Montréal, 6 mars 2004  /  No 139  
 
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Gilles Guénette est diplômé en communications et éditeur du QL.
 
 
LIBRE EXPRESSION
  
PARENTS DÉPASSÉS CHERCHENT
GARDIENNE À VIE!
 
par Gilles Guénette  
 
          «Quand la crise d’adolescence frappe, des parents supplient la Direction de la protection de la jeunesse de prendre leur ado en charge.» C’est ce qu’on apprenait le 28 février dernier à la une de La Presse. Après la nationalisation des garderies, verrons-nous bientôt apparaître des pouponnières/maisons de pension publiques dans toutes les régions de la Belle province? 
 
Le meilleur des mondes 
  
          Ainsi, un nombre grandissant de parents font appel à la DPJ plutôt que de mettre leurs turbulents adolescents à la porte(1). Loin d’être des cas isolés, l’organisme mentionne la tendance dans son rapport annuel, histoire de s’interroger tout haut sur le rôle qu’il doit jouer. La DPJ est-elle devenue «un remède magique au sentiment d’impuissance?» On se le demande. 
  
          À la Direction, on appelle ces cas, les «38-H» – en référence à l’article 38 de la Loi sur la protection de la jeunesse. Ce dernier stipule que la sécurité ou le développement d’un enfant sont compromis, entre autres, «s'il manifeste des troubles de comportement sérieux et que ses parents ne prennent pas les moyens nécessaires pour mettre fin à la situation qui compromet la sécurité ou le développement de leur enfant ou n'y parviennent pas.» Comme le développement de l’adolescent «en crise» serait compromis dans ces cas, l’organisme se doit d’intervenir. C’est dans son mandat. 
  
          Sauf que ce ne sont pas tous les cas de 38-H qui sont en danger. Et comme le souligne le directeur de la DPJ de Montréal, Jean-Marc Potvin, «est-il raisonnable socialement d’endosser le fait que des parents s’en remettent à la DPJ pour que soient imposées des limites à leur jeune et qu’enfin ils se sentent appuyés dans leur rôle d’éducation? […] Se pourrait-il que, chacun dans leur rôle, les adultes qui gravitent autour des jeunes ne sachent plus comment s’incarner dans un rôle d’autorité bienfaisant et sécurisant?» 
  
          Il a raison lorsqu’il dit que les parents ne devraient pas faire appel à la DPJ pour qu’elle règle à leur place leurs problèmes familiaux, sauf qu’en bon fonctionnaire, M. Potvin poursuit en mentionnant que les compressions budgétaires depuis une dizaine d’années ont eu pour effet «qu’il y a eu un certain désinvestissement autour des jeunes en difficulté». Ils ne ratent jamais une occasion de faire avancer leur cause ceux-là! 
  
          «Faute d’avoir obtenu le soutien nécessaire au moment opportun, écrit M. Potvin dans son rapport annuel, les parents en viennent par désespoir, épuisement et exaspération à vouloir démissionner de leur rôle parental.» Faute d’avoir obtenu le soutien nécessaire au moment opportun… on voit poindre un embryon de programme parental ciblé ici. 
  
Communauté, Identité, Stabilité 
  
          Cinq jours après la publication de cette nouvelle, Katia Gagnon, éditorialiste à La Presse, dévoilait la position officielle du «plus grand quotidien français d’Amérique»! Après une brève mise en situation – «…la plus grande permissivité avec laquelle nous élevons nos enfants», «…l’énorme taux de divorce, qui laisse fréquemment les mères seules – et débordées, et épuisées – avec leurs enfants»(2) –, l’éditorialiste a suggéré la création d’une toute nouvelle structure d’intervenants pour ces parents (mères monoparentales) en difficulté. 
  
     «On n’est pas les plus taxés en Amérique du Nord pour rien! Aussitôt qu’il y a un problème – aussi petit soit-il –, on en appelle à l’intervention de l’État. C’est le concept de protection "du berceau au tombeau" (from womb to tomb) qui prend tout son sens ici.»
 
          Dans le contexte de la refonte de la Loi sur la protection de la jeunesse, il faudrait aller plus loin que de simplement formaliser les relations entre la DPJ et le reste du réseau de la santé: «De notre point de vue, il faudrait aller plus loin en créant un service spécifiquement dirigé vers ces parents débordés. Groupes de médiateurs? Équipes de psychologues? La formule reste à déterminer, mais, de toute évidence, le statu quo est devenu difficile à tolérer.» 
  
          Eh oui! On n’est pas les plus taxés en Amérique du Nord pour rien! Aussitôt qu’il y a un problème – aussi petit soit-il –, on en appelle à l’intervention de l’État. C’est le concept de protection «du berceau au tombeau» (from womb to tomb) qui prend tout son sens ici. Surtout qu’élever un enfant n’est pas qu’une mince tâche, c’est très complexe. Les spécialistes nous le disent: c’est beaucoup plus difficile qu’avant. 
  
          Il faut que l’État intervienne pour faire en sorte que quelques parents dépassés par les événements puissent enfin décompresser. Pour tenter d’arranger des relations que des années de laissez aller et de non ingérence parentale ont complètement détérioré. Pour que tous ces parents qui ont «élevé» leurs enfants comme s’il s’agissait d’un(e) grand(e) ami(e) puissent retrouver un semblant d’autorité. Comme si les fonctionnaires de la DPJ pouvaient tout arranger… 
  
Les professionnelles à la rescousse  
  
          Après les Centres de la petite enfance, où l’on case les enfants de plus en plus tôt et pour des périodes de plus en plus longues, on verra bientôt apparaître des pouponnières publiques où les parents trop débordés par leurs obligations de tous les jours pourront venir déposer leur rejeton à la semaine ou au mois! Ou même les y entreposer à vie, dès leur naissance. 
  
          Bien sûr, ces pouponnières/pensionnats seront administrés par des employées syndiquées et bien formées qui, elles, sauront comment élever adéquatement le futur citoyen. Évidemment, ces employées seront très bien rémunérées et auront l’appui de la population lorsqu’elles descendront dans la rue pour réclamer de meilleures conditions de travail à leur employeur, l’État (ne veut-on pas ce qu’il y a de mieux pour nos tout petits?) 
 
          Et les parents pourront enfin se débarrasser de ce sentiment de culpabilité qui les hante. Ils pourront rendre visite à leur enfant de temps à autres, histoire de voir son évolution et de s’assurer qu’un lien subsiste – aussi menu soit-il. Ils pourront aussi se plaindre lorsqu’il n’évoluera pas aussi rapidement que souhaité où dans le sens voulu. Mais de tels cas seront très rares. Les intervenantes sociales sont des professionnelles après tout. 
  
          Fini les crises d’adolescence! Fini les frictions entre enfants et parents! Plus aucun enfant ne se rendra à l’école le ventre vide. Plus aucun adolescent n’entretiendra des pensées suicidaires. Plus aucun jeune adulte ne se tournera vers l’alcool ou les drogues pour oublier. Les enfants grandiront dans les meilleures conditions humainement possibles. Libérés les uns des autres, parents et enfants pourront enfin s’épanouir pleinement!  
  
Là où l’État est roi 
  
          Dans son roman Le meilleur des mondes, Aldous Huxley imaginait un avenir bien sombre où la conception étant interdite, les citoyens sont génétiquement programmés pour être stériles et seules quelques femmes, dont on a laissé intactes les fonctions reproductrices, sont tenues de donner leurs ovules afin que soient fabriqués les citoyens – c’est le concept du clonage, des années avant Raël et ses «mères porteuses»! 
  
          Dans cette vision de l’avenir, imaginée par Huxley il y a près de 75 ans, les citoyens sont clonés en cuvettes dans des Centres d'Incubation et de Conditionnement gérés par l’État. Leur période de «formation» débute alors qu’ils sont encore à l’état embryonnaire et se poursuit jusqu’à ce qu’ils soient devenus des adultes fiers, respectables et autonomes. Le but étant de créer le meilleur des mondes, celui où règnera l’harmonie et la stabilité. 
  
          Bien sûr, l’État québécois ne possède pas son propre réseau de Centres d'Incubation et de Conditionnement. Sauf que si la tendance se maintient, comme dirait l’autre, ce n’est peut-être qu’une question de temps… 
  
  
1. Judith Lachapelle, « La DPJ s’interroge: même les parents crient à l’aide », La Presse, 28 février 2004, p. A-1 et A-4.  >>
2. Katia Gagnon, «Parents au bord de la crise de nerfs», La Presse, 3 mars 2004, p. A-20.  >>
 
 
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