Montréal, 15 novembre 2004  /  No 148  
 
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Mathieu Laine est avocat, chargé d'enseignement à l'université Panthéon-Assas (Paris II).
Page personnelle
 
OPINION
 
POUR UNE « SOCIÉTÉ DE PROPRIÉTÉ » *
 
par Mathieu Laine
  
  
          Il n'est pas que sur le terrain militaire, diplomatique ou culturel que la France fait entendre sa différence avec les États-Unis. Sur le plan des perspectives de société, notre pays se positionne également en alternative au modèle américain. Ainsi, alors que le président Bush promet l'avènement d'une « société de propriété », tournée vers les individus, la France poursuit la construction d'une « société de contrôle », toujours plus soumise à la réglementation et toujours plus confiante dans la bienveillance de l'État.
 
Contrôle vs propriété 
  
          La « société de propriété » est fondée sur l'idée qu'une personne voue une attention et un soin bien plus grands à ses propres affaires qu'aux affaires d'autrui. Nous pouvons effectivement tous constater que, lorsque nous sommes propriétaires d'un bien, nous nous en occupons mieux que lorsque nous ne le sommes pas. Ce raisonnement logique est, dans une « société de propriété », étendu à la sphère politique. Puisque l'homme politique gère des biens sur lesquels il n'a, par essence, aucun droit de propriété, il se retrouve en situation d'irresponsabilité et n'est pas incité à s'en occuper au mieux. Il faut donc, dès que possible, laisser la gestion des biens à leurs propriétaires naturels.  
  
          Ainsi, dans une « société de propriété », chacun prend le contrôle de sa propre destinée et comme ce sont des éléments essentiels de leur vie, les patients contrôlent leur assurance-maladie, les parents choisissent l'éducation de leurs enfants et les employés constituent librement leur retraite. La « société de propriété » est donc, intrinsèquement, une société de liberté.  
  
          Dans une « société de contrôle », à l'inverse, les dirigeants politiques entretiennent l'idée que les individus sont des êtres égoïstes et irrationnels. Le simple citoyen est dès lors incapable de gérer lui-même sa propre vie. Les élus, en revanche, obtiennent, par la magie de l'élection, une intelligence et une lucidité telles qu'ils savent, eux, ce qui est bon pour lui. Mais dans une telle société, l'individu abandonne la plupart de ses pouvoirs et se déresponsabilise. Le politique, quant à lui, demeure détaché de tout lien de propriété et n'est donc pas plus responsable. Inévitablement, la mauvaise gestion s'installe et l'arbitraire prend le pas sur la liberté.  
  
          Dans une « société de propriété », l'action humaine est respectée. L’homme n’est ni un surhomme ni un incapable chronique. Chacun a ses qualités, ses défauts, chacun se trompe, apprend de ses erreurs et se responsabilise. L'État considère que l'argent gagné par les citoyens est leur propriété et qu'il sera mieux géré par eux-mêmes que par ses propres agents. La pression fiscale est donc limitée et, inéluctablement, la capacité d'épargne grandit, l'investissement augmente, l'innovation et l'effort sont stimulés et le chômage se résorbe. 
  
          À l'opposé, dans une « société de contrôle », la propriété est vidée de son contenu par la réglementation et par une trop forte pression fiscale. Les gains que chacun perçoit du fait de son travail et de ses choix sont, en grande partie, captés par des machines coûteuses et déresponsabilisées. Dès lors, la capacité d'épargne diminue, l'investissement est sanctionné, l'innovation et l'effort sont pénalisés et le chômage s'accroît. 
  
     « Dans une "société de propriété", les droits individuels sont placés au sommet des valeurs communes et la règle morale selon laquelle nul ne peut violer la propriété d'autrui sans son libre consentement domine et autorise une saine application de la discipline de la responsabilité personnelle. »
  
          Dans une « société de propriété », les élites sont mouvantes, le mérite est primé, l’ascenseur social fonctionne et l’immigration du travail et du talent enrichit l’économie du pays alors que, dans une « société de contrôle », les élites sont figées, l’ascenseur social est en panne et l’émigration du travail et du talent vide l’économie du pays de ses meilleurs cerveaux.  
  
          Dans une « société de propriété », la mondialisation ne fait pas peur. Elle n’est qu’une accélération des échanges de biens, d’informations et de services qui ont existé, de tout temps, entre des individus propriétaires. En revanche, dans une « société de contrôle », la mondialisation effraie, ce qui arrange bien les hommes politiques qui peuvent vendre de la précaution, de la réglementation et donc, de l’intervention.  
  
          Dans une « société de propriété », les droits individuels sont placés au sommet des valeurs communes et la règle morale selon laquelle nul ne peut violer la propriété d'autrui sans son libre consentement domine et autorise une saine application de la discipline de la responsabilité personnelle. La prise de risque est respectée et la foi dans le progrès ouvre le champ à une plus grande maîtrise des dangers. Dans une « société de contrôle », au contraire, ce sont les fausses valeurs qui prennent le dessus. L'« État nounou » s'immisce dans nos choix les plus intimes et réduit notre capacité d'action. 
  
          Derrière ces deux visions de la société, ce sont donc bien deux approches de l'action politique et surtout deux visions de l'homme qui s'affrontent. Bien entendu, la « société de contrôle » absolu hante davantage les mauvais souvenirs du XXe siècle qu'elle n'habite les volontés conscientes des dirigeants français. Mais si l'on pouvait juger une société au regard des valeurs qu'elle met en avant et des rêves qu'elle distille, il apparaîtrait nettement que la France n'a malheureusement toujours pas quitté les rives de la « société de défiance » alors qu'une bonne partie de l'Europe et un certain nombre des pays du Sud ont déjà pris le parti de bâtir une « société de confiance » fondée sur les vertus de la propriété privée et sur l'émancipation des individus. 
  
  
* Article publié dans Le Figaro, le 02 novembre 2004.
 
 
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