Montréal, 21 février 2004  /  No 138  
 
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Marc Grunert enseigne les sciences physiques dans un lycée de Strasbourg et anime le Cercle Hayek, consacré à la réflexion et à la diffusion du libéralisme. Il est également éditeur adjoint du QL pour la section européenne.
 
 
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CHRONIQUE DE RÉSISTANCE
 
LA LAÏCITÉ, RELIGION D'ÉTAT
 
par Marc Grunert
  
  
          Que l’État ne prenne pas parti en faveur d’une religion, c’est le minimum libéral. Mais le culte d’État de la «citoyenneté» risque bien d’avoir tous les attributs d’une religion de l’État. La casuistique sur les signes religieux ostentatoires, ostensibles ou visibles est déjà un signe très visible de cette religion d’État. Faut-il interdire les signes d’appartenance religieuse à l’école? Comment les définir? Quelle est la limite entre l’ostentation et le port discret d’un signe religieux? Autant de questions sur le sexe des anges qui agitent l’Assemblée nationale(1). 
  
          En fait, c’est beaucoup de vent pour pas grand-chose. Mais on est en France, le musée hexagonal du républicanisme à l’ancienne. Il paraît qu’en Angleterre le voile est accepté dans les écoles publiques et que ça ne pose pas de problème. Pourquoi est-ce une affaire d’État chez nous?
 
Au nom du Père 
  
          L’État paternel est le Père symbolique de la république française. Rien ne saurait être fait sans son approbation, sa bénédiction ou sa tolérance magnanime. Les Français ont besoin d’un Être suprême politique, c’est l’État. Supprimez l’État, même par morceaux, et vous verrez ce qu’est un enfant qui croit qu’il peut tout faire quand son père a le dos tourné. Il paraît que les enfants les plus soumis à l’autorité parentale sont ceux qui font les pires âneries dès qu’ils sont «libres». Ce n’est pas difficile à comprendre, ils ne savent pas ce qu’est la responsabilité, ils ne connaissent pas les règles d’un comportement autonome en société, ils n’ont jamais agi seuls, par eux-mêmes, ni pensé par eux-mêmes. Mais est-ce une raison pour infantiliser la population pour l’éternité? 
  
          L’argument préféré des étatistes est cette pure fiction intellectuelle qui consiste à envisager les choses hors du temps. Que se passerait-il si le port d’arme était subitement autorisé? Tout le monde s’entretuerait. Que se passerait-il si on autorisait tous les signes religieux? On assisterait à une compétition de prosélytisme. Oui, c’est très probable. La population française est comme un enfant à qui on autoriserait tout subitement et qui commencerait à se brûler les doigts pour apprendre à comprendre ce qu’est le feu. 
  
          Mais faut-il pour autant se maintenir dans l’enfance et déléguer nos droits à ces super-enfants que sont nos politiciens? Certes, il y a un coût à payer pour devenir adulte, et un coût à payer pour qu’une société se libère des chaînes étatiques. Mais ce coût est un investissement dans la mesure où la liberté et le respect des droits individuels de propriété qui lui sont consubstantiels débouchent sur un bénéfice moral et économique(2). 
 
Le credo laïque 
 
          Dans le projet de loi relatif à l’application du principe de laïcité dans les écoles, collèges et lycées publics(3), ça commence mal: «La laïcité, écrit le ministre-philosophe Luc Ferry, garantit la liberté de conscience. Protégeant la liberté de croire ou de ne pas croire, elle assure à chacun la possibilité d’exprimer et de vivre paisiblement sa foi, de pratiquer sa religion.» 
  
          Les libertés de conscience, de croire, et la liberté d’expression? Mais elles ne sont menacées que par la loi étatique et la loi de la majorité! Comment l’État peut-il être garant de ce qu’il menace par nature? Contradiction Monsieur Ferry! Je ne me ferai pas le défenseur, intellectuellement parlant, des croyances les plus absurdes et des affirmations (expressions) les plus provocantes mais que se passe-t-il si on parle positivement de drogue en public? Quant à ceux qui affichent leurs convictions, qu’ils soient catholiques ou musulmans, racistes, nazis ou scientologues, qu’est-ce que la loi républicaine laïque et tolérante leur réserve?  
  
     «Empêcher l’expression des diverses croyances dans les espaces publics ou à l’école revient tout simplement à contrôler la pensée sur tout le territoire national. Ni plus ni moins. La liberté d’expression est mécaniquement d’autant plus menacée que s’étend l’espace public.»
 
          Que ce soit dans des espaces «privés» ou «publics», l’État conserve son droit divin d’imprimatur et de veto. Et il est évident qu’en interdisant certains discours déviants, l’État en arrive à défendre le discours «politiquement correct» et la vérité officielle, la limite entre ce qui est exprimable et ce qui ne l’est pas sera définie politiquement, donc dans l’intérêt du pouvoir politique. 
  
          Comme toutes les opinions sont politisées, on comprend la logique qui conduit l’abus de pouvoir à imposer une pensée unique. Empêcher l’expression des diverses croyances dans les espaces publics ou à l’école revient tout simplement à contrôler la pensée sur tout le territoire national. Ni plus ni moins. La liberté d’expression est mécaniquement d’autant plus menacée que s’étend l’espace public. Il est donc cocasse de voir les hommes de l’État défendre la liberté de croyance en régissant le monopole de l’Éducation nationale. 
 
La «neutralité» n’est pas neutre 
 
          Dans ce même texte de projet de loi on peut lire que «c’est bien la neutralité de l’école qui assure le respect de la liberté de conscience des élèves, le respect égal de toutes les convictions». Ainsi le respect des convictions ce serait de les empêcher de s’exprimer, de les bâillonner. Au lieu de confronter les points de vue et les idées, on les étouffe et on laisse s’installer le doux relativisme dans les classes: «tout est bon» du moment que vous n’y croyez pas. Seul ce relativisme sera admis dans les classes. Qui en sortira commettra un péché contre la République.  
  
          En tant qu’enseignant, j’ai déjà pu observer les dégâts mentaux de ce relativisme et de cette interdiction de penser librement. Comme en URSS, où les parents pouvaient être à tout instant dénoncés par leurs rejetons, les professeurs ne pourront plus exprimer la moindre opinion personnelle sans risquer d’être dénoncés. Et pourtant ce n’est pas l’opinion en tant que telle qui est dangereuse, ni le signe ostentatoire, mais l’interdiction de la critiquer, de la discuter. C’est elle qui fabrique la pensée unique et l’abêtissement. 
  
          La «neutralité» telle qu’elle est imposée n’est qu’une négation de la pensée, de l’intelligence et de la liberté, un héritage ridiculement dépassé d’une époque républicaine où les élèves étaient enfermés dans le monde clos de leur héritage familial, religieux et social. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.  
  
          Les élèves des lycées sont en contact avec un monde ouvert, grâce à internet, à la télévision, pour le meilleur et pour le pire, peut-être, mais ce monde ouvert a aiguisé leur esprit critique, leur désir d’avoir des convictions et d’en parler, voire de les montrer. Alors faut-il en revenir à des pratiques régressives, qui répriment l’expression des convictions? Pour Luc Ferry, dont la pensée s’est arrêtée aux idées républicaines du XIXe siècle, ça semble être le cas. 
  
          La «neutralité» est une notion qui implique un contrôle totalitaire de l’expression dans les monopoles publics et en particulier l’Éducation nationale. C’est une forme de fascisme, un fascisme laïque, ou «républicain». 
 
Casser le monopole 
 
          Le contrôle totalitaire de l’État sur l’école, ajouté à la religion laïque, engendre un climat de tensions religieuses et idéologiques. Puisqu’on n'a le droit de ne rien dire sauf en acquiesçant au relativisme d’État, les notions de vérité et de rationalité disparaissent ipso facto et le climat de suspicion s’étend. Ne rien dire qui ne soit politiquement autorisé. 
  
          La seule manière de garantir la liberté d’opinion, de pensée et d’expression est donc de casser ce monopole d’État de l’Éducation nationale. La concurrence entre les idées sera le meilleur service à rendre à la «conscience». La liberté de conscience, la liberté religieuse et la liberté d’expression existeront de fait. 
  
          Le monopole d’État sur l’éducation équivaut, il faut le dire clairement, à un contrôle des consciences, exactement comme ce qui se passait en URSS. Il n’y a pas d’autre alternative que le contrôle étatique et despotique des consciences et l’absence totale de contrôle, c’est-à-dire la liberté dans la production des services d’éducation. Ou bien l’État décide à notre place ou bien nous décidons pour nous-mêmes. 
  
          Ou bien le despotisme ou bien la liberté. 
  
  
1. Projet de loi relatif à l'application du principe de laïcité dans les écoles, collèges et lycées publics, www.assemblée-nationale.fr, mercredi, le 18 février 2004.  >>
2. Voir PLAIDOYER POUR LA MONDIALISATION CAPITALISTE, le QL, 7 février 2004, no 137>>
3. Projet de loi relatif à l’application du principe de laïcité dans les écoles, collèges et lycées publics, Assemblée Nationale, Constitution du 4 Octobre 1958, Douzième Législature, Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 28 janvier 2004. (Renvoyé à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.) Présenté au nom de M. JEAN-PIERRE RAFFARIN, Premier ministre, Par M. LUC FERRY, ministre de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche.  >>
  
 
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