvoir souverain de choisir... Nous réalisons aujourd'hui ce que le libéralisme pense depuis quatre siècles.
          Je ne crois pas que cela apparaisse normal à quiconque, même si c'est le quotidien de nos sociétés social-démocrates (qui valent bien mieux que les dictatures socialistes où toutes les malversations sont protégées par la censure). Toutefois, ce qui est clair, c'est que ces choses sont très clairement aux antipodes du libéralisme, qui affirme le caractère subjectif et personnel de la valeur (par opposition à une définition objective monétaire ou autre), qui condamne la fraude, qui s'oppose à la politique, qui recommande l'autorité privée volontairement consentie parce que méritée, qui voit le progrès dans le développement de traditions familiales de succès, qui subordonne le choix de chacun au respect de la propriété d'autrui. C'est d'ailleurs bien grâce à ce qu'il y a de libéral dans nos sociétés que de telles malversations sont dénoncées et arrêtées sinon punies, là où le socialisme les fait passer par les pertes et profits de la gestion collective.  
  
     «C'est bien le socialisme qui ne mesure l'intérêt personnel (ou plutôt, la contribution personnelle à l'intérêt commun) qu'en termes de statistiques, justifie les moyens les plus expéditifs pour ses fins sociales, rejette la morale bourgeoise d'honnêteté, méprise les valeurs familiales, poursuit le mythe d'une liberté objective. Tout cela n'a donc rien à voir avec le libéralisme et tout avec le socialisme.»
 
          Car c'est bien le socialisme qui ne mesure l'intérêt personnel (ou plutôt, la contribution personnelle à l'intérêt commun) qu'en termes de statistiques, justifie les moyens les plus expéditifs pour ses fins sociales, rejette la morale bourgeoise d'honnêteté, méprise les valeurs familiales, poursuit le mythe d'une liberté objective. Tout cela n'a donc rien à voir avec le libéralisme et tout avec le socialisme. Quant à prétendre que nous savons ce que pense le libéralisme, il faudrait commencer par sortir le libéralisme de la censure et arrêter de n'enseigner à l'école que des auteurs étatistes, qu'ils soient marxistes, socialistes, social-démocrates ou nationalistes. 
              Cette psychologie libérale que nous partageons aujourd'hui renvoie au mode d'être de l'enfant du stade sadique-anal décrit par la psychanalyse.
          Faut savoir, c'est oral, ou c'est sadique-anal??? Décidez-vous, mon bon monsieur! Mais pour ce qui est de l'infantilisation, c'est bien ce que j'ai diagnostiqué pour l'étatisme dans la section 3 de mon essai l'État, règne de la magie noire 
              Comme lui, l'homme libéral en nous est individualiste et mégalomane, il ne supporte pas que sa liberté de mouvement soit entravée et refuse toute loi. Il est indifférent à la souffrance qu'il inflige car il n'a pas construit la représentation d'autrui.
          J'ai déjà discuté le premier point plus haut. Le second est intéressant, car le libéralisme est fondé sur une approche épistémique de l'homme, l'individualisme méthodologique, la praxéologie; et sur cette épistémologie, il établit une théorie du Droit, qui prône précisément le respect d'autrui et la réparation des torts infligés. Le libéral ne prétend pas déterminer ce qu'autrui pensera ou fera ou devra penser ou faire; mais il étudie les relations interindividuelles, la façon dont elles peuvent être positives pour chacune des parties. Le socialiste, au contraire, néglige l'individu qu'il sacrifie volontiers à l'autel du bien commun; ses modèles du comportement humain sont une théorie sociale conflictuelle où les intérêts humains sont intrinsèquement opposés, des sciences sociales s'appuyant sur des statistiques et observations vides de dynamique causale et créatrice, des théories psychologiques logomachiques qui ne s'intéressent qu'à l'aliénation, et rejettent systématiquement tout ce qui dans l'homme est rationalité et moralité. Tout cela n'empêche pas les socialistes de prétendre en savoir assez pour être habilités à décider ce qui est bon pour tous, et d'imposer à tous les décisions collectives prises par les organes dirigeants. 
 
L'argent, équivalent des excréments dans l'inconscient 
              Enfant, son auto-érotisme anal l'a amené à accumuler ses matières, comme il le fait maintenant de son argent, équivalent des excréments dans l'inconscient. Comment sortir de cette fixation d'enfance, de cette névrose collective libérale qui nous fait devenir ce que nous n'aimons pas être?
          La première phrase est un beau charabia dont je ne sais pas s'il a un sens, mais dont je veux bien parier que s'il en a un, il s'applique au socialisme et pas au libéralisme. Quant à la question, elle devrait s'appliquer au socialisme, et pas du tout au libéralisme. Monsieur le psychologue, medice cura te ipsum!  
  
          Dans le même genre, voyons ce que dit un internaute quelconque, qui se pense normal, donc effectivement socialiste, qu'il se reconnaisse ou non dans l'étiquette socialiste, dans un message de fr.soc.economie, où il décrit ainsi le libéralisme:  
    Le libéralisme est un système soumis à des règles:   
  • Recherche du profit comme objectif suprême de toute activité.  
  • Les sentiments, les goûts, les émotions, l'amour, la sensibilité, l'espoir, le désespoir, l'amitié, la solidarité et la raison n'entrent pas en paramètres pour atteindre l'objectif.
          Voilà en un mot l'égoïsme matérialiste déjà discuté plus haut, qui est l'apanage du socialiste et pas du tout du libéral. Oh, le socialiste se prétend solidaire; mais en réalité, il exige que l'État soit solidaire à la place des individus, qui eux sont des pantins interchangeables (sauf le socialiste et ses amis, êtres supérieurs à l'avant-garde du prolétariat, qui sont plus égaux que les autres). Par delà les beaux sentiments affichés, les socialistes n'ont pas moins que les autres ce sentiment naturel d'égoïsme, qui est le moteur de toute action humaine; mais leur égoïsme n'est pas accompagné du sens de la responsabilité, de l'appréciation de la valeur de soi-même et des autres individus, de tout ce qui permet de tisser des liens interindividuels constructifs; ils attendent de l'État qu'il se substitue aux relations individuelles, qu'il aplanisse toute notion de valeur, qu'il construise tout et ne laisse au ressort individuel que les jouissances au sein de l'économie programmée. Entre les slogans qu'ils ânonnent et la réalité qu'ils sécrètent, il y a un fossé qui est pour les socialistes la source de toutes ces névroses, qui tournent à la schizophrénie. Les socialistes n'ont pas le monopole du coeur, mais seulement celui de l'oppression, de la désindividualisation, de la déresponsabilisation, de la destruction de toutes les relations saines entre individus, qui sont les préalables nécessaires à la véritable amitié, solidarité, etc.  
  • Chaque être vivant est un numéro qui n'a de valeur qu'autant de profit potentiel qu'il est capable de générer. Le corollaire immédiat, c'est qu'il faut exploiter la chair humaine (ou la chair animale) tant qu'elle peut générer du profit.  
  • Les objectifs humanitaires ne peuvent être considérés comme acceptables que s'ils génèrent du profit.  
  • La guerre, les épidémies, la violence, la pollution sont acceptables à condition de générer du profit (armes, vaccins, masques à gaz...)
          Voilà qui reflète bien aussi le mépris dans lequel les socialistes tiennent des citoyens, simples chiffres statistiques dans leurs décisions nationales; ces citoyens que les socialistes subordonnent à la société, simple matière à modeler par les dirigeants. Tout est acceptable pour le profit de la société; les socialistes justifient tous les moyens pour arriver à leurs fins, jusqu'au meurtre politique et au démocide pour créer un Homme nouveau. Au contraire, le libéralisme est une théorie du Droit, et délimite pour chacun une sphère d'action, sa propriété (ou plutôt, le complémentaire de la propriété d'autrui), qu'il ne peut impunément franchir pour aucune fin aussi louable lui paraisse-t-elle. Le libéralisme est précisément une théorie des moyens légitimes, indépendamment des fins. Du libéralisme découle directement le principe selon lequel il n'y a pas de délit d'intention, d'opinion ou même d'expression, et réciproquement, que les soi-disant bonnes intentions n'excusent ni ne justifient rien. Au contraire les socialistes criminalisent toute pensée qui s'oppose à eux, et exigent le contrôle des médias et la censure de toutes les idées opposées, cependant qu'ils se dédouanent de tous les crimes qu'ils commettent ou soutiennent par l'affectation de leurs bons sentiments.  
  • La définition du profit, c'est le profit.  
  • Le règlement, c'est le règlement.
          Là encore, voilà qui correspond tout à fait au socialisme, qui affirme l'autorité axiomatique de l'État, du Parti, du Comité de salut public, des économistes attitrés, planificateurs et autres intellectuels qui définissent les objectifs communs de la société pour le profit matériel de tous. Puis, les individus doivent se plier aux règlements légiférés par la volonté populaire – l'homme doit se soumettre à l'homme. Au contraire, les libéraux croient en une éthique fondée métaphysiquement, chacun devant veiller à son épanouissement individuel; cet épanouissement commence mais ne s'arrête pas avec les satisfactions matérielles. Les libéraux revendiquent de connaître les lois de la nature, auxquelles il ne s'agit pas de se soumettre, puisqu'elles sont immanentes, mais qu'il s'agit simplement d'accepter pour pouvoir s'y adapter et construire des édifices techniques et sociaux qui les mettent à profit. Mais a contrario les libéraux rejettent toutes les législations et l'imposition de quelconques règlements faits par l'homme; chacun ne peut être tenu que par les règles qu'il aura volontairement acceptées. Nos chers psychologues socialistes voient des libéraux rejetant les lois et appuyant les règlements, alors que c'est précisément le contraire. Ce n'est même pas une question de paille et de poutre, mais d'esprits déréglés qui raisonnent à l'envers!  
  
          Je pourrais prendre d'autres ouvrages, articles, messages, lettres, email, et les analyser de même. Le même genre de contresens est partout présent. Les donneurs de leçon ne savent pas de quoi ils parlent. Combien de fois n'en ai-je pas lu qui accusaient le libéralisme et l'individualisme pour les crimes commis par ces socialistes et collectivistes affichés qu'étaient Hitler ou Mussolini. Ces donneurs de leçons prétendent faire la psychanalyse du libéralisme, en dénoncer les motivations cachées, mais ne savent rien du libéralisme, et n'ont visiblement jamais discuté avec un libéral. Ils se contentent de ressortir quelques clichés appris dogmatiquement, sur lesquels ils projettent leurs propres angoisses, les démons qui hantent leur inconscient. La désinformation règne; la névrose socialiste aussi. Et ce n'est même pas la peine d'argumenter: les seuls mots «libéralisme» ou «capitalisme» donnent de l'urticaire à l'Homo Collectivus Gallus, et déclenchent chez lui haine programmée, dégoût, honte, rejet, ce qui prévient toute discussion, toute réflexion.  
 
 
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