Montréal, 15 décembre 2004  /  No 149  
 
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Marc Grunert enseigne les sciences physiques dans un lycée de Strasbourg et anime le Cercle Hayek de Strasbourg, consacré à la réflexion et à la diffusion du libéralisme. Il est également éditeur adjoint du QL pour la section européenne.
Page personnelle
 
CHRONIQUE DE RÉSISTANCE
 
HOMOPHOBIE ET SEXISME
  
par Marc Grunert
    
          L'Assemblée nationale française a adopté récemment un projet de loi hautement discriminatoire, criminalisant le « sexisme » et l'« homophobie ». Une loi dont la conséquence est tout simplement le bâillonnement de la pensée et de son expression. La liberté d'expression devient de plus en plus une coquille vide dans le pays auto-proclamé des « droits de l'homme ». 
  
Victimologie 
  
          Sous l'influence d'une stratégie racoleuse à l'égard des groupes de pression médiatiquement visibles et d'une sociologie gauchiste qui ne voit que des « groupes sociaux » érigés en victimes d'une oppression « sociale » imaginaire, le gouvernement veut montrer sa réactivité et fabrique des lois sur commande, sous la pression des événements, sans se rendre compte qu'il incite les victimologues professionnels et subventionnés à continuer à inventer des Victimes officielles.
 
          Ainsi dans la loi relative à « la lutte contre les propos discriminatoires à caractère sexiste ou homophobe », on peut lire: 
    Article 1er - Il est inséré, après le huitième alinéa de l'article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, un alinéa ainsi rédigé:  
      
    « Seront punis des peines prévues à l'alinéa précédent ceux qui, par ces mêmes moyens, auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur sexe ou de leur orientation sexuelle. »
          Encore une fois, faut-il le répéter, l'agression doit se définir de manière objective. C'est l'agression des droits de propriété, et donc de l'intégrité des personnes physiques et de leurs propriétés. L'initiation de la violence est criminelle car c'est un fait objectif, une atteinte objective aux droits de l'individu. Ce qui se passe dans l'esprit de l'agresseur relève de la subjectivité et de l'opinion, quelque chose qui appartient de droit à l'individu et qui relève de la liberté de penser et d'expression. 
  
          Or, si nous étendons la notion de délit ou de crime à l'opinion exprimée, homophobe ou sexiste, nous entrons dans un régime politique fasciste, dont une des caractéristiques est de dire obligatoirement le contraire de ce qu'on pense (si ce qu'on pense n'est pas la « vérité » officielle). 
  
          Cette loi « anti-discriminatoire » est donc intimement liée à liberté de penser. Criminaliser la pensée (fût-elle errante et stupide) pour obliger les citoyens à adopter par la force une Vérité d'État n'est pas sans relation avec les déviances de notre « démocratie d'opinion » où ce sont les sondages et les événements érigés en « phénomènes sociaux » qui dictent la pensée du législateur. Pourquoi les chantres du politiquement correct veulent-ils interdire l'expression de la pensée « déviante », non « conforme »? Parce qu'ils s'imaginent que toute expression d'une opinion peut avoir des conséquences politiques. Et ce n'est pas si mal vu dans un pays où on fait des lois à la demande comme on produit du camembert. 
  
Des lois sur mesures 
  
          Les représentants auto-proclamés des « gays, lesbiennes et autres "trans" [sic] » veulent une loi sur l'homophobie. Il ne suffit donc pas qu'une agression soit délictueuse ou criminelle, il faut en plus qu'elle le soit en fonction de l'« identité » de la prétendue victime. Et la sanction sera aggravée. 
  
     « Criminaliser la pensée (fût-elle errante et stupide) pour obliger les citoyens à adopter par la force une Vérité d'État n'est pas sans relation avec les déviances de notre "démocratie d'opinion" où ce sont les sondages et les événements érigés en "phénomènes sociaux" qui dictent la pensée du législateur. »
  
          Et pourquoi l'« identité » homosexuelle devrait-elle être davantage protégée que celle de Théo Van Gogh, assassiné aux Pays-Bas pour avoir usé de la liberté d'expression à l'encontre d'une minorité violente et anti-occidentale? Je me le demande bien. Pourquoi les juifs, les arabes, les homosexuels, les femmes, bénéficieraient-ils d'une loi d'exception et pas ceux qui osent dire que l'islamisme est un fascisme qui nous envahit (comme Théo van Gogh en a fait la triste expérience)? Je me le demande bien. 
  
          Les politiciens courtisent les minorités qui luttent contre la discrimination et s'imaginent que la majorité silencieuse est évidemment d'accord. Il est mal de discriminer, n'est-ce pas? Pourtant, moi je discrimine tous les jours. Comme tout le monde. Il y a de bonnes et de mauvaises raisons de le faire. Chacun discriminera sur la base de ce qu'il connaît d'un individu. Il peut se tromper mais il serait ridicule et totalitaire de penser que les hommes de l'État doivent nous dicter de quelle manière il faut ou ne faut pas discriminer les individus avec lesquels nous sommes en relation.  
  
          Encore une fois, les hommes de l'État ne sont pas omniscients. Et lorsqu'ils s'appuient sur une minorité organisée et politiquement influente pour étouffer la liberté d'expression, nous avons tout lieu de penser que nous nous dirigeons vers une tyrannie des minorités et un fascisme d'État. 
  
Liberté 
  
          Dans une société de liberté chacun peut dire ce qu'il pense et se mettre en relation contractuelle avec qui il veut. Une telle société, où les individus entrent en relation librement et volontairement, est toujours plus « policée » qu'une société politisée. « Policée » au sens où les comportements se règlent en fonction du principe de coopération, nécessaire pour vivre et établir des relations avec les autres. La politesse, le respect de certaines formes non-violentes de relation avec les autres, ne sont pas des produits étatiques mais résultent d'un apprentissage de la vie sociale fondée sur la coopération – pour une étude sociologique de l'émergence de ce genre de règles, voir Hayek (Droit, législation et liberté) et bien entendu, Axelrod (Comment réussir dans un monde d'égoïstes). Dans une société politisée comme la nôtre on force les gens à financer et à dire, contre leur gré, ce qu'ils ne veulent pas et ce qu'ils ne pensent pas. 
  
          J'ajoute que la discrimination irrationnelle, raciste ou sexiste, qui ne devrait pas être un délit, est une stupidité dont les employeurs feraient très rapidement les frais si la concurrence était totale. Car ainsi que le dit Walter Block dans une excellente étude intitulée « Économie et libertarianisme »: 
    Sur ce marché [libre] la discrimination sexuelle, ou raciale, n'est simplement pas viable. Si les hommes et les femmes salariés, à productivité égale, avaient des salaires largement différents, des incitations entrepreneuriales tendraient à dissiper le différentiel. Des entrepreneurs chercheraient à embaucher des femmes sous-payées et licencieraient des hommes sur-payés. Supposez que l'homme doit être payé 10,00 $ alors que la femme, grâce à la magie de la « discrimination », ne doit être payée que 6,50 $. Qui choisiriez vous? À moins d'être extrêmement sexiste, vous embaucherez la femme parce que vous pourrez faire un profit supplémentaire de 3,50 $ par heure. Même si vous étiez extrêmement sexiste et embauchiez l'homme, vous seriez rapidement éliminé de votre activité, car vos concurrents, avec une force de travail féminine moins onéreuse, pourraient vendre à meilleur prix que vous.
          La liberté économique tend à réduire la discrimination et à ne prendre en compte que la productivité de l'employé. Ce sont les réglementations et la protection contre les licenciements qui freinent la créativité du marché, les opportunités d'emplois (en engendrant un chômage massif), qui créent exactement ce que les politiciens se complaisent à combattre: la discrimination sur des bases irrationnelles. Encore une fois, les politiciens créent les opportunités d'apparaître, quand le mal est fait en conséquence de leur politique, comme des bienfaiteurs. 
  
          Mais le plus pernicieux dans cette affaire est l'incitation à se définir d'abord comme membre d'un groupe avec pour conséquence l'abandon de son individualité. Ce groupisme encouragé par la loi n'est rien d'autre qu'une forme dégénérée du collectivisme qui imprègne la société française. D'où l'assentiment des Français pour les solutions « collectives », celles qui leur permettent de se démettre de leur responsabilité individuelle en les invitant à la passivité. 
  
 
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