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Montréal, 20 mars 2004 / No 140 |
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par
Jean-Louis Caccomo
Les pacifistes aiment à faire des associations non innocentes entre la guerre, le capitalisme et la recherche du profit. Progressivement s’impose l’idée erronée et pernicieuse que la «guerre économique» et le marché sont une seule et même chose. La plupart de ces pacifistes sont sans doute de bonne foi mais cela ne légitime pas leur égarement. Je ne doute pas que des entreprises s’enrichissent à l’occasion de conflits. Mais, ce sont toujours des États qui déclarent la guerre à d’autres États. En fait, les parallèles les plus troublants – et les plus instructifs – sont à trouver entre l’économie de guerre et l’économie administrée, c’est-à-dire le socialisme. |
Gérer
une économie de guerre
Comme le font à juste titre remarquer nos chers manuels: «La Deuxième Guerre Mondiale fait apparaître la possibilité de maîtriser l’économie; la guerre fut, on le sait, mondiale et totale, demandant la mobilisation de l’ensemble des ressources. Le libre jeu du marché fut ainsi aboli pendant un laps de temps considérable, et dans bon nombre de pays se réclamant jusque-là de la libre entreprise.»(1) Les techniques de la comptabilité nationale ont d’ailleurs été mises au point pendant la guerre, dans le but de gérer une économie de guerre(2). Il serait bien impossible de financer une activité comme la guerre totale qui coûte en capital, en technologie et en hommes, par les moyens normaux de l’économie de marché. Et d’ailleurs, quelle sorte d’individus seraient volontaires pour se faire tuer? Keynes avait lui-même remarqué, en observant l’Allemagne des années 30, qu’une politique d’armement est comparable à une politique de «grands travaux» financés par la dépense publique et qui contribuent à donner du travail au plus grand nombre en «mobilisant» les forces productives. Cependant, ces forces productives sont détournées – par la force de la main visible du despote – à des fins destructrices ou pour une cause noble de légitime défense du territoire agressé. Mais, des individus libres, à la poursuite de leurs intérêts privés et de leur bonheur individuel (égoïste?), ne se seraient pas lancés spontanément dans ce type d’occupation (ni d’ailleurs dans une agression collective). Il faut donc une mobilisation générale pour endoctriner les esprits, soit pour agresser un autre pays (ce qui est injustifiable), soit pour se protéger (ce qui est indispensable), que seul l’État est à même de mettre en oeuvre. Que ne ferait-on pas pour séduire les masses au nom de l’emploi? C’est pourquoi j’ai tendance à me méfier des partis populistes qui font de «l’emploi» le critère absolu d’évaluation de leur politique. Car si l’emploi est le souci prioritaire des Français, ils doivent s’en occuper eux-mêmes et prioritairement. Tout attendre de l’État, c’est se condamner à devenir sûrement un futur chômeur. Mais, à l’époque des surenchères revendicatives, les partis servent des slogans bien dangereux: ils nous promettent l’emploi comme un droit et le licenciement comme un délit. Ils pourraient bien décider de la suppression des machines et de la fermeture des frontières: en effet, si les tracteurs ou autres monstres de la technologie n’existaient pas et si l’on pouvait rester à l’abri de frontières nationales étanches dans nos terroirs ainsi figés pour l’éternité, comme il y aurait du travail pour tout le monde. D’ailleurs, il y a toujours du travail… dans une prison. De ce point de vue, l’extrême droite et l’extrême gauche entonnent des refrains tout à fait ressemblants. Le drame est que les hommes politiques de tout bord, pour récupérer des électeurs ainsi égarés, sont prêts à flirter avec ces accents démagogiques. En France, les viticulteurs du Languedoc-Roussillon demandent au gouvernement de considérer le vin français comme une «exception culturelle» à brandir en riposte au Coca-Cola et à la «malbouffe» en provenance des É-U «qui rendent obèses». Et c’est ainsi que certains députés de la majorité comme de l’opposition considèrent qu’il est de leur devoir de protéger les viticulteurs français. Quand le corporatisme rejoint le nationalisme, on peut s’attendre aux pires dérives. Ce nationalisme conduit à déclarer une véritable guerre aux produits américains en réponse à l’embargo des É-U sur le foie gras français. Mais les erreurs des uns n’excusent ni ne légitiment les erreurs des autres. Guerre économique, protectionnisme larvé par la multiplication de normes arbitraires (éthiques, sanitaires ou autres) et intervention de l’État sont toujours les différents aspects d’une même déviation qui n’a plus rien à voir avec l’économie de marché. La guerre économique et l’économie de guerre sont bien les avatars d’un interventionnisme sans limite. Par nécessité et légitime défense Les deux guerres mondiales ont profondément marqué l’Europe. C’est une banalité de le dire. Mais, on n’a toujours pas pris conscience du fait que ces guerres ont introduit chez tous les belligérants les pratiques qui ont considérablement élargies la place de l’État dans la société. Quand il a démocratiquement accédé au pouvoir en Allemagne, Hitler a étatisé la nation allemande afin de préparer sa guerre. Quand ils ont pris conscience du danger, les autres pays se sont installés dans une économie de guerre par nécessité et légitime défense. Mais le résultat fut le même partout: dans l’économie de guerre, l’État s’approprie par l’impôt, l’emprunt et l’inflation une part croissante du revenu national tout en détournant l’effort productif de la nation. L’État total est né de la guerre totale. La paix retrouvée, on est plus jamais revenu en arrière et ceux qui plaident pour un retour de l’État à ses justes proportions sont suspectés d’ultra-libéralisme, qui rime avec fascisme pour les belles âmes illettrées.
D’ailleurs, nos manuels de macro-économie s’en félicitent:
Étatiser la nation, envahir ses voisins Ne sommes-nous pas au contraire en train de réaliser, sous le prétexte de s’en protéger, le projet national-socialiste de Hitler? En effet, Hitler souhaitait imposer un État, dont il s’était désigné le guide (führer) suprême, à l’ensemble de l’Europe. Il lui fallait alors progresser en deux étapes:
2) par la guerre, envahir ses voisins pour imposer un État supra-national dont il serait le super-despote. En Europe, c’est tout le contraire qui pourrait bien se passer si la construction européenne consiste à mettre en place un État supranational aux compétences illimitées. Certes, le processus est pacifique; il n’en demeurera pas moins despotique et ruineux.
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