Montréal, 15 avril 2004  /  No 141  
 
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Yvon Dionne est retraité. Économiste de formation (Université de Montréal), il a travaillé à la Banque du Canada (11 ans) puis pour « notre » État du Québec (beaucoup trop longtemps: 20 ans). On peut lire ses textes sur sa page personnelle.
 
CE QUE J'EN PENSE
  
CONSTAT D'ÉCHEC POUR LE PARTI LIBÉRAL,
APRÈS UN AN AU POUVOIR
 
par Yvon Dionne
  
  
          Le 30 mars 2004, un jour avant de conclure un projet de vente de faillite avec les Innus (inspiré par un racisme dit positif appelé l'approche commune), le Parti libéral du Québec (PLQ) mettait à l'écart les promesses faites avant les élections du 14 avril 2003. Le ministre des Finances Yves Séguin prononçait ce jour-là son deuxième discours du budget, que tous attendaient avec impatience et surtout, appréhension. Plusieurs ont surnommé le ministre Séguin le Robin des bois du gouvernement; le surnom s'est avéré exact si on se souvient que le légendaire Robin était un voleur.
 
          Tout le sens de ce budget du 30 mars, qui devait marquer un point tournant pour le PLQ après un an de tergiversations, a été dévoilé au tout début de la litanie monotone débitée par l'ex-ministre des taxes (Revenu) quand celui-ci, le plus sérieusement du monde, a annoncé une exemption de la taxe de vente des... couches pour les bébés. «Je suis heureux d'annoncer aujourd'hui»... Les applaudissements ont fusé du côté libéral et ils n'ont jamais été si nourris que cette fois-là. Le plan budgétaire du PLQ se résume en effet à une hausse des transferts aux familles qui ont des enfants, à payer par ceux qui n'en ont pas; tout le reste dépend des résultats, pour l'instant très mitigés, de la «réingénierie», des négociations prochaines avec les fonctionnaires et autres rentiers du secteur public et parapublic, des primes à l'«équité salariale», et surtout de la quête auprès du gouvernement fédéral qui a de moins en moins de surplus budgétaire. 
  
Un rappel des promesses 
  
          Vous vous souvenez du lancement avec grand tapage de «Un gouvernement au service des Québécois; ensemble réinventons le Québec»? Ce programme du PLQ avait été rendu public à l'automne 2002 et le plan budgétaire proposé avait été jugé très «conservateur» (dans le sens de prudent). J'en doutais et j'en ai fait part dans un article intitulé «Le parti libéral du Québec veut réinventer l'État» (le QL, no 110). Mais il y avait des «experts», plus experts que moi, qui ont cru ardemment, du moins aux prévisions budgétaires qui paraissaient réalistes. 
  
          Les élections passées, les mauvaises nouvelles déboulent et sont même claironnées avec un certain plaisir par le gouvernement qui semblait déjà vouloir changer de cap. L'ex-vérificateur Guy Breton fait son rapport. Les prévisions économiques deviennent moins optimistes. Etc. Etc. Et le fédéral dans tout ça qui continue à perpétuer le «déséquilibre fiscal». Sauf que Yves Séguin, l'ex-président de la Commission du même nom, n'aurait plus un mot à dire si un gouvernement moins irresponsable à Ottawa avait décidé de réduire les impôts et de cesser de piger dans la caisse d'assurance-emploi. Car la logique du déséquilibre fiscal, c'est que si un gouvernement montre un surplus, il le fait aux dépens non pas des payeurs de taxes mais d'un autre gouvernement, en l'occurrence dans ce cas les provinces. Les municipalités chantent le même refrain au sujet des autres niveaux de gouvernement. Généralement, selon cette mentalité de quêteux, si quelqu'un est plus riche c'est qu'il y a un déséquilibre. 
  
          Dans ce programme, le PLQ avait défini «neuf priorités d'action», dont la première était celle-ci: 
              Un gouvernement du Parti libéral du Québec enclenchera, dès le dépôt de son premier budget, un plan de réduction de l'impôt des particuliers d'un milliard de dollars par année pendant cinq ans. [...] Cinq ans après l'élection d'un gouvernement du Parti libéral du Québec, les contribuables québécois paieront en moyenne 27% moins d'impôt.
Ce que dit le deuxième budget du PLQ, celui du 30 mars 
  
          Dans une pure logique comptable, le ministre Yves Séguin (lui-même comptable) nous annonce «une réduction de un milliard de dollars du fardeau fiscal» et nous donne ainsi un bel exemple de ce que le PLQ entend par «briller parmi les meilleurs»(1). Qu'en est-il au juste? 
  
          Le gouvernement augmente ses transferts aux particuliers de près de un milliard de $ (il s'agit de transferts fiscaux, sous forme de crédits remboursables). Il ne réduit aucunement les taux d'imposition. Évidemment, pour les familles avec des enfants, les impôts nets vont diminuer. Mais c'est uniquement parce que les impôts nets des autres contribuables vont augmenter d'autant. L'État ne crée pas de richesse; il ne fait que prendre aux uns pour distribuer aux autres et ne peut faire autrement que distribuer moins qu'il ne perçoit. D'ailleurs, quand on tient compte des hausses de tarifs pour les services étatisés, il n'est pas certain si ces familles sont réellement avantagées. Les deux partis d'opposition disent que l'impact négatif de la tarification (Hydro-Québec, garderies, etc.) varie de 500$ à 1000$ par famille, après effet du budget du 30 mars. 
  
          Il n'y a qu'une «simplification» annoncée de l'impôt sur le revenu qui permettra à certains d'obtenir des déductions additionnelles. Le mot est fort, car il ne s'agit que de la fusion de deux déclarations (qu'il fallait remplir toutes deux pour savoir laquelle était la plus avantageuse). 
  
          Voici un petit exemple pour comprendre la «baisse des impôts» de ce deuxième budget du PLQ. Supposons que l'État vous taxe à 50% pour donner ce 50% à votre voisin qui a beaucoup d'enfants (c'est un étalon). Le PLQ dit, le 30 mars, que ce 50% équivaut à une baisse du fardeau fiscal de 50%. Avez-vous compris l'astuce? C'est comme si je disais que les placements à perte dans Papiers Gaspésia sont une réduction d'impôt pour les entreprises. Si vous pensez que j'exagère, c'est que vous ignorez qu'il y a des gens au gouvernement qui justifient des dépenses par leurs impacts économiques, qu'elles soient ou non rentables, en ignorant délibérément le fait que si cet argent avait été laissé aux contribuables il aurait produit autant d'impacts(2). 
  
     «La logique du déséquilibre fiscal, c'est que si un gouvernement montre un surplus, il le fait aux dépens non pas des payeurs de taxes mais d'un autre gouvernement, en l'occurrence dans ce cas les provinces. Généralement, selon cette mentalité de quêteux, si quelqu'un est plus riche c'est qu'il y a un déséquilibre.»
 
          Cette année, Québec augmente ses revenus autonomes de 5,9% alors que la prévision de croissance du PIB est de 4,3%, comprenant un taux d'inflation de 1,5%. Peut-on dans ce contexte parler d'une réduction du fardeau fiscal? 
  
          Tous les subventionnés (qui ont d'ailleurs le temps et l'argent pour parader) se sont plus à répéter à satiété que diminuer les impôts n'était pas un choix raisonnable au moment où les dépenses en santé augmentent rapidement et où Québec ne pourra, semble-t-il, éviter le déficit qu'en faisant un tour de chapeau auprès des libéraux fédéraux. C'est d'ailleurs ce que Québec fait depuis qu'il y a au Canada un régime de péréquation. 
  
          Ce raisonnement est à court terme et reflète une approche purement comptable. C'est méconnaître les impacts négatifs sur le développement économique (donc sur les entrées fiscales) de faibles taux d'imposition. En 2003, l'impôt sur le revenu des particuliers composait 38% des impôts et taxes prélevés par le gouvernement du Québec (excluant les transferts fédéraux). C'est au Québec où les taux marginaux sont les plus élevés. Nous avons ici moins de riches car Québec dit à ceux qui pourraient venir: Si vous venez ici on va vous faire payer! 
  
          «En appliquant au Québec des estimations américaines, on peut prévoir qu'une réduction du tiers des taux marginaux québécois ajouterait un peu plus de 1% au PIB actuel et augmenterait de 0,22% son taux de croissance annuel à long terme»; ceci est un extrait d'une étude récente publiée par l'Institut économique de Montréal et présentée au ministère des Finances(3). 
  
Où s'en va-t-on? 
  
          Au-delà des belles paroles du PLQ pour le cirque de la politique, comme celle de «briller parmi les meilleurs» (quand on sait que nous sommes descendus au niveau des provinces maritimes), où s'en va-t-on? Les saltimbanques du PLQ disent que c'est la faute du gouvernement fédéral et du gouvernement péquiste précédent, mais que fait-il pour au moins redresser la situation? Dira-t-on dans quatre ans que c'est aussi sa faute car plus on attend, plus les choix seront difficiles? En augmentant les transferts aux particuliers le gouvernement vient de remettre aux calendes grecques une baisse de l'impôt sur le revenu et des autres taxes. Du côté des dépenses, il continue aussi à perpétuer le contrôle étatique en santé et en éducation, sauf pour la maigre promesse d'une gestion privée des deux nouveaux hôpitaux universitaires à Montréal. 
  
          Pour l'an prochain, le gouvernement prévoit un déficit de 1,6 milliard de $, et ceci n'est qu'un estimé (probablement sous-estimé) qui ne comprend pas les hausses salariales des 400 000 employés de l'État et les primes pour la prétendue équité salariale; il boucle son budget cette année en vendant des meubles (880 M$ à vendre) et en laissant de côté plusieurs de ses... «missions» (routes en particulier). Il est illusoire de penser que la présidente du Conseil du Trésor, Mme Monique Jérôme-Forget, pourra livrer une aussi grosse commande, celle de pouvoir couper suffisamment pour boucler un budget dont le déficit l'an prochain est causé pour 1 milliard par l'impact des mesures fiscales et budgétaires du budget du 30 mars. 
  
          Dans son document de consultation prébudgétaire publié en décembre 2003, le ministère des Finances donnait pourtant un élément de réponse aux problèmes auxquels il n'a apporté aucune solution le 30 mars (sauf pour les intérêts électoralistes du PLQ): «Le Québec dépense plus que les autres provinces canadiennes, malgré une richesse par habitant moindre.» (Source: «La dynamique des finances publiques du Québec: défis à relever») Le Québec a un fardeau fiscal élevé, ayant un impact négatif sur le développement économique; or, il ne peut y avoir de taxes s'il n'y a pas de croissance économique, sinon le gouvernement assèche la poule aux oeufs d'or: pas de poule, pas d'oeuf. 
  
          Au document précité, à la page 24, le fardeau fiscal est défini comme étant les recettes fiscales en pourcentage du produit intérieur brut provincial. Tiens, tiens... Le budget du 30 mars dit que c'est «un fardeau net des cadeaux à un groupe précis». Au Québec, en 2001, les recettes fiscales de toutes les administrations publiques (i.e. du petit tyran municipal au grand tyran fédéral) équivalaient à 39,2% du PIB, le taux le plus élevé au Canada, comparativement à 26,7% en Alberta. Vit-on moins bien en Alberta? La dette du Québec est aussi celle qui est la plus élevée en pourcentage du PIB (44,2% au Québec, contre 3,2% en Alberta, pour l'année fiscale 2002/2003). 
  
          En somme, avant les élections d'avril 2003, le PLQ avait présenté des hypothèses de solution qui pouvaient rallier plusieurs, bien qu'elles étaient électoralistes et timides par rapport aux problèmes à résoudre. Mais que fait-il maintenant? Revit-on les années de Robert Bourassa? À force d'hésiter, ne devient-on pas impuissant? Le PLQ se prépare déjà pour les élections dans trois ou quatre ans (au maximum); donc, pas question de déplaire aux électeurs et à tous les groupes d'intérêt siphonneux(4) des payeurs de taxes. 
  
          Yves Séguin dit: «On sait que l’ancien gouvernement nous a laissé une impasse budgétaire importante. Elle s’explique en grande partie par un interventionnisme à outrance et par des investissements publics mal gérés.» (Source: Budget du 30 mars) Certes, le PLQ est moins interventionniste, mais il n'a pas le choix. Malgré des moyens moindres, il continue de distribuer à gauche et à droite, comme le gouvernement précédent. 
  
          Quelle sera l'impasse budgétaire dans quatre ans? Voilà la principale préoccupation qui devrait animer les 19 forums de «sensibilisation» organisés par le gouvernement (forums prévus d'abord pour le printemps mais qui vont s'étaler toute l'année); ce ne sera pas le cas car ces forums ne permettront au mieux que de faire valoir les demandes des nombreux bénéficiaires et rentiers de l'État. 
  
          Un forum doit porter sur la santé; le gouvernement veut y mettre de l'avant, pour pallier aux coûts du régime public, une caisse-santé. Cette idée ne peut au mieux que rationner plus efficacement la demande dans un régime étatisé, à condition que la tarification soit sur la base d'un régime d'assurance, modulée selon le risque. Mais tel n'est pas l'objectif du gouvernement. De plus, la caisse-santé ne permettra aucunement de rendre plus efficace la production étatique des services de santé. Voilà un domaine plus complexe que la production de chaussures, secteur où l'État n'a d'ailleurs jamais réussi dans les régimes communistes! 
  
  
1. Le texte «Briller parmi les meilleurs» est disponible au lien suivant www.plq.org/tousDocuments/briller.pdf  >>
2. Voir «Ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas», par Frédéric Bastiat (publié en 1850).  >>
3. Les bienfaits économiques d'une réduction de l'impôt sur le revenu, par Norma Kozhaya, économiste, Institut économique de Montréal. Cahier de recherche, mars 2004.  >>
4. Siphonneux: adj., du verbe siphonner. C'est l'occasion de mentionner une présentation trompeuse des données financières du gouvernement: les documents gouvernementaux présentent généralement les données fiscales en pourcentage du PIB. Par exemple, les dépenses de programmes en 2004 augmentent de 2,9% alors que la croissance du PIB serait de 4,3%; par conséquent, ces dépenses baissent en proportion du PIB et le gouvernement y voit un signe positif. Effectivement, sauf que les dépenses croissent néanmoins plus vite que le taux d'inflation prévu de 1,5%, ce qui est négatif.  >>
 
 
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