Montréal, 15 novembre 2004  /  No 148
 
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Gilles Guénette est diplômé en communications et éditeur du QL.
Page personnelle
 
LIBRE EXPRESSION
  
TÉLÉVISION PAR SATELLITE: LA LOI SUR LA RADIOCOMMUNICATION DOIT ÊTRE MODIFIÉE
 
par Gilles Guénette
 
« Les Canadiens n'auront plus à demander de permission pour pouvoir écouter la télévision. Ils vont pouvoir choisir d'écouter et de regarder ce qu'ils veulent maintenant. »
 
–Jacques D'Argy
  
          Le 28 octobre dernier, la juge Danielle Côté de la Cour du Québec a ordonné au gouvernement fédéral de modifier les dispositions de la Loi sur la radiocommunication qui interdisent le décodage de signaux de chaînes de télévision étrangères sans l'autorisation d'un câblodistributeur « légitime ».
 
          La juge s'est ainsi rendue aux arguments de deux résidents de Drummondville, Richard Thériault et Jacques D'Argy, qui étaient poursuivis par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications du Canada (CRTC) depuis décembre 1998 après avoir vendu l'équipement nécessaire à de tels décodages à un agent de la Gendarmerie royale du Canada. 
  
          Si le nom vous dit quelque chose, c’est que M. D’Argy nous avait fait part de son combat, dans les pages du QL, en décembre 2002 (voir POUR LE DROIT DE REGARDER CE QU'ON VEUT, le QL, no 116). Comme il le mentionnait dans son article: « Un pays qui brandit le trophée du multiculturalisme et qui fait des immigrants des criminels parce qu'ils veulent recevoir une certaine programmation portant sur leur langue et leur culture, viole la Charte des droits et libertés. » 
  
          Cette décision du tribunal risque donc de faciliter l'accès à des chaînes qui ne sont pas distribuées par les distributeurs « légitimes » canadiens, soit Bell ExpressVu et Star Choice. Par exemple, la chaîne italienne RAI International, exclue de la liste des services satellitaires disponibles pour distribution au Canada en juillet dernier par le CRTC sous prétexte qu’elle entrait directement en concurrence avec Télélatino, une chaîne torontoise. 
  
          Messieurs Thériault et D'Argy ont plaidé, avec succès, que deux articles de la Loi sur les radiocommunications contreviennent à l'article 2b de la Charte canadienne des droits et libertés, qui garantit notamment la liberté « d'opinion et d'expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication ». 
  
          La juge Côté a donc invalidé les articles 9 et 10 de la loi et a ordonné au gouvernement de les modifier d'ici un an. L'article 9 interdit de décoder, sans l'autorisation de leur distributeur légitime ou en contravention avec celui-ci, un signal d'abonnement ou une alimentation réseau. L'article 10 précise que les contrevenants s'exposent à une amende de 5000 $ ou un an de prison (Radio-Canada, 28 octobre 2004). 
  
     « Bien sûr, les mesures protectionnistes en place ne font pas que l’affaire des politiciens. Les gens de l’industrie aussi les chérissent – surtout les gros joueurs qui se sont érigé de lucratifs monopoles au fil des ans… »
  
          Actuellement, les Canadiens qui souhaitent capter des chaînes non distribuées au pays doivent se rendre chez l’Oncle Sam pour s'abonner à des services comme Direct TV ou Dish Network en donnant une fausse adresse américaine ou encore en achetant sur le marché noir une carte à puce modifiée (voir TÉLÉ AMÉRICAINE PAR SATELLITE: L'ÉTAT BLOQUE LES ONDES!, le QL, no 104).  
  
          Pour la juge Côté, il est « déraisonnable » de pousser à l'illégalité les citoyens qui souhaitent exercer leur droit à la liberté d'expression. Elle rejette ainsi les arguments du fédéral qui, comme toujours, invoque son obligation de « protéger l'identité et la culture canadiennes » pour justifier le blocage à la frontière d'autres chaînes que celles offertes par les amis du régime. 
  
Réaction 
  
          On s’en doute, la décision n’a pas plu à nos politiciens nationalistes qui n’en ont que pour l’identité et la culture canadiennes. « Cette décision a été une surprise pour nous tous », de déclarer la ministre du Patrimoine canadien, Liza Frulla, le 29 octobre dernier à la Presse canadienne. « Il s’agit d’une préoccupation d’un point de vue culturel parce que, bien sûr, il y va de notre industrie », a-t-elle rajouté avant de conclure que « Cette industrie [culturelle], une industrie d’une valeur totale de 26 milliards, doit être protégée. »  
  
          La culture canadienne doit être protégée, même si cela contrevient à quelque article de la Charte des droits et libertés. Elle doit être protégée sinon… elle va s’effondrer. Plus personne ne regardera notre télé si le « mur » qu’a érigé Ottawa au fil des années entre le Canada et les États-Unis est détruit. La culture américaine va nous envahir! Nous allons tous disparaître! Aaahhhh! 
  
          C’est toujours la même rengaine. Effrayer pour mieux régner. Si j’oeuvrais au sein de l’« industrie culturelle », je serais insulté par la tenue de tels propos. C’est comme si l’État disait aux artistes et artisans: « Votre produit est bien bon, mais pas assez; on va fermer les frontières pour vous assurer qu’il n’ait pas à entrer en concurrence avec ce qui se fait à l’étranger. » 
  
          Bien sûr, les mesures protectionnistes en place ne font pas que l’affaire des politiciens. Les gens de l’industrie aussi les chérissent – surtout les gros joueurs qui se sont érigé de lucratifs monopoles au fil des ans… Les grands perdants de cette situation sont, encore une fois, les consommateurs. Demandez aux membres de la communauté italienne du Canada s’ils sont heureux de la décision du CRTC d’interdire RAI International au pays sous prétexte que ça « menacerait » la survie d’une chaîne canadienne. 
  
          Le gouvernement fédéral a jusqu’à la fin du mois pour décider s'il porte cette décision en appel. Gageons qu’il se fait beaucoup de lobbying (et de graissage de pattes) ces jours-ci dans les coulisses du Parlement à Ottawa. Gageons que les avocats de l’État cogitent fort depuis quinze jours pour trouver une façon plausible de contourner la Charte.
 
 
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