Montréal, 15 août 2004  /  No 145
 
 
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Pierre Lemieux est économiste et écrivain.
Page personnelle
 
LEMIEUX EN LIBERTÉ
 
CHOI-FM: UNE BONNE OCCASION 
DE DÉSTABILISER LÉVIATHAN
 
par Pierre Lemieux
 
 
          Le 10 août en début d’après-midi, ce que Bertrand de Jouvenel appelait « la Cité du Commandement », en l’occurrence le siège du tyran canadien, a changé d’allure. Mais oui! il est mieux d’appeler un chat un chat, même si notre tyrannie est « douce, réglée, paisible » comme Tocqueville l’avait si extraordinairement pressenti.
 
          Je suis arrivé à Ottawa vers midi quinze. Déjà, on sentait quelque chose d’étrange dans l’air. Dans le parking où je garai mon pick-up, plusieurs automobiles arboraient l’affichette blanche et or sur fond noir de CHOI-FM: « Liberté! Je crie ton nom partout. » De jeunes familles sortaient des voitures, portant le tee-shirt noir ponctué de l’exclamation « Liberté! ». Quelques automobiles affichant « Liberté! » passaient dans la rue en klaxonnant. En approchant du parlement, les affichettes et les tee-shirts « Liberté! » se multipliaient. 
  
          Les premiers autocars, parmi la cinquantaine attendus de Québec, à 500 kilomètres de là, commençaient à arriver. On les reconnaissait surtout par les cris qui, sporadiquement, fusaient de l’intérieur: « Liberté! Liberté! ». 
  
          Déjà, avant 13h, sous un ciel pluvieux, les manifestants commençaient à envahir la pelouse du parlement. Sur l’estrade métallique où CHOI-FM allait diffuser son émission, un groupe rock accueillait la foule joyeuse. Partout, l’affichette « Liberté! », mais aussi des slogans improvisés, souvent de manifestants anglophones: ici, « Abolish the CRTC! » sur une pancarte; là, écrit au stylo-feutre sur un tee-shirt, « Fuck the CRTC ». 
  
          Au plus fort de la manifestation, en milieu d’après-midi, quelque 5 000 personnes (selon une estimation de la police) occupèrent la pelouse du parlement. Sporadiquement, la foule scandait: « Liberté! Liberté! » 
  
     « Il n’arrive pas souvent, au Canada – ni peut-être ailleurs dans le monde, par les temps qui courent – qu’une foule manifeste avec le slogan si simple de “Liberté!”, qui semble d’ailleurs en porte-à-faux avec les “valeurs canadiennes” du CRTC. »
 
          Il n’arrive pas souvent, au Canada – ni peut-être ailleurs dans le monde, par les temps qui courent – qu’une foule manifeste avec le slogan si simple de « Liberté! », qui semble d’ailleurs en porte-à-faux avec les «valeurs canadiennes» du CRTC. Qui veut comprendre la tyrannie soft, l’inquisition aseptisée, et l’arbitraire judiciarisé sous lesquels nous vivons doit lire la « décision » des simili-juges du CRTC interdisant à CHOI-FM de diffuser après le 31 août(1). Quelques passages sur les fameuses « valeurs canadiennes »(2) qu’imposent par la force le tyran canadien et son sous-fifre du CRTC: 
    « Le Règlement interdisant les propos offensants qui risquent d’exposer une personne ou un groupe à la haine ou au mépris est non seulement nécessaire pour éviter tout préjudice aux personnes visées, mais aussi pour assurer le respect des valeurs canadiennes au regard de tous les Canadiens. La diffusion de propos pouvant exposer à la haine ou au mépris peut attirer des personnes vers la cause dont ils sont l’écho et être par conséquent à l’origine de discordes importantes entre différents groupes de la société canadienne, et ce, au détriment de l’ensemble de cette même société. » (paragraphe 35) 
      
    « De plus, ces propos sont loin de répondre à l’objectif de haute qualité énoncé dans la Loi et leur diffusion sur les ondes publiques ne constitue pas une programmation qui traduit les valeurs canadiennes. De l’avis du Conseil, le préjudice qui a pu être causé au groupe visé porte atteinte au droit à l’égalité reflété dans la politique canadienne de radiodiffusion et dans la Charte. » (par. 34)
          Par « discordes importantes », le CRTC veut dire la contestation de sa pidgin orthodoxie. Et imaginez-vous que, dans ce monde orwellien, « la Charte » est la charte canadienne des droits et libertés, invoquée pour justifier la censure(3). 
  
          Lisez le paragraphe 31: 
    « Cette politique stipule que la programmation doit être de haute qualité et que le système canadien de la radiodiffusion devrait, par sa programmation, refléter la condition et les aspirations des hommes, des femmes et des enfants canadiens, notamment l'égalité sur le plan des droits, la dualité linguistique et le caractère multiculturel et multiracial de la société canadienne ainsi que la place particulière qu’y occupent les peuples autochtones. Ces principes sont renforcés par les articles 15 et 27 de la Charte. »
          Écoutez nos commères d’inquisiteurs disserter savamment autour de l’impact sur « les femmes en général » de propos concernant les nichons d’une animatrice de télé, laquelle, la pauvre naïve, est allée se plaindre au protecteur attitré des nichons, papa CRTC:
    « … le Conseil a relevé plusieurs propos à l’endroit de la plaignante reliés à ses attributs physiques, et plus particulièrement sexuels… 
    « Le Conseil considère que les propos diffusés au sujet de Mme Chiasson étaient offensants et risquaient d’exposer la plaignante, et les femmes en général, au mépris pour des motifs fondés sur le sexe, contrairement à l’article 3b) du Règlement. De plus, l’ensemble de ces propos ne répond pas aux objectifs de la politique canadienne de radiodiffusion énoncée dans la Loi. L’ensemble des propos n’était pas de la programmation de haute qualité, tel qu’exigé par l’article 3(1)g) de la Loi. » (par. 61 et 65)
          Il s’agit d’un combat important. Si l’État recule, on pourrait espérer un déferlement de liberté sur les ondes canadiennes, ce qui nous changerait du village de Potemkin qui y a été construit. Je ne veux pas me montrer trop optimiste: je crains un compromis qui permettrait à CHOI de continuer d’émettre tout en maintenant l’autocensure que l’État canadien impose continuellement, sous peine de censure directe, aux stations canadiennes de radio et de télévision. J’espère quand même que, dans ce cas-ci, le tyran s’est attaqué un peu trop ouvertement à la liberté d’expression, bien que les instruments légaux pour ce faire étaient en place depuis plusieurs décennies. S’il y a une bonne occasion de faire reculer et de déstabiliser Léviathan, c’est peut-être celle-là.
 
 
1. Disponible à http://www.crtc.gc.ca/archive/ENG/Decisions/2004/db2004-271.pdf>>
2. Sur la notion de valeurs sociales, voir mon article « Wrong Wavelenght », Financial Post, 11 août 2004, p. FP-15, reproduit à http://www.pierrelemieux.org/artwave.html>>
3. Voir aussi ma chronique à venir dans le Western Standard du 30 août, qui sort de presse ces jours-ci (et sera disponible, mais plus tard, à http://www.westernstandard.ca, et à http://www.pierrelemieux.org/artwscrtc.html).  >>
 
 
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